Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, n’a pas attendu trop longtemps pour se prononcer au sujet du prochain gouvernement, sur la forme et dans le fond. Dans sa toute première homélie après la nomination de Moustapha Adib pour former la nouvelle équipe, il a appelé à la mise en place d’un cabinet restreint qui inclurait la neutralité du Liban dans sa déclaration ministérielle, entrant ainsi en collision avec la présidence de la République et le Hezbollah.
Dans le prolongement de son appel à ce que soit consacrée la neutralité du pays pour laquelle il plaide sans relâche depuis le 5 juillet dernier, le patriarche maronite a exprimé « le souhait de voir le prochain gouvernement suivre les traces des anciennes équipes ministérielles qui, entre 1943 et 1980, adoptaient une politique étrangère axée sur la neutralité et le non-alignement ».
Il s’en est pris dans le même temps à la classe politique, tout en définissant les grandes lignes de l’action du gouvernement qui devrait, selon lui, être formé dans la prochaine phase. « Il faut mettre en place une équipe ministérielle qui soit à la hauteur de la phase actuelle. Le Premier ministre désigné peut atteindre cet objectif en se conformant à la Constitution, au pacte national et à la véritable démocratie », a-t-il dit.
Et Mgr Raï de s’adresser au Premier ministre désigné en ces termes : « Formez un gouvernement d’urgence, restreint, capable et fort. Les temps difficiles exigent un gouvernement pour le peuple et par le peuple, au sein duquel les portefeuilles ne sont pas monopolisés, un cabinet loin du partage du gâteau et du clientélisme », soutenant ainsi Moustapha Adib dans sa volonté de former une équipe restreinte. Avant de renchérir : « Il faut un gouvernement qui puisse négocier d’une manière responsable avec le Fonds monétaire international, qui lancerait aussi les chantiers de réformes et de la neutralité du Liban par rapport aux conflits. »
Les propos du dignitaire maronite s’inscrivent ainsi dans le prolongement de l’initiative française de redressement du Liban, principalement axée sur la mise en place d’un gouvernement de spécialistes indépendants dans un délai de quinze jours, dont quatre sont déjà écoulés. Mais ils sont surtout de nature à crisper la présidence de la République et le Hezbollah. Et pour cause : contrairement au patriarche Raï et au chef du gouvernement désigné, le président Michel Aoun et le parti chiite semblent favorables à une formule élargie allant de 20 à 24 ministres. Une position que le chef de l’État a clairement exprimée devant M. Adib lors de leur dernier entretien jeudi dernier à Baabda. Mais un proche de la présidence contacté par L’Orient-Le Jour tient à assurer que cette question ne devrait pas entraver la mission du Premier ministre désigné, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une condition à laquelle M. Aoun lie son feu vert au cabinet Adib.
Dans le fond, le chef de l’Église maronite a tenté de s’inviter, du moins moralement, dans le débat gouvernemental, en traçant les grandes lignes de l’action de la future équipe, notamment pour ce qui est de la neutralité. Cette position, la présidence ne semble pas l’approuver, du moins pour le moment. Elle préfère attendre que soit formé le cabinet avant de se lancer dans le débat portant sur la déclaration ministérielle, selon le proche de Baabda précité.
De son côté, le Hezbollah, dont les rapports avec Mgr Raï sont rompus depuis la visite de ce dernier en Terre Sainte pour y accueillir le pape François en 2014, est naturellement hostile à ce que la neutralité fasse partie intégrante de la déclaration ministérielle. Mais dans une volonté de ne pas alimenter la polémique avec le patriarche, des milieux proches du parti préfèrent ne pas commenter l’homélie dominicale d’hier. Ils se contentent d’affirmer que le parti est attaché à ses « constantes ». Une allusion à la fameuse formule « armée, peuple, résistance », si chère au parti chiite.
