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Politique - Éclairage

L’État civil proposé par Aoun sous les projecteurs

Le passage de l’appartenance communautaire à l’appartenance citoyenne sera-t-il possible ?

L’État civil proposé par Aoun sous les projecteurs

Le président Michel Aoun prononçant un discours à l’occasion du centenaire du Grand Liban, le 30 août 2020. Photo Dalati et Nohra

Le président Michel Aoun a récemment appelé à la proclamation d’un « État civil » au Liban, s’engageant à « un large dialogue » pour arriver à une nouvelle « formule ». Pour lui, « seul un État civil est capable de protéger le pluralisme, de le préserver en le transformant en unité réelle », à travers « des amendements constitutionnels appropriés ».

Le chef de l’État n’a cependant pas encore pleinement explicité sa proposition ni dit ce qu’est, pour lui, un État civil, ouvrant ainsi la voie à différentes interprétations, plus ou moins sceptiques. On sait que ce vocable renvoie généralement à un État déconfessionnalisé au plan politique, pourvu d’un statut personnel unifié et laïc, c’est-à-dire d’une loi civile unifiée pour régir le mariage.

Relancé à ce sujet, l’ancien ministre Salim Jreissati, conseiller présidentiel, précise que le chef de l’État cherche à faire évoluer les Libanais de l’appartenance communautaire à l’appartenance citoyenne. « Le président de la République est aujourd’hui convaincu de la nécessité d’un État civil, dit-il. Et quand on parle d’État civil, cela a beaucoup d’échos. Certes, notre Constitution est spécifiquement civile, quand on la compare à d’autres Constitutions qui pourraient être classées comme étatiquement religieuses. Il n’y a pas de religion d’État au Liban. La liberté de croyance est absolue. Nous sommes donc dans un État civil, mais le président souhaite faire en sorte que les Libanais jouissent d’un statut identitaire de citoyenneté, et non plus de communauté. Je crois que c’est là le trait le plus important de l’évolution recherchée. Pour ce faire, il y a à élaborer le mécanisme de l’article 95 de la Constitution (sur la répartition confessionnelle des charges de l’État), à modifier certains textes bien ciblés, mais également à pouvoir proposer un statut personnel facultatif à ceux qui le désirent, et ils sont nombreux. Mais là, il s’agit d’un sujet fortement consensuel, qui nécessite donc une concertation nationale élargie. En tout cas, la proposition est là et elle est salutaire. »

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Plusieurs personnalités politiques et religieuses se sont rangées, sans concertations, à la proposition présidentielle, sans s’y référer explicitement. Citons parmi eux le leader chrétien Sleimane Frangié, le chef druze Talal Arslane, le mufti jaafarite Ahmad Kabalan, le président du Parlement, Nabih Berry, et même le leader chiite Hassan Nasrallah. « Il est temps d’établir un État civil, capable et juste », a par exemple écrit M. Frangié sur son compte Twitter. « Un nouveau pacte politique ne peut être mis en place sans se débarrasser du communautarisme, du confessionnalisme et du racisme du système politique pour aller vers la construction d’un État civil moderne », a twitté de son côté Talal Arslane. Pour sa part, le mufti jaafarite avait appelé à la mise en place d’un nouveau système qui « réviserait ou compléterait » l’accord de Taëf signé en 1989 et à la déclaration d’un État civil et de droit. On sait en particulier que l’accord fondateur de Taëf prévoit l’abolition du confessionnalisme politique. Le président du Parlement a appelé à « changer le système confessionnel » libanais alors que le chef du Hezbollah s’est dit disposé à discuter d’un nouveau « pacte politique ».

État civil et État laïc

Dans l’attente de précisions, beaucoup de Libanais, placés devant ces données, estiment que la proposition du président est condamnée d’avance, à moins qu’il ne s’agisse d’une diversion. « Quelle différence y a-t-il entre un État civil et un État laïc ? s’interroge une source des Forces libanaises qui désire garder l’anonymat. L’État laïc, qui prévoit l’instauration du mariage civil, est totalement rejeté par les musulmans du Liban et en particulier par l’instance suprême de la communauté sunnite, Dar el-Fatwa, même quand cette proposition a été avancée de manière optionnelle. »

Par ailleurs, la proposition présidentielle se heurte à de grands obstacles nés de la conjoncture présente. Placé devant l’idée d’un « nouveau pacte politique », une expression du président Emmanuel Macron reprise à son compte par le Hezbollah, et sans se référer directement à l’instauration d’un État civil, le parti des FL, par la voix de Samir Geagea, a clairement affirmé que si un nouveau partage du pouvoir est convoité par la communauté chiite, les FL réclameraient une décentralisation « élargie », soit une forme de confédération.

Dans les milieux de l’Église maronite, on prend les choses plus posément, et l’on met l’accent moins sur la nature « civile » de l’État que sur « la neutralité positive » que doit observer le pays, en politique étrangère, s’il veut assumer son identité, son pluralisme et ses libertés.

