Les Etats-Unis ont imposé mardi des sanctions à deux anciens ministres libanais, Youssef Fenianos et Ali Hassan Khalil, pour "corruption" et soutien au Hezbollah, considéré comme une organisation terroriste par Washington.
Youssef Fenianos, chrétien, est un ancien ministre des Travaux et des Transports publics, membre du courant Marada (du chef chrétien du Liban-Nord Sleiman Frangié), allié au parti chiite. Ali Hassan Khalil, chiite, était quant à lui ministre des Finances (depuis 2014) et ancien ministre de la Santé. Ce pilier du parti Amal (de Nabih Berry), également allié au Hezbollah, était l'un des responsables fréquemment conspués par la rue et avait été écarté (au profit de Ghazi Wazni) du gouvernement de technocrates mis en place en début d'année.
Dans un communiqué, le département du Trésor indique que les deux ministres ont "fourni un soutien matériel au Hezbollah et se sont livrés à des actes de corruption". "Ces désignations soulignent la façon dont certains politiciens libanais ont conspiré avec le Hezbollah au détriment du peuple et des institutions du Liban, peut-on lire dans le texte. Les États-Unis soutiennent le peuple libanais dans ses appels pour un gouvernement transparent et responsable exempt de corruption. L'explosion catastrophique du port de Beyrouth le 4 août 2020 a amplifié l'urgence de ces appels, et le gouvernement américain soutient fermement les revendications du peuple libanais". Le département du Trésor estime dans son communiqué que la crise au Liban découle "de décennies de corruption et de mauvaise gestion économique" et met en cause le Hezbollah. Il rappelle également que les manifestations contre le pouvoir ont débuté en octobre 2019 avec pour slogan "Tous c'est-à-dire tous".
Ali Hassan Khalil
Ali Hassan Khalil, né en 1964 à Khiam (Sud), a été ministre des Finances de 2014 à 2020. Il a aussi été ministre de la Santé de 2011 à 2014. "En tant que ministre des Finances, M. Khalil était l'un des responsables sur qui le Hezbollah avait une influence en vue d'obtenir un bénéfice financier, indique le département américain. Fin 2017, peu de temps avant les élections législatives libanaises de mai 2018, les dirigeants du Hezbollah, craignant un affaiblissement de leur alliance politique avec le mouvement Amal, sont parvenus à un accord avec M. Khalil qui était prêt à recevoir le soutien du Hezbollah pour s'assurer une victoire politique. M. Khalil a œuvré pour transférer de l'argent en évitant l'application des sanctions américaines contre des ministères ou des institutions liés au Hezbollah. De plus, M. Khalil a utilisé sa position en tant que ministre des Finances pour tenter d'assouplir les restrictions financières américaines contre le Hezbollah, afin que le groupe ait moins de difficultés à transférer de l'argent. M. Khalil a également œuvré pour exempter un affilié au Hezbollah du paiement de la plupart des taxes sur des appareils électroniques importés au Liban, et une partie de ce qui a été payé a été utilisée pour soutenir le Hezbollah. À la fin de 2019, M. Khalil, en tant que ministre des Finances, a refusé de signer des chèques à l'ordre de fournisseurs pour le gouvernement dans le but de solliciter des pots-de-vin. Il a exigé qu'un pourcentage des contrats lui soit payé directement".
Youssef Fenianos
M. Fenianos, né en 1964 à Zghorta (Nord), a été ministre des Transports et des Travaux publics de 2016 à 2020. "À la mi-2019, le Hezbollah a utilisé ses relations avec des responsables du gouvernement libanais, y compris M. Fenianos, pour siphonner des fonds des budgets gouvernementaux afin de garantir que des entreprises appartenant au Hezbollah remportent des appels d'offres du gouvernement libanais valant des millions de dollars", accuse le département US du Trésor. "En 2015, le Hezbollah a donné à M. Fenianos des centaines de milliers de dollars en échange de faveurs politiques. La même année, M. Fenianos a rencontré régulièrement Wafic Safa, que le Trésor américain a désigné en 2019 pour son rôle de leader dans l'appareil sécuritaire du Hezbollah. M. Fenianos a également aidé le Hezbollah à avoir accès à des documents juridiques sensibles liés au Tribunal spécial pour le Liban et a servi d'intermédiaire entre le Hezbollah et ses alliés politiques. En plus de ses activités de soutien au Hezbollah, M. Fenianos a commis des actes de corruption alors qu'il était ministre des Transports en détournant des fonds du ministère pour offrir des avantages et renforcer ses alliances politiques", conclut le département américain du Trésor.
