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Nos Lecteurs ont la Parole

Mon fils, ne t’en va pas

Mon fils, ne t’en va pas. Pas maintenant. Pas quand nous sommes fâchés.

Fais comme si rien ne s’était passé.

Attends que la poussière retombe.

La veille, quand tu es rentré après cette longue absence, dans ma poitrine, j’avais le cœur qui dansait. Au fond de moi, c’était, comme qui dirait, une explosion.

Quand tu n’es pas là, je perds mes mots, je me fourvoie et, pour que j’avance, il me faut désormais marcher dans tes pas. Certaines nuits, quand le vent sifflait trop fort, j’oubliais jusqu’à ton prénom.

Et puis ce souffle qui s’est levé, venant du port. Ce souffle de verre, cette hécatombe de vies brisées en étoile. Le sang coulait à flots et on ne savait où donner du regard. Dans les rues, jusqu’à l’aube, tu as erré hagard.

Oublie ce que tu as vu.

Notre ville assassinée plus souvent qu’à son tour. Notre ville comme un millefeuille où passe en accéléré le temps qui, ailleurs, met des plombes. C’est de mourir cent fois que nous sommes si vivants et chaque instant volé a, ici, le goût de l’éternité.

Mon fils, pourquoi t’es-tu figé ?

D’où vient cette pesanteur ?

Cette mort avant l’heure, est-elle la fois de trop ?

Qu’il est dur ce moment où, suspendu dans le vide, l’homme s’arrête de marcher.

Cette ville dévastée en un battement de cil, c’est le mauvais œil, les dieux qui sont jaloux.

Il est des fêlures qu’on ne peut ressouder, des plaies qui suintent comme des stigmates.

Mais, avec le temps, nous avons scellé un pacte. Il n’a pas prise sur notre destinée.

Hier, en fermant les volets, le souffle de la montagne est monté jusqu’à moi. Égrenés en lacets, les villages alentour palpitaient comme des flammes. Dans le ciel, l’étoile du berger s’est levée comme avant.

Ce soir, la lune est pleine et fait du bruit en marchant.

Chaque vie est une victoire, chaque jour une bénédiction et la mort d’Adonis une affaire de saison. Au jardin de ton père, les amandes sont ouvertes et la figue que tu cueilles est perlée de lait.

Qu’importe que l’on rase l’herbe que tu as foulée, que l’on fauche ta ville et déterre tes morts. Nous sommes la chandelle qu’on ne peut pas moucher, la moule accrochée à son rocher. Nous sommes le peuple qui danse sur la bouche du volcan.

Même si, depuis toujours, tu es tourné vers la mer...

Condamné à porter le Liban en bandoulière, en escarbille au cœur. Condamné à bâtir le pays des autres.

Ici, il nous faut construire sur le sable.

Mais tant que la lumière se lève de notre côté, rien ne pourra nous arriver.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Mon fils, ne t’en va pas. Pas maintenant. Pas quand nous sommes fâchés. Fais comme si rien ne s’était passé.Attends que la poussière retombe.La veille, quand tu es rentré après cette longue absence, dans ma poitrine, j’avais le cœur qui dansait. Au fond de moi, c’était, comme qui dirait, une explosion.Quand tu n’es pas là, je perds mes mots, je me fourvoie et, pour...

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