Le Liban du second centenaire

On assure, de source épiscopale autorisée, que l’Église maronite prépare activement l’Assemblée annuelle des patriarches et évêques catholiques au Liban (APECL), qui se tiendra du 9 au 13 novembre, au cours de laquelle elle cherchera à définir sa vision du « Liban du second centenaire » et prendra position sur des thèmes centraux comme la décentralisation, la citoyenneté, la neutralité, l’État civil, la déconfessionnalisation, etc.

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En privé, toutefois, des laïcs et des évêques engagés dans le dialogue interreligieux et/ou politique rappellent, comme le reconnaît M. Jreissati, que, statut personnel mis à part, le Liban est déjà un État civil.

Ainsi, une autorité constitutionnelle comme Antoine Messarra rappelle que le Liban, cas unique dans la région du Proche et du Moyen-Orient, est doté d’une Constitution civile où aucune religion d’État n’est mentionnée, et que dans un arrêté de 1936, la création d’une communauté de droit commun, une communauté civile où aucune mention ne serait faite de la communauté, est prévue. Une disposition qui n’a jamais été respectée, mais dont certains souhaitent la mise en vigueur.

Pour M. Messarra, « le Liban est placé devant un problème d’application et non pas de changement constitutionnel ».

Ancien membre du Conseil constitutionnel, il observe aussi que « pour qu’il y ait dialogue sur la nature de l’État, il faut d’abord qu’il y ait un État et non plusieurs ». Pour lui, toutes les tentatives de dialogue sur la nature de l’État sont condamnées à l’échec, « tant qu’un interlocuteur armé » est assis à la table du dialogue, posant ses conditions et dictant sa volonté à l’État.

Athée protestant ou athée catholique ?

Au passage, M. Messarra défend indirectement le système confessionnel en notant que les communautés au Liban ne sont pas des entités religieuses, mais « socio-culturelles ». Il ne résiste pas au plaisir de raconter, pour illustrer son point de vue, l’histoire d’un milicien protestant d’Irlande du Nord qui arrête un homme à un barrage et lui demande s’il est catholique ou protestant. « Je suis athée », répond l’autre, ne sachant pas à qui il a affaire. « Pas de blague, répond le milicien, tu es athée catholique ou athée protestant ? » Bref, pour M. Messarra, le confessionnalisme politique obéit à des normes, alors qu’on en a fait le pire des instruments clientélistes.

Rejoignant sur ce point Michel Eddé, un farouche défenseur du confessionnalisme politique, et le patriarche Nasrallah Sfeir, l’essayiste Carlos Hage Chahine avertit contre « le danger d’éradiquer le confessionnalisme des lois, avant de l’éradiquer des esprits ». Pour lui, comme pour l’ancien président de la Fondation maronite dans le monde, « le système confessionnel libanais est le fruit d’une conquête historique ». M. Chahine met donc en garde contre « la tentation de jeter le bébé avec l’eau du bain ». « L’essence même du Liban est d’être un et multiple, dit-il. Un Liban pluraliste et divers ne peut s’accommoder d’un concept essentiellement réducteur tel que l’État civil. »


Le président Michel Aoun a récemment appelé à la proclamation d’un « État civil » au Liban, s’engageant à « un large dialogue » pour arriver à une nouvelle « formule ». Pour lui, « seul un État civil est capable de protéger le pluralisme, de le préserver en le transformant en unité réelle », à travers « des amendements...

commentaires (10)

Blablabla pour ne rien dire. Que l'armée soit l'unique porteur d'armes au Liban, que la loi soit appliquée par des juges indépendants et non pas des sous-fifres de pays étrangers et étranglés, après ça on discute!! D'ici là taisons nous cher prez et compagnie, pour qu'on puisse enterrer nos morts et secourir nos blessés et nos sans abris dans la paix et la dignité!

Wlek Sanferlou

18 h 43, le 11 septembre 2020

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Commentaires (10)

  • Blablabla pour ne rien dire. Que l'armée soit l'unique porteur d'armes au Liban, que la loi soit appliquée par des juges indépendants et non pas des sous-fifres de pays étrangers et étranglés, après ça on discute!! D'ici là taisons nous cher prez et compagnie, pour qu'on puisse enterrer nos morts et secourir nos blessés et nos sans abris dans la paix et la dignité!

