
« Nous essayons d’imposer des sanctions à ceux qui s’efforcent d’entraver les réformes », a affirmé hier David Schenker. Photo AFP
Mettant leurs menaces à exécution, les États-Unis ont imposé hier des sanctions contre deux anciens ministres proches du Hezbollah, Youssef Fenianos et Ali Hassan Khalil, tous deux accusés par le département du Trésor américain d’avoir « trempé dans des affaires de corruption qui ont bénéficié au Hezbollah ». Cette décision, qui intervient alors que le Liban est engagé dans un processus ardu de formation d’un cabinet censé refléter un nouveau style de gouvernance correspondant aux vœux de changement des Libanais, est à considérer aussi bien sous l’angle de son timing que de celui du message qu’elle véhicule durant cette étape charnière pour le pays, surtout qu’elle semble être la première d’une série. C’est ce que le secrétaire d’État adjoint pour le Proche-Orient, David Schenker, a annoncé en soirée lors d’un échange en ligne avec un groupe de journalistes.
Dans son communiqué hier, le Trésor US indique que les deux ministres ont « fourni un soutien matériel au Hezbollah et se sont livrés à des actes de corruption ». « Ces désignations soulignent la façon dont certains politiciens libanais ont conspiré avec le Hezbollah au détriment du peuple et des institutions libanaises. Les États-Unis soutiennent le peuple libanais dans ses appels pour un gouvernement transparent et responsable exempt de corruption. L’explosion catastrophique au port de Beyrouth le 4 août a amplifié l’urgence de ces appels, et le gouvernement américain soutient fermement les revendications du peuple libanais », ajoute le texte.
Le département du Trésor estime aussi que la crise au Liban découle « de décennies de corruption et de mauvaise gestion économique » et met en cause directement le Hezbollah. Il rappelle également que les manifestations contre le pouvoir ont débuté en octobre 2019 avec pour slogan « tous c’est-à-dire tous ».
Un travail long et fourni
Pourquoi Youssef Fenianos, un ancien ministre des Travaux publics et des Transports, membre du courant des Marada, et Ali Hassan Khalil, bras droit du président de la Chambre Nabih Berry et ancien ministre (Amal) des Finances ? Techniquement, « le classement prend du temps parce qu’il suppose un travail long et fourni effectué par des avocats et des agences spécialisées, qui lui confère sa crédibilité », a expliqué M. Schenker qui a ajouté : « Oui, il faut s’attendre à davantage de sanctions » contre des officiels libanais, sans vouloir en dire davantage.
Politiquement, le timing de la démarche américaine sonne comme un avertissement aux différents acteurs de la majorité parlementaire constituée autour du Hezbollah. Le choix de personnalités proches de leaders influents, réputés pour leurs liens avec la formation chiite, n’est sûrement pas fortuit. Il devrait rendre pratiquement impossible aujourd’hui pour la majorité de se prêter de nouveau au jeu lamentable de la formation d’un gouvernement prétendument indépendant mais dont la composition répond au seul critère de partage des parts entre ses composantes qui continuent de faire la sourde oreille à tous les appels au changement et qui tiennent les rênes d’un pays à l’agonie. À moins que cette majorité n’opte pour une confrontation, auquel cas le prix serait « la disparition d’un Liban » affaibli, isolé et en faillite, pour reprendre les termes employés par le chef de la diplomatie française, Jean-Yves le Drian, à la veille de la deuxième visite du président Emmanuel Macron, le 1er septembre à Beyrouth.
La décision américaine vient ainsi renforcer la mission menée par la France pour rendre la vie à un pays à l’agonie. Même si David Schenker considère qu’« aucun État ne devrait dire au Liban ce qu’il devrait faire », le responsable américain reconnaît que l’initiative française a « de nombreuses qualités, d’autant que la perspective d’un gouvernement engagé à combattre la corruption et à faire prévaloir la transparence permettra de voler au secours du peuple libanais ». « Nous essayons d’imposer des sanctions à ceux qui s’efforcent d’entraver les réformes », a-t-il ajouté.
« L’agenda terroriste du Hezbollah »
« Les États-Unis soutiennent le peuple libanais dans ses demandes de réformes et continueront à utiliser tous les moyens à leur disposition pour viser ceux qui les oppriment et exploitent », devait souligner, à son tour, le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin. « La corruption est endémique au Liban et le Hezbollah a exploité le système politique pour répandre son influence maligne », a-t-il observé.
