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Thérapeutique comparée

Oui, il va être possible de faire barrage au monstre. Retrouver enfin une vie normale ou presque, la vie d’avant ; renouer avec ses vieilles habitudes, oublier distanciation et gestes barrières, se hasarder à plonger, narines découvertes et grandes ouvertes, dans les foules anonymes peuplant à nouveau rues, cinés, restaurants et supermarchés : telle est en effet la fabuleuse espérance que vient d’offrir à une humanité déboussolée par la pandémie de Covid-19 la mise au point, pour bientôt, d’un vaccin à haute efficacité.

Une vie normale, vraiment, dans la situation surréelle qui est celle des Libanais privés de leur droit à une existence digne et sereine par la mafia politico-milicienne au pouvoir ? Dès l’annonce de la découverte, qui de nous n’a songé, par association d’idées, aux remèdes de cheval qu’il faudrait administrer à l’État pour le débarrasser à jamais de tous ces mortels virus – incurie, corruption, clientélisme – qui infestent ses organes ? Mais vous rêvez, s’empressait de commenter savoureusement, hier, un spécialiste de la question, nulle mesure préventive n’y fera jamais rien, c’est des macrophages qu’il nous faut là, pour tout dévorer ; c’est tout juste si dans le feu du diagnostic, l’honorable praticien n’a pas parlé de traitement à l’arsenic…

Non point que le malade libanais soit en manque de soins, c’est lui qui ne veut rien entendre. Venu plus d’une fois à son chevet avec, dans sa trousse, la prodigieuse pharmacopée du programme CEDRE, le médecin français s’est heurté à un mur de mauvaise volonté et semble tout près de baisser les bras. Les mêmes et criminels atermoiements en matière de réformes sont opposés au Fonds monétaire international, seul susceptible pourtant de fournir au Liban une aide d’urgence, celle-là même qui lui épargnerait un effondrement total. Et c’est à coups de sanctions ciblées que le toubib américain débarque maintenant avec ses grosses bottes texanes, donnant le ton à l’actualité locale.

Chargées de symboles – et lourdes de conséquences, puisqu’elles retardent la formation, déjà poussive, d’un nouveau gouvernement – sont, à l’évidence, les représailles édictées vendredi dernier contre Gebran Bassil. Pour en rester au jargon médical – et dans l’attente d’une purge plus vaste, plus variée dans la sélection des patients – elles sont naturellement un baume sur le cœur pour la contestation populaire du 17 octobre, qui a fait sa bête noire du chef du parti présidentiel et dauphin présumé du chef de l’État. Ce véritable phénomène de société, il n’est pas inutile d’y revenir.

Ingérence flagrante, que ces sanctions que distribue la première puissance mondiale en s’arrogeant un droit d’extraterritorialité ? Of course, il serait futile de le nier. Négociable, le coup de grâce, si le condamné venait à s’amender ? On peut très bien le penser, même si l’ambassadrice américaine a aisément démystifié l’image d’héroïque victime dont a tenté de se parer Bassil. Le fait demeure néanmoins que de très nombreux Libanais, en révolte contre l’insolente impunité qu’affichent des responsables indignes, en sont à croire qu’une pénalisation même prononcée du dehors, même biaisée, même fragmentaire, vaut mieux que pas de pénalisation du tout. En un mot c’est toujours ça de pris, alors que chaque jour apporte son lot d’incroyables abus, révélés documents à l’appui par les médias mais sans la moindre suite…

Qu’on en finisse une fois pour toutes, dès lors, avec ce sentiment d’humiliation nationale invoqué, souvent de bonne foi, à propos de toutes ces thérapeutiques importées. La honte nationale, la vraie, est surtout le fait de ceux par qui le scandale arrive.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Oui, il va être possible de faire barrage au monstre. Retrouver enfin une vie normale ou presque, la vie d’avant ; renouer avec ses vieilles habitudes, oublier distanciation et gestes barrières, se hasarder à plonger, narines découvertes et grandes ouvertes, dans les foules anonymes peuplant à nouveau rues, cinés, restaurants et supermarchés : telle est en effet la fabuleuse...