    Wlek Sanferlou

    18 h 43, le 11 septembre 2020

  • ESSAYONS D'IMAGINER UN ÉTAT CIVIL DIFFÉRENT OU UN ÉTAT LAÏC...PUIS UN MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DE LA TREMPE DE RAAD...IL DOIT ME REPRÉSENTER PENDANT SES VOYAGES À L'ÉTRANGER NON ? IL FERA QUOI QUAND IL REMARQUE QUELQUE PART DE L'ALCOLE ? IL REPREND L'AVION DE RETOUR ?..LE LIBAN N'A JAMAIS ÉTÉ UNE NATION ET NE LE SAURA JAMAIS....QUE DES MORCEAUX COLLÉS ARTIFICIELLEMENT QU'ON APPELLE LE GRAND LIBAN. LES ANGLAIS AVAIENT LA BONNE VISION QUI DISAIENT QUE ÇA NE MARCHERA JAMAIS. ILS AVAIENT RAISON. LE LIBAN NÉ MORT. IL Y A DES ANNÉES DE LUMIÈRES ENTRE LES GENS QUI ME RESSEMBLENT ET LES GENS QUI RESSEMBLENT À RAAD...LES FANATIQUES DE TOUTES LES RELIGIONS D'AILLEURS SONT NOMBREUX SUR CETTE TERRE ET NE NOUS LAISSERONT JAMAIS CRÉER UNE NATION LAÏC LIBRE...CE NE SONT QUE DES TERRORISTES POTENTIELLES....SAUVE QUI PEUT.

    Gebran Eid

    13 h 14, le 11 septembre 2020

  • Aux ""milieux de l’Église maronite"", il faut leur rappeler que le Liban n’est pas une île (au sens politique du terme) et qu’on a, nous les Libanais, la région qu’on ne mérite pas. Que la milice divine dépose les armes et qu’on discute.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    12 h 51, le 11 septembre 2020

  • Malheureusement, rien n'est possible sous le règne des armes.

    Esber

    12 h 19, le 11 septembre 2020

  • C’est pour se donner le beau rôle lors du centenaire du Grand Liban. Rien que les faits, toujours les faits et non pas des vérités révélées, données sur le ton ex cathedra. Les faits : l’incident très récent de Khaldé entre des ""athées chiites et sunnites"", et de mort d’hommes, ou bien lors d’une réception pour un invité de marque, refuser d’être à table quand on sert du vin, alors que le Liban faisait du bon vin quand les grands producteurs actuels n’avaient pas de vignes. Il faut demander à nos théoriciens et autres constitutionnalistes de quitter leur tour d’ivoire, pour enquêter sur le terrain et se rendre compte pourquoi dans des municipalités où cohabitaient avant la guerre des musulmans et des chrétiens, les récentes revendications de se séparer en deux conseils municipaux, au détriment de l’une d’elles. On n’est pas à une contradiction près quand Aoun plaide pour le "scrutin orthodoxe" où l’électeur choisit le candidat de sa confession. Au Liban, Lors de la conquête du pouvoir, on est plutôt laïc, ça oui, où l’on piétine tous les rivaux. Et s’il faut ""éradiquer le confessionnalisme des esprits"" (sic), c’est qu’il faut procéder à une révolution culturelle qui coûtera tellement en vie humaine. Au Liban, ces notions qui apparaissent dans le débat sont contredites par les faits. Dans l’archipel libanais, tout porte à croire que si le séparatisme nous guette, il est déjà solidement mis en place dans certaines zones. C. F.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    12 h 15, le 11 septembre 2020

  • J’avais porté mon espoir sur la contagiosité du coronavirus: il faut bien qu’il serve à quelque chose!!!!!

    El Saad M

    12 h 11, le 11 septembre 2020

  • J'invite M. Aoun a proclamer la fin de l'incurie, du Vol, de la corruption, de l'Etat de non-droit, des pratiques miliciennes de ses alliés, des pratiques mafieuses de ses affidés et tant d'autres pratiques. Mais comme d'habitude, et fidele a son long son tortueux, M. Aoun ne se soucie pas des malheurs du peuple. Ca l’empêche de se voir grand.

    Lebinlon

    09 h 41, le 11 septembre 2020

  • IL A PROPOSE UN TITRE SANS VITRE... OUVERT A TOUS LES VENTS ! AVEC LES OBSCURANTISTES RELIGIEUX ET AUTRES C,EST DU DOMAINE DE L,IMPOSSIBLE POUR LE LIBAN. UNE PAROLE ET RIEN D,AUTRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 05, le 11 septembre 2020

  • Le labsus : Charles Corm et pas Georges Corm.

    Eglise Protestante Française au Liban

    08 h 14, le 11 septembre 2020

  • Tres bon éclairage de Fady Noun qui permettra aux journalistes français notamment de moins faire de la titraille autour du concept "madani" qu'ils n'ont visiblement pas assez travaillé. Un retour à l'application de la constitution serait salutaire. Michel Chiha et Georges Corm étaient loin d’être dénués de toute intelligence et de vision pour le Liban. Au moins eux, avaient une vision de ce qu'ils voulaient pour les libanais, cela a le mérite déjà de contraster avec les dirigeants actuels. L'enjeu n'est pas de se départir de sa confession ou de la dépasser mais de se défaire irréversiblement de ses intérêts personnels quand on obtient un mandat politique ou que l'on devient fonctionnaire. Les pays occidentaux sont des états civils et laïcs et la corruption existe à tous les échelons. La corruption est une affaire personnelle, mais pas privée.

    Eglise Protestante Française au Liban

    07 h 54, le 11 septembre 2020

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