Le président Michel Aoun a récemment appelé à la proclamation d’un « État civil » au Liban, s’engageant à « un large dialogue » pour arriver à une nouvelle « formule ». Pour lui, « seul un État civil est capable de protéger le pluralisme, de le préserver en le transformant en unité réelle », à travers « des amendements constitutionnels appropriés ».
Le chef de l’État n’a cependant pas encore pleinement explicité sa proposition ni dit ce qu’est, pour lui, un État civil, ouvrant ainsi la voie à différentes interprétations, plus ou moins sceptiques. On sait que ce vocable renvoie généralement à un État déconfessionnalisé au plan politique, pourvu d’un statut personnel unifié et laïc, c’est-à-dire d’une loi civile unifiée pour régir le mariage.
Relancé à ce sujet, l’ancien ministre Salim Jreissati, conseiller présidentiel, précise que le chef de l’État cherche à faire évoluer les Libanais de l’appartenance communautaire à l’appartenance citoyenne. « Le président de la République est aujourd’hui convaincu de la nécessité d’un État civil, dit-il. Et quand on parle d’État civil, cela a beaucoup d’échos. Certes, notre Constitution est spécifiquement civile, quand on la compare à d’autres Constitutions qui pourraient être classées comme étatiquement religieuses. Il n’y a pas de religion d’État au Liban. La liberté de croyance est absolue. Nous sommes donc dans un État civil, mais le président souhaite faire en sorte que les Libanais jouissent d’un statut identitaire de citoyenneté, et non plus de communauté. Je crois que c’est là le trait le plus important de l’évolution recherchée. Pour ce faire, il y a à élaborer le mécanisme de l’article 95 de la Constitution (sur la répartition confessionnelle des charges de l’État), à modifier certains textes bien ciblés, mais également à pouvoir proposer un statut personnel facultatif à ceux qui le désirent, et ils sont nombreux. Mais là, il s’agit d’un sujet fortement consensuel, qui nécessite donc une concertation nationale élargie. En tout cas, la proposition est là et elle est salutaire. »
Plusieurs personnalités politiques et religieuses se sont rangées, sans concertations, à la proposition présidentielle, sans s’y référer explicitement. Citons parmi eux le leader chrétien Sleimane Frangié, le chef druze Talal Arslane, le mufti jaafarite Ahmad Kabalan, le président du Parlement, Nabih Berry, et même le leader chiite Hassan Nasrallah. « Il est temps d’établir un État civil, capable et juste », a par exemple écrit M. Frangié sur son compte Twitter. « Un nouveau pacte politique ne peut être mis en place sans se débarrasser du communautarisme, du confessionnalisme et du racisme du système politique pour aller vers la construction d’un État civil moderne », a twitté de son côté Talal Arslane. Pour sa part, le mufti jaafarite avait appelé à la mise en place d’un nouveau système qui « réviserait ou compléterait » l’accord de Taëf signé en 1989 et à la déclaration d’un État civil et de droit. On sait en particulier que l’accord fondateur de Taëf prévoit l’abolition du confessionnalisme politique. Le président du Parlement a appelé à « changer le système confessionnel » libanais alors que le chef du Hezbollah s’est dit disposé à discuter d’un nouveau « pacte politique ».
État civil et État laïc
Dans l’attente de précisions, beaucoup de Libanais, placés devant ces données, estiment que la proposition du président est condamnée d’avance, à moins qu’il ne s’agisse d’une diversion. « Quelle différence y a-t-il entre un État civil et un État laïc ? s’interroge une source des Forces libanaises qui désire garder l’anonymat. L’État laïc, qui prévoit l’instauration du mariage civil, est totalement rejeté par les musulmans du Liban et en particulier par l’instance suprême de la communauté sunnite, Dar el-Fatwa, même quand cette proposition a été avancée de manière optionnelle. »
Par ailleurs, la proposition présidentielle se heurte à de grands obstacles nés de la conjoncture présente. Placé devant l’idée d’un « nouveau pacte politique », une expression du président Emmanuel Macron reprise à son compte par le Hezbollah, et sans se référer directement à l’instauration d’un État civil, le parti des FL, par la voix de Samir Geagea, a clairement affirmé que si un nouveau partage du pouvoir est convoité par la communauté chiite, les FL réclameraient une décentralisation « élargie », soit une forme de confédération.
