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Nos Lecteurs ont la Parole

Gloire à toi, oh Peigneur !

Dieu, artiste en éternelle création, s’affairait à terminer sa collection de toiles pour l’année 2020, une panoplie de peintures aux tons gris et bouleversants qui reflètent une succession d’existences secouées, toutes imprégnées d’un spleen baudelairien affirmé et tachées d’un idéal loupé.

Un soir d’octobre, épuisé d’observer la folie de ses enfants ici-bas, Dieu s’assoupit. Son pinceau glissa de ses doigts et tomba au pied de son lutrin. Des gouttes de peinture noire commencèrent alors à perler sur un gros nuage blanc égaré. Le cumulus, fâché de sa déconvenue, s’ébroua tel un chien trempé et éclaboussa les montagnes libanaises. Les gouttes, en se cognant, déchargèrent leur humeur électrique sur la foudre qui, dans un éclair cinglant, provoqua un orage effroyable qui s’abattit sur le petit pays béni des dieux, lui infligeant une énième catastrophe. Dieu, en s’endormant, venait de déclencher l’automne. Automne aux augures cruels et sans pitié de cette terrible année 2020 qui plonge même les cœurs de pierre dans une mélancolie profonde, dans un dégoût pour la vie d’aujourd’hui.

Les arbres et les fleurs perdirent le peu d’éclat qui leur restait, la mer devint aussi noire que l’encre de Chine, la terre se nappa d’un brouillard épais opaque, le ciel se ternit… tout devint gris. Même les souris. On n’y voyait plus rien. Et dans ce tableau monochrome, la mine déconfite des habitants du pays du Cèdre s’obscurcit et leur sourire, déjà trop fragile, disparut.

Accablés par ce dernier cataclysme qui s’abattait encore sur eux, de nombreux fidèles appelèrent le Seigneur à l’aide, glorifiant Ses pouvoirs et louant Sa bonté. Certains hurlaient des prières, d’autres marmonnaient en silence dans leur lit, d’autres encore imploraient à genoux dans les « maisons sacrées » ou devant une icône, grise elle aussi, convaincus qu’ils seraient ainsi mieux écoutés. Mais rien n’y fit. Dieu, exténué par l’animosité humaine, dormait d’un sommeil profond, et rien ne semblait pouvoir le réveiller.

L’inévitable se produisit alors. Le spleen ordonnait aux hommes de s’armer du pire, une arme dangereuse dont Baudelaire – qui rédige sûrement le second volume des Fleurs du mal en nous regardant de là-haut – se servait pour retrouver l’idéal : la violence, seule machine barbare qui arrivait à recolorer l’univers sombre du poète défunt.

« Si un Dieu créateur existe, quel intérêt sérieux peut-il prendre à l’existence du monde ? »

Du haut de Son royaume céleste, Dieu ne veut plus de ce monde indigne et se garde bien de porter secours à ses habitants. Ce serait commettre la pire folie que de vouloir sauver ce qui est pourri. De toute sa puissance, il en peindra un autre, de monde. Alors, apaisé par les bras de Morphée, Dieu, qui ne croit plus dans les Libanais, nous laisse finalement tomber.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Dieu, artiste en éternelle création, s’affairait à terminer sa collection de toiles pour l’année 2020, une panoplie de peintures aux tons gris et bouleversants qui reflètent une succession d’existences secouées, toutes imprégnées d’un spleen baudelairien affirmé et tachées d’un idéal loupé. Un soir d’octobre, épuisé d’observer la folie de ses enfants...

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