« Nous soutenons l’appel du peuple libanais aux réformes et nous encouragerons que soit tenu pour responsable quiconque facilite l’agenda terroriste du Hezbollah, a écrit de son côté sur son compte Twitter le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, peu après l’annonce des sanctions. Aujourd’hui, les États-Unis désignent deux anciens ministres libanais corrompus qui ont abusé de leur position pour apporter un soutien matériel au Hezbollah », a-t-il ajouté.
Ces mesures punitives « doivent servir d’avertissement : les États-Unis n’hésiteront pas à sanctionner toute personne ou entité qui soutient et rend possibles les activités terroristes illicites du Hezbollah », a dit à des journalistes un haut responsable américain. « Et les responsables politiques libanais qui ont fourni au Hezbollah un faux vernis de légitimité politique, ou abusé de leurs positions pour rediriger des fonds publics vers le groupe terroriste, sont responsables de leurs actes », a-t-il ajouté. Ce responsable a également affirmé que les deux ministres visés étaient impliqués dans la gestion du port, tout en précisant que ce n’était pas la raison des sanctions actuelles.
Interrogé sur le point de savoir si des sanctions allaient également viser le chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil et le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé, David Schenker s’est contenté de répondre que son pays n’avance pas de noms.
Il n’en demeure pas moins que ce sont plusieurs messages qui ont été véhiculés hier par les Américains alors qu’au Liban, les tractations pour la formation de l’équipe ministérielle de Moustapha Adib paraissait de nouveau prisonnières de la valse du partage des portefeuilles au sein du cercle fermé des partis de la majorité parlementaire.
Les « chefs d’accusation »
Selon le département américain du Trésor, « en tant que ministre des Finances, Ali Hassan Khalil était l’un des responsables sur qui le Hezbollah avait une influence en vue d’obtenir un bénéfice financier ». « Fin 2017, peu de temps avant les élections législatives libanaises de mai 2018, les dirigeants du Hezbollah, craignant un affaiblissement de leur alliance politique avec le mouvement Amal, sont parvenus à un accord avec M. Khalil qui était prêt à recevoir le soutien du Hezbollah pour s’assurer une victoire politique. M. Khalil a œuvré pour transférer de l’argent, en évitant l’application des sanctions américaines contre des ministères ou des institutions liés au Hezbollah. De plus, M. Khalil a utilisé sa position en tant que ministre des Finances pour tenter d’assouplir les restrictions financières américaines contre le Hezbollah, afin que le groupe ait moins de difficultés à transférer de l’argent. M. Khalil a également œuvré pour exempter un affilié au Hezbollah du paiement de la plupart des taxes sur des appareils électroniques importés au Liban, et une partie de ce qui a été payé a été utilisée pour soutenir le Hezbollah. À la fin de 2019, M. Khalil, en tant que ministre des Finances, a refusé de signer des chèques à l’ordre de fournisseurs pour le gouvernement dans le but de solliciter des pots-de-vin. Il a exigé qu’un pourcentage des contrats lui soit payé directement », poursuit le communiqué du Trésor US.
Youssef Fenianos, né en 1964 à Zghorta (Nord), a été ministre des Travaux publics et des Transports de 2016 à 2020. « À la mi-2019, le Hezbollah a utilisé ses relations avec des responsables du gouvernement libanais, y compris M. Fenianos, pour siphonner des fonds des budgets gouvernementaux afin de garantir que des entreprises appartenant au Hezbollah remportent des appels d’offres du gouvernement libanais valant des millions de dollars », accuse le département US du Trésor. « En 2015, le Hezbollah a donné à M. Fenianos des centaines de milliers de dollars en échange de faveurs politiques. La même année, M. Fenianos a rencontré régulièrement Wafic Safa, que le Trésor américain a désigné en 2019 pour son rôle de leader dans l’appareil sécuritaire du Hezbollah. M. Fenianos a également aidé le Hezbollah à avoir accès à des documents juridiques sensibles liés au Tribunal spécial pour le Liban et a servi d’intermédiaire entre le Hezbollah et ses alliés politiques. En plus de ses activités de soutien au Hezbollah, M. Fenianos a commis des actes de corruption alors qu’il était ministre des Transports en détournant des fonds du ministère pour offrir des avantages et renforcer ses alliances politiques », conclut le département américain du Trésor.
Ces accusations sont assez précises. Elles devraient, si l'on veut vraiment, comme on le prétend, lutter contre la corruption, donner lieu à une enquête .immédiate. Quel juge osera le faire?
19 h 38, le 09 septembre 2020