Dans les milieux de l’Église maronite, on prend les choses plus posément, et l’on met l’accent moins sur la nature « civile » de l’État que sur « la neutralité positive » que doit observer le pays, en politique étrangère, s’il veut assumer son identité, son pluralisme et ses libertés.
Le Liban du second centenaire
On assure, de source épiscopale autorisée, que l’Église maronite prépare activement l’Assemblée annuelle des patriarches et évêques catholiques au Liban (APECL), qui se tiendra du 9 au 13 novembre, au cours de laquelle elle cherchera à définir sa vision du « Liban du second centenaire » et prendra position sur des thèmes centraux comme la décentralisation, la citoyenneté, la neutralité, l’État civil, la déconfessionnalisation, etc.
En privé, toutefois, des laïcs et des évêques engagés dans le dialogue interreligieux et/ou politique rappellent, comme le reconnaît M. Jreissati, que, statut personnel mis à part, le Liban est déjà un État civil.
Ainsi, une autorité constitutionnelle comme Antoine Messarra rappelle que le Liban, cas unique dans la région du Proche et du Moyen-Orient, est doté d’une Constitution civile où aucune religion d’État n’est mentionnée, et que dans un arrêté de 1936, la création d’une communauté de droit commun, une communauté civile où aucune mention ne serait faite de la communauté, est prévue. Une disposition qui n’a jamais été respectée, mais dont certains souhaitent la mise en vigueur.
Pour M. Messarra, « le Liban est placé devant un problème d’application et non pas de changement constitutionnel ».
Ancien membre du Conseil constitutionnel, il observe aussi que « pour qu’il y ait dialogue sur la nature de l’État, il faut d’abord qu’il y ait un État et non plusieurs ». Pour lui, toutes les tentatives de dialogue sur la nature de l’État sont condamnées à l’échec, « tant qu’un interlocuteur armé » est assis à la table du dialogue, posant ses conditions et dictant sa volonté à l’État.
Athée protestant ou athée catholique ?
Au passage, M. Messarra défend indirectement le système confessionnel en notant que les communautés au Liban ne sont pas des entités religieuses, mais « socio-culturelles ». Il ne résiste pas au plaisir de raconter, pour illustrer son point de vue, l’histoire d’un milicien protestant d’Irlande du Nord qui arrête un homme à un barrage et lui demande s’il est catholique ou protestant. « Je suis athée », répond l’autre, ne sachant pas à qui il a affaire. « Pas de blague, répond le milicien, tu es athée catholique ou athée protestant ? » Bref, pour M. Messarra, le confessionnalisme politique obéit à des normes, alors qu’on en a fait le pire des instruments clientélistes.
Rejoignant sur ce point Michel Eddé, un farouche défenseur du confessionnalisme politique, et le patriarche Nasrallah Sfeir, l’essayiste Carlos Hage Chahine avertit contre « le danger d’éradiquer le confessionnalisme des lois, avant de l’éradiquer des esprits ». Pour lui, comme pour l’ancien président de la Fondation maronite dans le monde, « le système confessionnel libanais est le fruit d’une conquête historique ». M. Chahine met donc en garde contre « la tentation de jeter le bébé avec l’eau du bain ». « L’essence même du Liban est d’être un et multiple, dit-il. Un Liban pluraliste et divers ne peut s’accommoder d’un concept essentiellement réducteur tel que l’État civil. »
commentaires (10)
Blablabla pour ne rien dire. Que l'armée soit l'unique porteur d'armes au Liban, que la loi soit appliquée par des juges indépendants et non pas des sous-fifres de pays étrangers et étranglés, après ça on discute!! D'ici là taisons nous cher prez et compagnie, pour qu'on puisse enterrer nos morts et secourir nos blessés et nos sans abris dans la paix et la dignité!
Wlek Sanferlou
18 h 43, le 11 septembre 2020