Sous la lumière automnale de cette fin d’octobre, trois mois après le drame du port de Beyrouth qui a dévasté de vastes quartiers de Beyrouth, la façade du musée Sursock est toujours aussi belle, malgré les stigmates de l’explosion. Fenêtres et portes, soufflées, ont été remplacées par des plaques de bois, en attendant les réparations définitives. C’est dans l’un des amphithéâtres de ce site hors normes que s’est tenue mercredi la cérémonie de clôture d’un projet qui a permis de protéger ce musée et d’autres sites patrimoniaux de la ville, très rapidement après l’explosion. Le projet est signé Blue Shield International, une organisation qui intervient en priorité pour sécuriser les sites historiques et patrimoniaux menacés par les conflits, avec ses partenaires Blue Shield Liban et l’association Biladi, ainsi que la Direction générale des antiquités (rattachée au ministère de la Culture), l’armée libanaise et la Finul. Sans compter une pléthore de donateurs et d’organisations sensibles à la restauration du patrimoine beyrouthin meurtri.
Cette collaboration entre civils et militaires a permis de sécuriser des bâtiments souvent centenaires gravement endommagés, comme le palais Bustros (ministère des Affaires étrangères), et de déblayer des rues (notamment Gouraud et Sélim Bustros). Cette initiative, parmi tant d’autres qui sont nées pour faire face aux conséquences de l’incroyable catastrophe du 4 août, s’est appuyée sur une plateforme numérique, basée sur un logiciel mis au point par Blue Shield et qui a été rapidement adaptée en vue de recenser les bâtiments requérant une intervention urgente, l’information ayant été répertoriée et filtrée par des spécialistes. Outre le musée Sursock et le palais Bustros, le projet avait dans sa ligne de mire le musée de la Préhistoire de l’USJ, le musée des Merveilles de la mer, la Bibliothèque nationale, la Bibliothèque orientale, la Fondation arabe de l’image… ainsi qu’une vingtaine de maisons patrimoniales d’envergure, comme la maison Ghoulam à titre d’exemple.
Parer au plus pressé
« Quand j’ai vu, pour la première fois, la partie de Beyrouth soufflée par l’explosion, une image m’est immédiatement venue à l’esprit, celle de la seule ville autant détruite : Grozny (Tchétchénie), quand plus une pierre ne tenait sur une autre. Mais alors que Grozny avait été écrasée par des bombardements massifs, Beyrouth a été soufflée en quelques instants seulement. » C’est ainsi que Karl Habsburg, président de Blue Shield International, décrit ses impressions à L’Orient-Le Jour, en marge de la cérémonie.
L’organisation internationale, souvent surnommée l’« ambulancier du patrimoine », s’est investie très tôt à l’instigation de Joanne Farchakh Bajjaly, fondatrice de Biladi et membre de Blue Shield Liban. Profondément touchée par la dévastation, celle-ci contacte Blue Shield International et envoie sans tarder son équipe de Biladi procéder au premier déblaiement dans les sites soufflés par l’explosion. « En scellant la collaboration entre Blue Shield International et Liban, et Biladi, nous avons lancé l’opération de sauvetage », explique-t-elle. Une mission de trois mois, consolidée par un appel à dons, pour parer au plus pressé : fermer les espaces laissés béants par l’explosion des portes et fenêtres afin de protéger les bâtiments, bâcher les toits anciens, déblayer deux rues.
La plateforme numérique du projet a permis d’inventorier 550 bâtiments, entre maisons, musées, bibliothèques et galeries d’art. « Dans les jours qui ont suivi l’explosion, nous avons effectué un premier recensement des dégâts qui nous a permis d’établir que plus de 600 bâtiments patrimoniaux étaient affectés. Parmi eux, une centaine nécessitant une consolidation de la structure et un bâchage, et 45 ayant besoin d’une consolidation totale, explique à L’OLJ Sarkis Khoury, directeur de la DGA, présent à la cérémonie. Tout cela pour un budget de plus de 300 millions de dollars qu’il est difficile d’assurer en ces circonstances de crise économique. »
La sécurisation des bâtiments étant assurée grâce à la collaboration avec Blue Shield, reste aujourd’hui la reconstruction en bonne et due forme. M. Sarkis rappelle que le ministère de la Culture a lancé, mercredi dernier, le programme « Adoptez une maison » qui permettra à des donateurs individuels de contribuer à ce que les magnifiques demeures ancestrales du cœur de Beyrouth reviennent à la vie, sur base de dossiers détaillés élaborés avec les organisations internationales, comme l’Unesco, très impliquée dans la reconstruction de Beyrouth.
Des spécialistes au sein des armées
Le projet mis en place avec Blue Shield est donc l’un de ceux qui ont contribué à ce chantier gigantesque, mais il ne s’est pas limité à une opération technique, se transformant en une collaboration qui a profondément marqué ceux qui y ont pris part. Parmi eux, les militaires de l’armée libanaise et de la Finul. Autant le commandant de la Finul, le général Stephano Del Col, que le colonel Youssef Haïdar, commandant du régiment indépendant des travaux de Beyrouth au sein de l’armée, ont exprimé, au cours de leurs discours lors de la cérémonie de clôture, la profonde transformation constatée au sein de leurs troupes et l’intérêt qu’une telle expérience a représenté pour leurs armées respectives.
« Le ministère des Affaires étrangères était le chantier le plus difficile à mener parce que son toit, la plus grande charpente à Beyrouth, était totalement soufflé, explique Joanne Bajjaly. Nous avons cherché à inclure les militaires afin de les sensibiliser à la protection du patrimoine et montrer qu’ils peuvent acquérir un savoir-faire en la matière. »
Ce travail affectera également celui de Blue Shield dans la durée. « La session de bilan que nous avons organisée avec les soldats afin qu’ils communiquent leurs remarques sur le travail effectué a été très éclairante pour moi, explique Karl Habsburg. Les soldats ont plaidé pour une meilleure collaboration entre les acteurs sur le terrain, et exigé que les objectifs de l’intervention soient clairs dès le début et qu’ils soient communiqués aux soldats par les spécialistes. » Il note « l’intérêt de former directement les unités de génie dans les armées afin d’avoir des spécialistes prêts à intervenir dans l’urgence ».
« La magie a opéré, souligne de son côté Joanne Farchakh Bajjaly. Au début, autant l’armée que la Finul considéraient cette intervention comme une mission pareille à d’autres. Petit à petit, la beauté historique du lieu a pris le dessus et ils ont été touchés par l’âme du bâtiment. »
Excellente initiative... malheureusement l'amertume de ces dernières années mélangée aux déchets, au manque de courant et d'eau courante, au taux de cancer dû à la pollution, aux feux de forêts hors de contrôle, à une immigration/fuite unique, aux discours de responsables démunis de sens et valeurs, etc. Malgré tout on dira Allah Karim et que le bon Dieu nous donne notre prochaine surprise...
16 h 45, le 31 octobre 2020