Alors que l’optimisme semblait prévaloir tout au long des sept derniers jours de concertations en vue de former un gouvernement, le dur retour à la réalité a semblé s’imposer au cours du week-end. Avec les mêmes acteurs engagés sur le plan politique, on pouvait redouter les mêmes résultats. Une fois de plus, c’est le chef du Courant patriotique libre (CPL), Gebran Bassil, qui est pointé du doigt. Accusé de se livrer au jeu de l’obstruction dans le but d’améliorer sa position au sein du futur cabinet de Saad Hariri, dont la formation est d’ores et déjà otage de la convoitise des partis politiques, le chef du CPL aurait imposé, via son beau-père Michel Aoun, une série de revendications qui auraient tendu les tractations. Alors que tous les indicateurs étaient au vert y compris du côté des aounistes, un blocage a soudain ressurgi, freinant le processus. Que s’est-il donc passé pour que M. Bassil veuille renverser la table à la dernière minute comme le lui reprochent ses détracteurs ?
Selon les informations qui ont circulé notamment dans les médias proches du camp du 8 Mars pourtant proche du chef du CPL, ce dernier a attendu que la mouture du cabinet Hariri IV mûrisse, avant d’avancer ses pions et de faire monter les enchères pour imposer, à son tour, ses conditions. Hypothéquant ainsi ce que le Premier ministre désigné avait cru quasiment conclu avec le chef de l’État, Michel Aoun, les deux personnalités constitutionnellement habilitées à trancher.C’est mal connaître la nature et les objectifs du tandem Aoun-Bassil que de croire que le cabinet pourrait être facilement avalisé sans avoir obtenu l’accord du gendre du chef de l’État. Alors que MM. Hariri et Aoun s’étaient accordés sur un gouvernement de 18 ministères – un compromis entre le cabinet de 20 ministres réclamé par le président et de 14 ou 16 portefeuilles souhaités par le Premier ministre au départ –, on apprenait que ce principe a été dernièrement remis en cause.
Manifestement dans un souci de renforcer sa présence et son pouvoir de décision au sein du futur exécutif, M. Bassil s’est érigé en défenseur de la veuve et de l’orphelin, comme le souligne ironiquement un observateur. Désormais, le chef du CPL milite, via Baabda où il s’était rendu jeudi dernier, en faveur des grecs-catholiques et des druzes de Talal Arslane, deux communautés qui seraient exclues d’un cabinet dans l’hypothèse d’un cabinet de 18 portefeuilles. Le CPL, qui réclame un cabinet de 20 ministres, allègue un facteur fonctionnel et non politique pour motiver cette revendication, à savoir qu’un ministre technocrate ne saurait briguer deux portefeuilles nécessitant une expertise pointue. Dans une déclaration à L’OLJ, le député du bloc du Liban fort, Eddy Maalouf, se demande pourquoi on reproche aujourd’hui au CPL de vouloir protéger les droits de ces deux communautés alors que ce même débat avait été longuement soulevé par d’autres protagonistes (notamment par le Hezbollah pour Talal Arslane) lors de la formation du gouvernement de Hassane Diab. M. Maalouf trouve d’ailleurs très naturel et justifié que sa formation cherche à conforter sa position alors que les autres – le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt et les Marada de Sleiman Frangié – ont déjà assuré leurs arrières par des promesses et des quotes-parts qui leur ont été accordées « en catimini » par Saad Hariri.
L’exception chiite
Autre pierre d’achoppement, le principe de la rotation des portefeuilles que MM. Hariri et Aoun ont accepté d’appliquer, à l’exception de la communauté chiite, celle-ci pouvant aspirer à garder le portefeuille des Finances et à nommer ses ministres. Le CPL semblait pourtant avoir consenti à ce principe avant de le rejeter. Ce que conteste M. Maalouf en soulignant que M. Bassil avait accepté que le portefeuille des Finances soit accordé aux chiites uniquement cette fois-ci, mais à la condition que cela ne se transforme pas en coutume.
« Pourquoi Hariri accepte donc de boire le poison chiite (une expression utilisée par le chef du courant du Futur avant de concéder les Finances au tandem chiite, NDLR) mais s’évertue à bafouer les droits des chrétiens (comprendre le droit des aounistes) », s’offusque le député. Et de laisser entendre que le CPL a tout autant le droit de conserver l’Énergie et aussi longtemps, d’où le principe des critères unifiés. Ce que M. Maalouf omet de dire, c’est que l’objectif inavoué du CPL par le biais de ces manœuvres semble de détenir le tiers de blocage qui lui permettrait de garder la main sur ce gouvernement. Une façon pour le parti de pouvoir inverser la situation en sa faveur et conforter le mandat Aoun, à deux ans de son terme. Dans les milieux proches du Hezbollah, dont la relation avec M. Bassil devient de plus en plus problématique, on en veut à ce dernier de mélanger les genres et de ne pas saisir « l’exception » du moment. C’est ce que lui reproche notamment l’ancien directeur général de l’Information Mohammad Obeid, qui, lors d’un entretien à la LBCI, a déploré hier le fait que le gouvernement attendu se soit transformé aux yeux des candidats informels en lice, MM. Bassil et Frangié, en « plateforme présidentielle ».
Dans un article percutant publié sur le site 180post, qui n’est pas hostile au Hezbollah, intitulé, « Une fois de plus, le prince héritier met en échec le sexennat », le journaliste Hussein Ayoub dénonce, pour sa part, « un masochisme » aouniste qui consiste à s’autosaboter en torpillant ce qui reste d’un mandat croulant. L’analyste rappelle ainsi que la priorité pour le chef de l’État est dorénavant de « sauvegarder le prince héritier plus que le mandat lui-même ».
Autant de reproches d’obstruction et de manœuvres politiciennes dont se défendent aussi bien Baabda que le CPL par communiqués interposés. Hier en début d’après-midi, le bureau de presse de la présidence a affirmé que les discussions pour la mise sur pied du gouvernement Hariri n’étaient pas suspendues et qu’« aucune tierce partie » n’est impliquée dans ces négociations, précisant que le chef du CPL ne participe pas à ces discussions. De son côté, M. Bassil a démenti toute « intervention » dans la mise sur pied du cabinet, dénonçant des informations « fabriquées de toutes pièces » visant à lui faire porter la responsabilité de toute entrave « afin de couvrir les véritables saboteurs ». « Jusqu’à aujourd’hui, ni Gebran Bassil ni le CPL ne sont intervenus ou ne sont entrés en contact avec les différentes parties » impliquées dans la formation du cabinet, en dépit de « leur droit constitutionnel » de le faire, a précisé le bureau de presse du chef du courant aouniste.
commentaires (14)
Quand il s'agit,à titre d'exemple, de Sami Gemayel vous ne mentionnez pas qu'il est le fils de l'ancien président Amine Gemayel . Idem pour une trentaine d'anciens parlementaires qui ont légué la députation à leurs enfants . il ne passe pas un jour sans que l'OLJ ne rappelle aux lecteurs que Bassil est le gendre du président qui est par le fait même le beau père du gendre .
Hitti arlette
22 h 38, le 03 novembre 2020