Les allusions et les petites pointes sarcastiques n’ont pas manqué de fuser ces derniers jours aussi bien à Paris qu’à Beyrouth, avec comme toile de fond cette question : l’attitude musclée adoptée par le président Emmanuel Macron à l’égard de la situation créée au Liban après l’explosion apocalyptique du 4 août n’est-elle pas une ingérence directe dans les affaires intérieures du pays du Cèdre ? Une interrogation qui peut paraître innocente à première vue mais qui cache en fait une méconnaissance ou – pire encore – une occultation délibérée de certaines réalités objectives et historiques.
La première de ces réalités est que les relations entre la France et le Liban ne sont pas des relations ordinaires, classiques, qui existeraient entre deux pays liés par des rapports de routine. Elles remontent à très loin dans l’histoire et, surtout, elles revêtent un caractère véritablement privilégié et s’inscrivent dans le temps, comme l’a relevé pas plus tard que le week-end dernier le chef du Quai d’Orsay, Jean-Yves Le Drian.
L’ancien ministre français de la Culture et président de l’Institut du monde arabe Jack Lang évoquait dans ces mêmes colonnes « un lien affectif, des liens d’exception », allant même jusqu’à faire état d’une « libanophilie » perceptible en France. Ce qui n’est pas sans rappeler la petite phrase lancée par le général Charles De Gaulle : « Les Libanais sont le seul peuple dont jamais le cœur n’a cessé de battre au rythme de la France. » La réciproque se manifeste souvent au niveau français lorsque le Liban est confronté à des épreuves douloureuses.
Ces liens « affectifs » se sont traduits à travers l’histoire par des actions concrètes. D’aucuns ignorent ou feignent d’oublier qu’en 1860 Napoléon III avait dépêché en urgence des forces armées à Beyrouth afin de mettre un terme aux massacres confessionnels à grande échelle dont le Mont-Liban était le théâtre. Comment oublier en outre la réaction véhémente du général De Gaulle après l’attaque israélienne contre l’aéroport de Beyrouth en 1968 ?
Sur un plan plus formel, et indépendamment du cas spécifique du Liban, il n’est pas superflu de rappeler la notion de « droit d’ingérence » – ou d’une façon plus prosaïque « d’assistance à peuple en danger » – lancée à la fin des années 70 par Jean-François Revel et reprise avec fracas dans les années 80 (bien que controversée) par le fondateur de Médecins sans frontières, Bernard Kouchner. C’est dire que l’initiative musclée entreprise par Emmanuel Macron au lendemain du 4 août s’inscrit dans la logique de ce « droit d’ingérence » lorsqu’une population est dans une situation critique, mais elle est surtout en totale adéquation avec les liens ancestraux et historiques privilégiés tissés au fil des siècles – depuis le XIIIe siècle – entre la France et le Liban.
Certains objectent malgré tout en soulignant que l’assistance ne signifie pas nécessairement une implication aussi soutenue dans les dossiers des réformes, de la formation du gouvernement et, d’une manière générale, de la solution politique qui devrait permettre aux Libanais de sortir du marasme actuel. S’il est vrai qu’il revient aux seules parties libanaises de débattre (dans un climat serein, calme et de paix civile) de la refonte possible du système politique, il n’en est nullement de même dans le cas bien particulier de la gouvernance et de la gestion de la chose publique. Certains milieux oublient un peu trop rapidement qu’aujourd’hui, plus que jamais, le Liban est demandeur d’une aide financière étrangère urgente.
L’on a tendance à occulter le fait qu’en avril 2018, une conférence internationale de soutien au Liban avait été organisée à Paris à l’initiative du président Macron et qu’elle avait approuvé une enveloppe de 11 milliards de dollars d’aide au Liban, mais à la condition sine qua non que des réformes bien précises soient mises en œuvre au préalable par le gouvernement libanais. Depuis, la France et la communauté internationale n’ont cessé d’exhorter le pouvoir libanais à appliquer les réformes requises, notamment dans le secteur de l’électricité, afin de débloquer l’aide de 11 milliards de dollars. En vain…
Face au laxisme et aux louvoiements de l’exécutif sur ce plan, le pays a besoin, plus particulièrement après le cataclysme du 4 août, d’un catalyseur pour amorcer un redressement économique et social qui ne saurait attendre. C’est précisément ce rôle de catalyseur qu’Emmanuel Macron a pris le risque de jouer pour accélérer le processus de salut mais en prenant bien soin de garantir que l’aide internationale sera utilisée à bon escient et qu’elle ne sera pas dilapidée comme ce fut le cas par le passé. Il n’a fait à cet égard que réitérer les appels aux réformes lancés depuis plus de deux ans par la France et les pays donateurs.
Il ne s’agit pas pour autant de faire preuve de simplisme et d’angélisme primaire. L’initiative française n’aurait-elle pas aussi en filigrane des motivations en rapport avec les grands enjeux en Méditerranée ? Peut-être… Après tout Emmanuel Macron est président d’une puissance mondiale et non pas d’une société de bienfaisance. Avec la différence fondamentale que l’on ne peut pas soupçonner la France d’avoir des visées territoriales ou hégémoniques sur le Liban, comme ce fut le cas avec le régime syrien jusqu’en 2005 ou avec la République islamique iranienne à partir de 2006…
commentaires (10)
Ingérence ou assistance est bien ce qu'on dirait d'une intervention chirurgicale majeure qui a pour but de sauver une vie. Pénible mais primordiale!!
Wlek Sanferlou
14 h 00, le 09 septembre 2020