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Lifestyle - Patrimoine

Août 2020 marque un tournant dans l’histoire du palais Sursock

Bâtiment emblématique de Beyrouth, la demeure patricienne d’Yvonne Sursock Cochrane sera transformée en musée privé.

Août 2020 marque un tournant dans l’histoire du palais Sursock

L'intérieur du palais Sursock avant le 4 août. Photo tirée de l'ouvrage de Dominique Fernandez : « Palais Sursock, Beyrouth ».

Il n’aura fallu qu’une fraction de seconde pour faire vaciller un joyau architectural de 2 000 mètres carrés, construit entre 1860 et 1870 par Moussa Sursock, le grand-père de lady Yvonne Cochrane. L’énorme explosion du 4 août dernier a frappé de plein fouet le palais Sursock : marbre cassé, plafond effondré, toit et murs partis en poussière. « La restauration prendra cinq à six ans et nécessitera un investissement de plusieurs millions de dollars », estime l’héritier de la demeure patricienne, Roderick Sursock Cochrane. Il affirme que celle-ci sera transformée en « musée privé ». Ainsi labellisée, elle bénéficiera de nombreux avantages, notamment des subventions des organisations internationales pour sa remise en état à l’identique et sa conservation. « J’ai sollicité l’aide de l’Institut de France, de la Fondation Aliph et de l’Unesco, de Fadlallah Dagher avec la Beirut Heritage Initiative, pour financer cette grosse opération, ajoute M. Cochrane. Nous aurions pu, à la rigueur, assumer le financement nous-mêmes si le pays se portait bien. Mais la crise et l’évolution du Covid-19 ont laissé l’économie exsangue, et la reprise des activités, notamment la location du jardin pour les garden-parties ou mariages, ne semble pas perceptible à l’horizon. »

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L’appellation musée est amplement justifiée, d’une part par l’architecture du palais, particulièrement le hall d’entrée et le salon magnifique qui traverse de bout en bout le bâtiment ; les quatre ensembles de triples arcades aux piliers de marbre qui soutiennent un plan en métal et en marbre de la verrière ; les façades du splendide bâtiment garnies de tourelles dont la conception pour l’époque était « révolutionnaire » et les loggias délicatement ornées de colonnes d’ogive. De plus, le bâtiment est ouvert sur un parc.

Le musée privé offrira d’autre part le plaisir du spectacle des trésors et des œuvres d’art qu’il recèle. Ici se sont déposés les apports de Moussa Sursock, d’Alfred Sursock et de son épouse Donna Maria Serra di Cassano, et de leur fille unique Yvonne Sursock Cochrane, qui ont amassé des collections d’objets archéologiques, de peintures, de tapis et tapisseries. Moussa Sursock avait acheté le premier mobilier, commandé à Paris chez Krieger ; les tapis noués à Smyrne sur mesure, les verres irisés et les urnes.

Lady Yvonne Cochrane le jour de son anniversaire, le 18 mai 2019. Photo DR

Les souvenirs font les grands peuples
Alfred, passionné de peinture, dota les lieux de tableaux attribués à Guerchin, à Stom (autrefois appelé Stomer) dont les toiles sont exposées notamment au Rijksmuseum (Amsterdam), à la Galleria nazionale d’arte antica à Rome, à la National Gallery de Londres et au Louvre de Paris, où sont accrochées Pilate se lavant les mains après la condamnation à mort de Jésus (vers 1650) et Isaac bénissant Jacob. Il y a aussi des Luca Giordano, dont une exposition intitulée « Luca Giordano, le triomphe de la peinture napolitaine » a été présentée au Petit Palais à Paris du 14 novembre 2019 au 23 février 2020. Au menu également, de beaux et rares tapis persans, Saroukh et Serahan, et un portrait de Donna Maria exécuté par Vittorio Matteo Corcos, qui a immortalisé des têtes couronnées comme Guillaume II, Marguerite de Savoie (épouse d’Humbert Ier d’Italie) et Amélie d’Orléans, dernière reine du Portugal.

