Normalisation avec Israël, équilibre entre l’Iran et l’Arabie saoudite, choix d’un prince héritier et gestion d’une crise économique exacerbée par le Covid-19 et la chute du prix du pétrole : les grands chantiers ne manquent pas pour le nouvel émir du Koweït. Cheikh Nawaf al-Ahmad al-Sabah a remplacé à 83 ans son demi-frère, cheikh Sabah al-Ahmad al-Sabah, décédé à 91 ans après avoir dominé pendant des décennies la vie politique de ce riche petit émirat pétrolier à la vie politique agitée, dans une région instable.
Dans son discours d’intronisation mercredi devant le Parlement, cheikh Nawaf a appelé à l’unité nationale compte tenu des défis qui l’attendent. « Calme et pondéré mais capable de prendre des décisions difficiles », a résumé Mohammad al-Faily, un constitutionnaliste qui enseigne aussi le droit public à l’Université de Koweït, en parlant du nouvel émir. Mais d’autres experts estiment qu’il n’a pas la stature de son prédécesseur, un vieux routier de la politique qui a fait du Koweït un médiateur respecté.
« Cheikh Nawaf n’a que très peu participé à la vie publique du Koweït, n’ayant pas réussi à se constituer un réseau politique solide », a ainsi déclaré Cinzia Bianco, spécialiste du Golfe au sein de l’European Council on Foreign Relations. « La perte de Sabah sera profondément ressentie, à la fois en raison de son rôle éminent de diplomate et de médiateur régional et en tant que figure fédératrice au niveau national », a déclaré pour sa part Kristin Diwan, de l’Arab Gulf States Institute à Washington.
Normalisation improbable
« Les Koweïtiens ont apprécié sa capacité à maintenir l’émirat en dehors des conflits et des rivalités régionales », a-t-elle souligné. Au niveau extérieur, le nouvel émir est attendu sur la normalisation avec Israël, selon Ibrahim Dichti, un analyste politique qui évoque des pressions américaines pour amener l’émirat à suivre l’exemple des Émirats arabes unis et de Bahreïn. « Il est clair que (le président américain Donald) Trump va pousser le Koweït à signer avec Israël, et le prochain gouvernement pourrait le faire, mais il sera confronté à un rejet populaire », a-t-il estimé. « La normalisation avec Israël est très impopulaire auprès de l’opinion publique koweïtienne et rien n’indique que les futurs dirigeants vont vouloir changer la position du Koweït », a toutefois noté Mme Diwan. Selon elle, « l’accent sera mis sur le front intérieur, à savoir sur un consensus sur la ligne de succession ».
Cinzia Bianco a souligné à ce propos la complexité du choix d’un prince héritier. La Constitution de 1962 donne à l’émir un an pour le faire, mais ce choix doit être entériné par le Parlement. Au cours des dernières années, la famille régnante des Sabah a étalé ses divergences, ponctuées d’accusations de corruption et de complots politiques portées par certains de ses membres contre d’autres.
Trouver un héritier
« Cette compétition qui se déroule en coulisses peut avoir un impact sur la position du Koweït vis-à-vis des relations avec l’Iran et l’Irak ainsi que sur sa capacité de médiation dans la crise du Qatar » en froid avec quatre pays arabes, a souligné Mme Bianco. La politique d’équilibre de Koweït entre l’Arabie saoudite et l’Iran, les deux grands rivaux régionaux, lui a été imposée par « la réalité de la géographie », qui l’a placé à mi-distance entre les deux puissances, a rappelé M. Faily. Au plan intérieur, le débat politique, marqué par les disputes récurrentes entre le gouvernement et le Parlement, se concentre notamment sur le Covid-19 et la place des étrangers qui forment 70 % de la population de 4,8 millions d’habitants.
Le gouvernement veut ramener la proportion des étrangers à 30 % au risque de paralyser certains secteurs de l’économie dépendant de la main-d’œuvre étrangère. Le pays, qui produit quelque 2,2 millions de barils de brut par jour et tire 90 % de ses revenus du pétrole, n’arrive pourtant pas à juguler les déficits budgétaires.
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