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La Consolidation de la paix au Liban - Septembre 2020

La communauté internationale et l’explosion de Beyrouth : entre le requis, le prévu et le possible...

La communauté internationale et l’explosion de Beyrouth : entre le requis, le prévu et le possible...

Fatima Moussawi @ Sarah Yassine.


L’explosion assourdissante qui a ravagé le port de Beyrouth a provoqué d’énormes pertes sur tous les plans et montré combien la structure politique du Liban est fragile et impuissante face à la catastrophe, alors que le pays croulait déjà sous le poids d’une crise économique sans précédent, accentuée par la pandémie du coronavirus. On ne peut pas ne pas remarquer l’absence de tout rôle officiel dans la phase de l’après-explosion. Les services gouvernementaux n’ont pas accompli leur mission et les municipalités n’ont pas non plus joué un rôle prépondérant. De même, les hôpitaux publics n’ont pas été suffisamment équipés, en dépit du besoin pressant de soigner les blessés, lesquels souvent ne trouvaient pas de lits disponibles.

Mais face à l’impuissance et à l’inefficacité des institutions publiques, beaucoup de gens qui n’appartiennent à aucune d’entre elles ont spontanément secouru les blessés, aidé à sauver les personnes enfouies sous les décombres, ou commencé à déblayer les rues et distribuer des aides à ceux qui étaient dans le besoin. Tout cela a eu lieu en l’absence d’un rôle officiel efficace dans l’opération de sauvetage et d’aide aux personnes touchées par la catastrophe. Le gouvernement s’est contenté de démissionner quelques jours après le drame, sans déployer aucun effort pour assumer sérieusement ses responsabilités.

La communauté internationale s’impose dans le paysage

Au cours des derniers mois, de nombreux pays se sont repliés sur eux-mêmes dans leur tentative de surmonter la pandémie du Covid-19. Ce qui a approfondi au Liban la crise économique intérieure, le pays étant livré à lui-même sans intervention étrangère pour le sauver. Il ne faut pas non plus oublier les facteurs politiques régionaux qui ont conforté l’inertie internationale à l’égard du Liban. Mais il est clair que l’ampleur de l’explosion du 4 août a ébranlé cette inertie, l’événement était effrayant et le choc international n’était pas moins important que le choc interne.

En évoquant les initiatives de la communauté internationale suite à ce drame, on ne peut pas occulter celles des différentes organisations relevant des Nations Unies et les appels lancés par les organisations internationales pour agir rapidement sur le terrain. Les agences de l’ONU, qui sont représentées au Liban par plusieurs comités et missions, ont dressé une vision et des plans avant de passer à l’exécution, tantôt en partenariat avec d’autres organisations internationales, tantôt avec des ONG locales ou avec des institutions officielles.

Dans ce contexte, le Programme des Nations Unies pour le développement a effectué un état des lieux complet à Beyrouth, notamment dans les secteurs détruits par l’explosion. D’abord pour évaluer les pertes, et ensuite pour établir des programmes et des plans destinés à assurer une protection sociale et économique aux habitants de Beyrouth. Le Pnud a aussi établi une évaluation des dommages causés à l’environnement et il a offert une aide juridique en coopération avec l’Ordre des avocats.

De son côté, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a attiré l’attention des autorités et de tous ceux qui souhaitent aider au fait que l’explosion s’est produite en pleine expansion de la pandémie du Covid-19. Par conséquent, les besoins des habitants de Beyrouth sont encore plus importants. L’OMS a aussi établi un plan pour surmonter le choc et assurer les besoins chirurgicaux et médicaux, tout en poussant les ONG médicales efficaces à soigner les blessés et à assurer des unités de soutien psychologiques, en réponse à une demande faite en ce sens par le ministère libanais de la Santé. En même temps, l’OMS a assuré, en coopération avec d’autres associations internationales, des abris provisoires à ceux qui ont perdu leurs maisons, assortis de sommes d’argent pour pouvoir subsister. L’Organisation des Nations Unies pour la femme a, quant à elle, mis l’accent sur l’impact double de cette explosion sur les femmes. Dans un appel adressé à tous ceux qui souhaitent aider, elle a ainsi demandé que la partie la plus importante de leur contribution soit consacrée aux femmes, surtout celles qui sont responsables de familles. L’Organisation internationale du Travail a elle aussi assuré 100 emplois urgents, dans le cadre d’un plan global, aux Libanais et aux réfugiés ayant perdu leur gagne-pain à cause de l’explosion. Ces emplois sont pour la plupart liés au déblaiement des rues et au sauvetage de ceux qui ont été les plus affectés par l’explosion. Ce programme a été réalisé en coopération avec la municipalité de Beyrouth, dans la volonté d’atteindre les lieux les plus endommagés et les personnes les plus atteintes par le drame. Il s’agissait donc essentiellement de faire un constat détaillé et complet des dégâts et d’aider financièrement ceux qui ont tout perdu, en coopération avec d’autres commissions relevant des Nations Unies. De même, le Programme alimentaire mondial (PAM) a établi un plan pour distribuer des aides financières aux familles qui n’ont plus de quoi se nourrir et pour aider matériellement des locaux afin qu’ils puissent eux distribuer des produits alimentaires de base.

