Depuis que le président français Emmanuel Macron a prononcé la formule d’un nouveau pacte politique, devenu selon lui nécessaire au Liban, la machine politique s’est emballée entraînant des réactions mitigées d’approbation, de prudence, voire de refus de tout changement du statu quo.
L’affluence des concepts – Constituante, révision de Taëf, répartition du pouvoir par tiers (entre sunnites chiites et chrétiens), État civil, ou encore décentralisation poussée comme l’a suggéré il y a deux jours le chef des Forces libanaises Samir Geagea – a donné lieu à une véritable foire d’empoigne qui rappelle tristement d’anciens débats qui ont jalonné l’histoire récente du Liban, faisant ressurgir les vieilles peurs de la démographie et des rapports de force en présence.
Saisie au vol par le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, l’idée d’un changement de système suggérée par la France a été saluée par ce dernier. Le chef du parti chiite a toutefois laissé entendre que ce débat doit être le fruit d’une volonté de toutes les composantes politiques du pays, de sorte à respecter les appréhensions des uns et des autres.
Le président du Parlement Nabih Berry lui a emboîté le pas, saisissant l’occasion du centenaire du Grand Liban et la catastrophe du port pour annoncer la mort de l’édifice politique et économique du pays et la nécessité de le remplacer.
L’État civil
Quelques jours plus tard, dans un discours prononcé à la vieille du centenaire, le président de la République Michel Aoun a demandé que le Liban soit déclaré « État civil » et s’est engagé à susciter un dialogue national aboutissant à « une formule acceptable par tous et pouvant être mise en place à travers des amendements constitutionnels appropriés ».
Une prise de position qui serait, diront certains, une réponse à la « neutralité active » réclamée quelques semaines plus tôt par le patriarche maronite Béchara Raï, et une volonté du chef de l’État de marquer son empreinte sur ce nouveau paysage politique en gestation.
Mais la chaîne des réactions ne s’est pas arrêtée à ce stade. Évoquant dimanche dernier une « crise existentielle », le chef des FL, Samir Geagea, a renvoyé la balle dans le camp du Hezbollah en recourant à une astuce similaire : brandir la menace de la Constituante avec une interprétation extensive pour mieux négocier tout changement à venir, voire pour tenter de rétablir un équilibre des forces.
« Si vous voulez une Constituante, qu’il en soit ainsi, nous y sommes disposés. Mais vous devez savoir que dans ce cas, la décentralisation élargie sera au centre de cette Constituante », a dit M. Geagea tout en saisissant l’occasion pour rectifier le tir en rappelant au président que « l’État civil » existe déjà au Liban à l’exception des statuts personnels et des hauts postes administratifs.
Les Forces libanaises estiment qu’il s’agit d’un nouveau défi pour contrer celui lancé par le parti chiite. Dans les milieux de la formation chrétienne, on n’hésite pas à maintenir le concept de la « décentralisation élargie » dans le vague. « Que chacun l’interprète comme il veut y compris dans le sens du fédéralisme », affirme à L’Orient-Le Jour un cadre du parti. Une manière de répondre, selon lui, au flou artistique entretenu par le Hezbollah, qui évoque un nouveau pacte ou Constituante, sans dire ce qu’il en est exactement : une répartition du pouvoir par tiers ou d’autres hauts postes au sein de l’État que la communauté souhaite briguer.
L’histoire se répète
Ce n’est pas la première fois que le parti chiite entretient le flou sur ce qu’il ambitionne obtenir en matière de changement. En 2012, le Hezbollah avait déjà évoqué la nécessité d’une Constituante, sans préciser clairement si elle devait remettre en cause la parité consacrée par l’accord de Taëf pour lui substituer une répartition par tiers. C’était notamment le cas durant les débats qui avaient eu lieu en 2007 à la Celle-Saint-Cloud, organisés par la France suite à une crise du pouvoir inédite et une série d’assassinats politiques qui ont endeuillé le pays. Selon des informations de presse qui avaient circulé à l’époque, les Iraniens auraient fait parvenir par le biais des Français que la formule négociable pourrait être une plus large part de pouvoir accordée aux chiites en contrepartie du désarmement du Hezbollah.
« Je n’ai entendu à aucun moment le Hezbollah évoquer une répartition par tiers », affirme Salim Sayegh, qui représentait les Kataëb à ces débats, en réaction aux informations distillées par les médias à l’époque. D’après lui, plusieurs personnalités issues du camp du 14 Mars étaient convaincues que cette formule n’était pas loin de l’esprit du parti chiite.
« La répartition par tiers existe déjà de facto. Certains disent que le Hezbollah veut encore la graver dans les textes. Je ne crois pas que ce soit le cas », commente le vice-président des Kataëb pour qui le tandem chiite maîtrise, outre l’arsenal militaire, une partie non négligeable du territoire libanais et de la fonction publique largement investie par le mouvement Amal.
Ce débat autour d’une nouvelle répartition du pouvoir et des frontières acceptables par l’une et l’autre communauté a été de nouveau suscité à la réunion de Doha, considérée comme un Taëf bis et survenue dans le sillage du coup de force mené par le Hezbollah à Beyrouth et dans la montagne en mai 2008.
Le marché conclu, à savoir un consensualisme au gouvernement et le silence sur l’arsenal du parti pro-iranien, venait de consacrer la perpétuation du statu quo, une situation on ne peut plus confortable pour le Hezbollah.
C’est un peu l’avis que développe l’ancien député haririen Moustapha Allouche, qui se dit persuadé que le Hezbollah se satisfait de la situation actuelle tant que son arsenal n’est pas remis en cause. Selon M. Allouche, le parti chiite ne brandit le spectre de la Constituante ou de la répartition par tiers que pour faire peur. « Tout ce qui intéresse le Hezbollah est de se servir du Liban comme son arrière-cour militaire », dit-il.
Les priorités d’abord
Dans les milieux du parti pro-iranien, on reprend la même rhétorique et les formules politiquement correctes pour signifier qu’aucun changement n’est envisageable en dehors de l’accord de l’ensemble des parties en présence. Cela dit, ajoute une source proche du parti, les circonstances actuelles ne permettent pas vraiment ce saut qualitatif, la priorité étant au règlement de la situation économique et financière et à la formation du nouveau gouvernement. « Il faudra aussi voir comment va se décanter la situation régionale et internationale », lance la source en allusion notamment à la présidentielle américaine en novembre prochain.
En définitive c’est une guerre de concepts et de formules que se livrent actuellement les parties en présence, sans que cela ne reflète nécessairement les intentions véritables des uns et des autres. Face à la complexité des problèmes et l’immensité des défis, l’attentisme reste de mise.
Pour le courant du Futur, tant qu’il n’y a aucune proposition « convaincante » pour un projet de réforme du système politique, il reste attaché à Taëf dont plusieurs clauses n’ont d’ailleurs jamais été appliquées, notamment l’abolition du confessionnalisme politique, la décentralisation et la création du Sénat.
commentaires (7)
Lorsqu’on apprend par hasard que Raad a quitté le déjeuner offert par Michel Aoun en l’honneur de Emmanuel Macron parce que du vin était servi, ça en dit long sur l’interprétation du Hezbollah du vivre ensemble et de l’Etat laïc. Ainsi moi chrétien libanais affirme haut et fort que je ne changerai en rien mes libertés individuelles meme au détriment du vivre ensemble dont je n’ai plus rien à faire
Lecteur excédé par la censure
08 h 37, le 11 septembre 2020