Une délégation italienne de la task force Unite4Heritage – constituée de gendarmes chargés de la protection de l’héritage historique et de spécialistes civils formés à l’Institut italien supérieur pour la conservation et la restauration – a parcouru, durant une semaine, les rues beyrouthines affectées par la double explosion du 4 août pour recueillir et rassembler toutes les informations utiles visant à définir les interventions futures. L’objectif de l’équipe, dépêchée par le ministre italien de la Culture, Dario Franceschini, est d’évaluer les dommages subis par le patrimoine architectural dans ces quartiers dévastés par le cataclysme, et d’établir le plan d’action et les mesures urgentes à proposer à la Direction générale des antiquités (DGA), a expliqué l’ambassadrice d’Italie, Nicoletta Bombardiere. Elle a tenu ces propos au cours d’une rencontre qui a regroupé les membres de la task force « Unite4Heritage », le lieutenant-colonel Luigi Spadari, l’aspirant-chef Francesco Progida et les architectes restaurateurs rattachés au ministère pour les Biens et Activités culturels Luciana Festa, Caterina Careccia et Paolo Scarpitti. Étaient présents également le chef du bureau économique de l’ambassade, Emanuele D’Andrassi, et l’attachée de presse Madonna Hakim.
« Un modèle unique au monde »
L’Italie est « prête à intervenir et à mettre les compétences de ses experts à la disposition de Beyrouth », a indiqué l’ambassadrice, ne souhaitant pas donner plus de détails avant que le rapport relatif à l’aide italienne ne soit présenté à la DGA. Toutefois, « les projets à entreprendre dans le domaine de la restauration du patrimoine urbain et même sur le plan de la formation pour la lutte contre le trafic illicite seront menés à moyen et long terme ». Il faut dire que l’Italie, dont le patrimoine est d’une richesse incroyable, est experte en ces matières. C’est le premier pays à instituer en 1969 une unité de « carabinieri » et à créer en 2016, dans la foulée d’un appel de l’Unesco, la task force Unite4Heritage dévolue à la préservation du patrimoine culturel et à la lutte contre le trafic d’œuvres d’art, souligne l’ambassadrice. « Cette force opérationnelle à composante militaire et civile a été reconnue comme un modèle unique au monde », ajoute-t-elle. Ses membres ont un très haut niveau de spécialisation et une compétence reconnue au niveau international. Leur force réside aussi dans leur banque de données, baptisée Leonardo. « C’est la plus grande au monde, elle recense plus de 1,2 million d’œuvres d’art et de pièces archéologiques volées, suivie par la France qui n’en répertorie que 100 000 », précise le lieutenant-colonel Spadari.
Le trafic d’œuvres d’art n’ayant pas de frontières, les Italiens sont opérationnels un peu partout. En 2003, par exemple, après l’intervention américaine en Irak et la disparition de milliers de pièces archéologiques, ils ont aidé les Irakiens à établir une carte des sites de leur pays et à reconstituer les collections du musée archéologique de Bagdad. Sur les 15 000 objets dérobés, plus de 7 000 ont été retrouvés. Le trafic illicite de biens culturels génère un commerce illégal lucratif, et un pourcentage élevé des objets volés ne sont jamais retrouvés. Cette activité, qui est aggravée par les catastrophes naturelles et les conflits armés, représente une menace pour les biens culturels, mais aussi pour la mémoire collective des futures générations, et entrave le potentiel qu’offre la culture en tant que vecteur essentiel de développement économique. La task force Unite4Heritage a également acquis un important bagage d’expérience pour gérer les situations d’urgence… Et pas des moindres! Posée sur une zone de fortes frictions entre les plaques tectoniques africaine et eurasienne, l’Italie a été maintes fois frappée par des séismes.
Soigner et faire revivre
L’initiative de Unite4Heritage vise à renforcer la sauvegarde du patrimoine mondial en fournissant également une assistance au transfert des objets dans des lieux protégés. Faisant observer que de nombreux particuliers libanais, touchés par l’explosion, ont transporté leurs œuvres d’art et mobiliers précieux dans des entrepôts aménagés sous la supervision de la DGA, le lieutenant-colonel Luigi Spadari relève que « l’opportunité aujourd’hui est d’établir un plan d’urgence pour organiser le stockage de ces biens en cas de conflits armés ou de catastrophes naturelles ». « Il conviendrait, dit-il, de réfléchir à doter le pays d’abris sécurisés dédiés aux collections publiques et privées. Cette mesure de prévention est une des plus importantes à entreprendre. Et par la même occasion, faire l’inventaire des pièces d’art composant les collections privées au Liban. »
Au cours de leur inspection des zones démolies par l’explosion, les architectes restaurateurs ont parcouru les ruines des bâtiments, tentant de découvrir les systèmes constructifs utilisés, les valeurs architecturales qui les caractérisent, les pathologies qui les affectent. « Il faut les soigner, les faire revivre, en respectant leur architecture patrimoniale », disent « les docteurs du patrimoine », comme les appelle Mme Bombardiere. Pour ce faire, leur approche porte principalement sur l’utilisation des techniques modernes de renforcement et de consolidation des structures anciennes. En Italie, cette méthode s’appelle le Codice di pratica, qui introduit des méthodes d’analyse et d’intervention de l’architecture traditionnelle (consolidation structurelle, protection contre les séismes, etc.) en essayant de rendre compatibles la construction traditionnelle et les techniques les plus modernes.
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