Parallèlement à toutes ces initiatives, l’Unicef a débloqué 4,4 millions de dollars afin d’offrir des aides de santé physique et morale, financière et sur le plan du logement aux enfants et aux jeunes. Il fallait aussi distribuer de l’eau propre et en quantité suffisante aux familles. L’Unicef a également établi des plans pour permettre aux enfants de participer à l’opération de nettoyage de la ville. De même, l’organisation UN Habitat a dressé un plan pour la reconstruction des maisons détruites pour assurer un toit provisoire à de nombreuses familles qui n’avaient plus nulle part où aller, ou dont les maisons ont été gravement endommagées, dans le cadre de son unité d’urgence et en coopération avec d’autres organisations relevant des Nations Unies. Cette organisation a en outre lancé une initiative pour éliminer toutes les infractions à la construction afin qu’elles ne soient plus reproduites. De son côté, le Haut-Comité de secours (UNHCR) a consacré 35 millions de dollars pour aider les citoyens, réfugiés ou déplacés, dans le but de leur assurer un toit pendant les prochains mois. L’Unesco a pour sa part publié un communiqué dans lequel elle a évoqué les dommages subis par le patrimoine libanais et appelé le groupe des donateurs à adopter l’idée de sauver le patrimoine culturel et urbain. Elle a aussi appelé à la tenue de réunions avec le ministère de la Culture et des associations spécialisées pour évaluer l’ampleur des dégâts. Il convient de noter le fait que l’action de toutes ces organisations est restée limitée au sauvetage d’urgence. Elle était donc destinée à soulager la société civile de ce poids afin qu’elle puisse remplir son rôle dans le développement et dans la reddition de comptes.

Au même moment, les déclarations internationales destinées à montrer que la communauté internationale se tient aux côtés du peuple libanais ont commencé à se multiplier. De nombreux États, pays arabes en tête, ont pris l’initiative d’envoyer sur le terrain des hôpitaux de campagne et des aides de différentes sortes, qui montrent en quelque sorte des différences dans l’évaluation par ces pays de l’ampleur de la catastrophe qui a eu lieu au Liban. Les aides étaient soit des produits alimentaires, soit des médicaments, soit des matières premières pour la reconstruction, soit encore des produits pétroliers. Certains États ont même exprimé leur volonté de procéder directement à la reconstruction de certains services publics. Ce fut notamment le cas du Koweït qui a proposé de reconstruire les silos de blé détruits, sans que le pouvoir politique libanais ne fasse le moindre commentaire. Le Qatar a proposé de reconstruire les écoles publiques endommagées, directement sans passer par les autorités libanaises, alors que les Français ont lancé plusieurs initiatives, dont le projet de reconstruire les anciennes maisons à cachet particulier qui ont été détruites par l’explosion.

Dans la foulée de toutes ces initiatives, des appels ont été lancés pour couper toute aide directe à l’État libanais et à ses institutions, pour la donner plutôt aux ONG présentes sur le terrain. Cette démarche a obtenu l’appui d’une grande partie de la population libanaise, qui a perdu toute confiance dans la gestion du pays par le pouvoir politique. Mais elle a aussi éveillé les soupçons d’une autre fraction de la population, qui avait déjà perdu confiance à la fois dans l’État et ses institutions et dans les ONG. Des informations ont ainsi circulé sur le fait que les autorités ont mis la main sur les aides et commencé à les vendre sur le marché. Que ces informations soient vraies ou fausses, elles ont en tout cas provoqué un vent panique chez les Libanais. Ce qui montre l’absence de confiance entre la population et le pouvoir, surtout après les expériences douloureuses de mauvaise gestion des différentes crises qui se sont succédé depuis la guerre civile jusqu’à la catastrophe du port. Ce constat doit pousser les donateurs à trouver eux-mêmes les moyens sûrs de faire parvenir leurs aides à ceux qui en ont besoin.

La question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir si la communauté internationale fera en sorte que l’aide qu’elle apporte tourne à l’avantage de la classe au pouvoir en lui donnant la possibilité de se maintenir en place, sous couvert de légalité internationale et de continuité, ou bien si elle veillera à favoriser le changement, si jamais il devait se produire.


Fatima Moussaoui

Chercheuse libanaise

L’explosion assourdissante qui a ravagé le port de Beyrouth a provoqué d’énormes pertes sur tous les plans et montré combien la structure politique du Liban est fragile et impuissante face à la catastrophe, alors que le pays croulait déjà sous le poids d’une crise économique sans précédent, accentuée par la pandémie du coronavirus. On ne peut pas ne pas remarquer l’absence de...

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