Poursuite des contacts
Un éventuel bras de fer autour de la neutralité du Liban ne devrait pas mettre des bâtons dans les roues de Moustapha Adib, d’autant qu’il se joue en dehors de l’initiative française portant principalement sur le redressement économique du pays. Un plan approuvé à l’unanimité par les chefs de file politiques lors de leur rencontre avec Emmanuel Macron, mardi dernier à la Résidence des Pins. Il n’en demeure pas moins que le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, a sciemment évité d’évoquer le dossier gouvernemental dans son discours au terme de la messe célébrée hier à Meerab à la mémoire des « martyrs de la Résistance libanaise ». Une façon pour lui de se donner une marge de manœuvre pour se prononcer au sujet de la composition de la nouvelle équipe et accorder (ou non) la confiance à un cabinet auquel son parti ne participera pas, comme l’avait annoncé Georges Adwan, député FL du Chouf, à l’issue des consultations parlementaires non contraignantes tenues mercredi dernier à Aïn el-Tiné. Meerab préfère donc attendre le programme de la future équipe avant de dire son dernier mot.
Pour sa part, Moustapha Adib poursuit ses contacts loin des feux de la rampe en vue de mettre sur pied un gouvernement d’ici à la fin de la semaine prochaine. Après sa réunion avec le chef de l’État, il aurait eu une rencontre « positive » avec Hussein Khalil, bras droit du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, et Ali Hassan Khalil, conseiller du président de la Chambre Nabih Berry. À en croire une source proche du dossier, les participants ont discuté de quelques idées dont les grandes lignes ne peuvent être révélées à ce stade. Il est encore tôt pour parler de la formation du gouvernement, confie cependant la même source. Une impression que confirment des informations rapportées par notre correspondant Mounir Rabih, selon lesquelles face à l’insistance de M. Berry de conserver le portefeuille des Finances, la présidence serait attachée au maintien des portefeuilles de l’Énergie et des Affaires étrangères. Les milieux de Baabda réagissent en assurant que le président Aoun n’a de veto sur aucun ministre.
En attendant l’issue des contacts en cours, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, est revenu à la charge au sujet de l’urgence pour le Liban d’opérer des réformes. Dans une interview accordée hier à Radio France internationale, il a déclaré : « Les Libanais doivent mettre en œuvre des réformes. Tout le monde sait lesquelles doivent être réalisées. Et la France doit ensuite parallèlement aider à la reconnaissance de ces réformes par la communauté internationale. »
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Le patriarche Al Rai “a appelé à la mise en place d’un cabinet restreint qui inclurait la neutralité du Liban dans sa déclaration ministérielle, entrant ainsi en collision avec la présidence de la République et le Hezbollah. » Quel Libanais ne serait pas d’accord avec le prelat ? Quel interet avons-nous de suivre aveuglement l’Iran dans ses activites terroristes en Syrie, en Iraq, au Yemen, au Koweit …et j’en passe. Seul le hezbollah , qui dit lui-même recevoir ses ressources, ses armes et ses instructions de l’Iran a un quelconque interet a servir de chair a canon aux ambitions perses. Mais comment comprendre le suivisme aveugle du chef de l’Etat (et de son parti) , qui a jure sur la constitution de defendre le Liban , et qui fait tout son possible pour isoler notre pays et le mettre a mal avec son environnement naturel et avec le monde libre . Les seuls pays freres sont devenus la Syrie de Assad et l’Iran des mullah. Merci la France d’etre accourue in extremis. Est-ce la vocation ou les esperances des co-religionnaires de monsieur aoun de suivre pareille politique ? La seule reponse pour comprendre ce comportement , c’est le patriarche lui-meme qui l’a donnee : « l’Etat est en etat de siege » . Effectivement qui d’autre que la seule milice sectaire armee au Liban , a savoir le hezbollah, peut assieger le Pouvoir et lui imposer ( ?!) ses options destrucrices pour notre pays. Les gens libres doivent œuvrer sans relache pour reclamer la neutralite positive du Liban
Goraieb Nada
08 h 15, le 08 septembre 2020