"L’agenda terroriste du Hezbollah"
"La corruption est endémique au Liban et le Hezbollah a exploité le système politique pour répandre son influence maligne", a déclaré le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin. "Les Etats-Unis soutiennent le peuple libanais dans ses demandes de réformes et continueront à utiliser tous les moyens à leur disposition pour viser ceux qui les oppriment et exploitent", a-t-il prévenu.
"Nous soutenons l'appel du peuple libanais aux réformes et nous encouragerons que soit tenu pour responsable quiconque facilite l’agenda terroriste du Hezbollah, a écrit de son côté sur son compte Twitter le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, peu après l'annonce des sanctions. Aujourd'hui, les États-Unis désignent deux anciens ministres libanais corrompus qui ont abusé de leur position pour apporter un soutien matériel au Hezbollah", a-t-il ajouté.
We stand with the Lebanese people’s call for reform and will promote accountability for anyone facilitating Hizballah’s terrorist agenda. Today the U.S. is designating two corrupt former Lebanese ministers who abused their positions to provide material support to Hizballah.
— Secretary Pompeo (@SecPompeo) September 8, 2020
Ces mesures punitives "doivent servir d'avertissement : les Etats-Unis n'hésiteront pas à sanctionner toute personne ou entité qui soutient et rend possibles les activités terroristes illicites du Hezbollah", a dit à des journalistes un haut responsable américain. "Et les responsables politiques libanais qui ont fourni au Hezbollah un faux vernis de légitimité politique, ou abusé de leur position pour rediriger des fonds publics vers le groupe terroriste, sont responsables de leurs actes", a-t-il ajouté. Ce responsable a également affirmé que les deux ministres visés étaient impliqués dans la gestion du port de Beyrouth, tout en précisant que ce n'était pas la raison des sanctions actuelles.
Le 26 juin, l'ambassadrice des Etats-Unis au Liban Dorothy Shea avait affirmé que des sanctions pourraient viser des alliés non-chiites du Hezbollah.
Ces sanctions interviennent une semaine après la visite du secrétaire d’État adjoint américain chargé du Proche-Orient, David Schenker, à Beyrouth. Ce dernier avait alors limité ses entretiens avec des représentants de la société civile et des députés démissionnaires. Les échanges avec certaines personnalités qu’il a rencontrées ont porté sur la question des sanctions que Washington brandit comme une épée de de Damoclès au-dessus de la tête des responsables libanais.
"Un nouveau train de sanctions sera annoncé de manière imminente. Elles ne toucheront pas directement des personnalités de premier, mais de second rang. L’idée est d’envoyer un message fort à leurs parrains politiques respectifs", avait alors indiqué une source bien informée à L'Orient-Le Jour.
Après l'explosion dévastatrice et meurtrière du 4 août, Washington a appuyé les appels de la France, en première ligne, pour obtenir un gouvernement libanais radicalement différent des précédents, capable d'enclencher, enfin, des réformes structurelles pour extirper le Liban du marasme économique. Mais les Etats-Unis mettent davantage l'accent sur la nécessité de combattre l'influence du Hezbollah, un mouvement pro-Iran honni côté américain.
Ils ont la tête de l’emploi. Je les verrai bien avec la mention wanted sur leurs photos accrochées sur tous les murs du pays.
18 h 09, le 09 septembre 2020