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Culture - Rencontre

Tous les conflits internes de Chaker Khazaal

L’auteur palestino-canadien livre dans « Ouch ! » un récit intime écrit en quelques jours, dans la foulée de l’explosion du port. « Je revoyais ma vie, comme un film, avec tous les endroits où j’ai été et tous ces visages que j’avais vus », confie-t-il sur ce thriller psychologique.

Tous les conflits internes de Chaker Khazaal

Chaker Khazaal : « Je n’ai pas senti que j’écrivais. J’ai juste senti que je revoyais ma vie, comme un film, avec tous les endroits où j’ai été et tous ces visages que j’ai vus. » Photo DR

Immersive, intime voire même intrusive, voilà l’expérience que propose l’écrivain Chaker Khazaal dans son dernier ouvrage, intitulé Ouch ! . Dans ces Mémoires, le jeune auteur replonge dans son enfance au camp palestinien de Bourj el-Barajneh, son éveil sur sa condition de réfugié apatride, ses questions existentielles et son envie précoce de départ, loin de ce lieu qu’il compare à une prison. « Qui peut faire d’une prison une maison ? » s’interroge-t-il. Enfant, il regarde déjà passer les avions au-dessus du camp, poussé par une envie folle de liberté. Lentement, il planifie sa fuite et multiplie les rencontres, conscient du charme qu’il exerce sur ceux qui croisent son chemin et ceux qui écoutent son histoire. De Beyrouth à Toronto et jusqu’à New York, le jeune Chaker, très calculateur, tisse sciemment son réseau pour arriver à ses fins. Invité à la table des plus grands, il devient le porte-parole de son peuple, et ses quatre romans, la trilogie Confessions of a War Child et Tale of Tala, lui ouvrent les portes du succès qui l’accompagnera jusqu’à son village natal de Tarshiha, en Palestine, où il retourne enfin grâce à un passeport canadien. D’une lucidité consternante, Ouch ! plonge au plus profond des rouages de la pensée de l’auteur en quête d’identité et en proie à des conflits internes qui opposent celui qu’il nomme le « Chaker du camp », si fragile, et le « Chaker du monde » qu’il est devenu.

Ce thriller psychologique paru aux éditions Hachette Antoine n’est pourtant pas la biographie que Chaker Khazaal se promet d’écrire un jour. Il s’attarde surtout sur des événements récents qui ont pris place entre février et août 2020, et c’est en seulement 17 jours qu’il a été rédigé. « Je n’ai pas senti que j’écrivais, confie Chaker Khazaal à L’Orient-Le Jour. J’ai juste senti que je revoyais ma vie, comme un film, avec tous les endroits où j’ai été et tous ces visages que j’ai vus. Je voulais que mon livre soit prêt pour le forum du New York Times qui se tenait à Athènes le mois suivant et j’ai heureusement réussi à le faire. »

« Ce livre a été écrit en grande partie après l’explosion du 4 août. Quand on côtoie la mort de si près et qu’on prend conscience que la vie peut prendre fin à tout moment, avec le Covid et tous ces gens qui en meurent, on sait que vivre n’est pas chose acquise, et cela peut créer ce sentiment d’urgence », poursuit l’auteur qui consacre en effet une grande partie de ce récit à cette année inhabituelle qu’il passe à Beyrouth, sur la terrasse du Smallville Hotel, oppressé par la pandémie et dévasté par l’explosion du port. Une année qui commence surtout avec un choc, celui de se voir refuser par les Israéliens l’entrée en Palestine qu’il a pourtant visitée plusieurs fois depuis quelques années. « C’est une épreuve extrêmement difficile et j’ai été très touché comme je le décris dans le texte, mais je suis une personne réaliste et je revendiquerai mes droits en justice jusqu’à obtenir gain de cause », assure le jeune écrivain qui ne se départit pas de son sourire et dont l’optimisme transparaît à travers ses lignes malgré les problèmes auxquels il est confronté et les nombreux « ouch » qui éclaboussent ces pages. « Je dis ouch chaque jour, mais après chaque ouch viennent un soupir puis une leçon », affirme-t-il, serein.

Le livre est paru le 17 octobre 2020, un cadeau de l’auteur au Liban et à sa révolution. Photo DR

« Le temps des gangs palestiniens est révolu »

Le passé douloureux de Chaker Khazaal y est pour beaucoup dans sa force – pas toujours tranquille – et sa conception du monde et des frontières. « Le camp enseigne, assure-t-il. C’est là où on apprend la patience, où on acquiert des compétences qu’on ne peut apprendre nulle part ailleurs et une grande capacité d’adaptabilité ». Et d’ajouter : « Nous autres Palestiniens naissons avec une identité-rêve que personne ne peut nous ôter. Cependant, le droit au retour est une promesse comme une drogue. La vie passe et les slogans restent. Nos parents ont perdu leurs vies en attendant. » Si son voyage au Canada était une fuite ? « Bien évidemment, répond le jeune homme nommé en 2016 parmi les Arabes de moins de quarante ans les plus influents.

Tout Palestinien veut fuir, et la meilleure solution pour les réfugiés aujourd’hui est la réinstallation. Nous nous sommes habitués à attendre que quelqu’un vienne nous sauver, mais il faut nous sauver nous-mêmes. J’ai moi-même tout essayé : les manifestations, les files d’attente devant l’Unrwa, mais ce n’est que quand je suis parti au Canada que j’ai connu ce sentiment de sécurité. Aujourd’hui, le temps des gangs palestiniens est révolu. Une nouvelle génération veut vivre, écrire des livres et faire des films. Une génération qui ne veut pas la guerre, ni la prison. »

S’il inspire par son histoire et ses idées de nombreux Palestiniens à Beyrouth et dans le monde, Chaker Khazaal les encourage avec ferveur à trouver leur place dans le monde. « Trouver soi-même est un long chemin ; parfois je trouve la réponse et parfois elle m’échappe », dit-il encore avec une ambiguïté propre à lui et qu’il ne cache pas dans son récit aux multiples rebonds. Ce dernier s’attarde en effet sur une amitié singulière qui noue l’auteur à Adam, un jeune serveur palestinien de l’hôtel, et s’achève par un « twist » à faire dresser les poils dans la salle de gym de l’établissement. C’est d’ailleurs dans cet hôtel que Chaker Khazaal organise actuellement des « salons littéraires » avec des personnalités publiques, comme Élissa ou May Chidiac. Il les invite à revivre les événements de son récit de manière réelle sur les lieux de l’action, avec la participation des différents protagonistes et jusqu’à la salle de sport où s’achève la séance de dédicaces. C’est là que Chaker Khazaal s’est mordu les doigts en découvrant son plus grand « ouch », son profond secret courageusement révélé.

Immersive, intime voire même intrusive, voilà l’expérience que propose l’écrivain Chaker Khazaal dans son dernier ouvrage, intitulé Ouch ! . Dans ces Mémoires, le jeune auteur replonge dans son enfance au camp palestinien de Bourj el-Barajneh, son éveil sur sa condition de réfugié apatride, ses questions existentielles et son envie précoce de départ, loin de ce lieu qu’il compare...

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