Donna Maria rapporta du Palazzo Serra di Cassano, aujourd’hui Institut d’études philosophiques, des meubles napolitains du XVIIIe siècle, des porcelaines rares de Meissen et des tapisseries flamandes exécutées au XVIIe siècle sur des cartons attribués à Gerard Van der Strecken et Jan Van Leefdael. Lady Cochrane engrangea à son tour des pièces d’art, dont une vue de Rome attribuée à Corot et une tapisserie de Dom Robert, un des maîtres du XXe siècle. Voilà en bref quelques exemples pour dire que chacun des héritiers a imprimé sa personnalité et contribué à enrichir la beauté des lieux. Le grand mérite revient toutefois à lady Yvonne qui a veillé avec passion à la pérennité de la demeure et gardé intacte sa splendeur d’antan. « Les longs souvenirs font les grands peuples » était le slogan de la cofondatrice de l’Association pour la protection et la sauvegarde des sites et anciennes demeures (Apsad), créée en 1960 avec Camille Aboussouan et Assem Salam. Figure emblématique de la défense du patrimoine architectural et naturel du Liban, Yvonne Cochrane a succombé à ses blessures le 31 août, suite à la tragique double explosion du port.

Objets d’art cherchent parrains…
Toutes les pièces d’art que recèle le palais Sursock sont des biens culturels datant de plusieurs siècles. Elles renseignent sur le goût et les civilisations qui les ont produites, et ont une valeur aussi bien esthétique qu’historique. Elles ont été immortalisées en 2010 dans un ouvrage – préfacé par l’académicien français Dominique Fernandez – intitulé Palais Sursock Beyrouth, regroupant quelque deux cents clichés pris par l’architecte-photographe Ferrante Ferranti, et Mathieu Ferrier, ancien rédacteur technique du magazine Photo. Miracle : ces objets sont en majorité intacts. « S’il est vrai que des toiles et certains objets de valeur sont partis en miettes, d’autres peuvent être réparés ; mais cela va coûter très cher », signale Roderick Sursock Cochrane. Il pense en conséquence solliciter l’aide des mécènes pour financer leur restauration. Plus tard, le nom de chaque parrain figurera dans le livret publié sur l’histoire du musée. La passion pour les arts incite bien des gens d’affaires à dénouer les cordons de la bourse !

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Entre-temps, on sécurise les lieux. Les travaux portent actuellement sur la reconstruction complète de la toiture avec la pose de la tôle métallique résistant aux effets du vent et aux secousses sismiques. Cette rénovation à grands frais est menée grâce à la généreuse contribution de l’industriel Philippe Naggiar, indique M. Cochrane, ajoutant que l’entrepreneur Philippe Fayad a facilité ses services pour la consolidation des structures du palais. Dès les premiers jours, ajoute-t-il, de jeunes volontaires ont prêté main forte pour nettoyer, déblayer et récupérer les documents historiques soufflés et éparpillés par l’explosion. Il reste toutefois à les trier et à les classer. Nada Kallas, chef du département d’archéologie à l’Université libanaise, a inventorié les pièces antiques, et Camille Tarazi a offert son temps sans ménagement pour numéroter les panneaux de la boiserie ancienne qui tapisse la bibliothèque anglaise. Ici, comme dans les quartiers meurtris de Beyrouth, il reste beaucoup à faire pour effacer les stigmates de la catastrophe du 4 août dernier.

Il n’aura fallu qu’une fraction de seconde pour faire vaciller un joyau architectural de 2 000 mètres carrés, construit entre 1860 et 1870 par Moussa Sursock, le grand-père de lady Yvonne Cochrane. L’énorme explosion du 4 août dernier a frappé de plein fouet le palais Sursock : marbre cassé, plafond effondré, toit et murs partis en poussière. « La restauration...

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