C’est la nouvelle de la semaine, même si elle a été annoncée dimanche soir. La Banque du Liban, dont les réserves de devises fondent comme neige au soleil depuis le début de la crise économique et financière, travaille actuellement sur un projet de « cartes d’achat pour tous les Libanais à 1 515 livres libanaises pour un dollar », soit proche du taux de change officiel de 1 507,5 livres. Il ne s’agira pas de bons de rationnement mais, a priori, de tickets permettant d’acquérir certains produits de première nécessité, principalement alimentaires, au taux de la parité officielle. S’agissant des produits « stratégiques », comme le blé, le carburant ou les médicaments, la BDL n’a semble-t-il pas prévu de supprimer les mécanismes de subvention existants, même si ses réserves en devises ne lui permettront pas de les maintenir longtemps si rien ne change.
Révélé par le gouverneur de la banque centrale, Riad Salamé, ce système de bons d’achat, dont les contours ne sont pas précisés pour l’instant, devrait à terme remplacer les mécanismes de subvention existants pour les produits de première nécessité et visant à limiter l’inflation (112 % en juillet en glissement annuel), alors que plus d’un Libanais sur deux vit déjà sous le seuil de pauvreté (selon l’ONU). Contactée par L’Orient-Le Jour, une source proche du dossier a souligné que cette mesure « concerne tous les Libanais », quel que soit leur niveau de revenus. Elle ajoute que le but de la manœuvre est « d’éviter que les subventions bénéficient aux Syriens », dont beaucoup ont fui leur pays en guerre depuis 2011, pour se réfugier au Liban.
« Bonne solution à court terme »
Outre la liste des produits concernés, la définition des modalités de ce système de bons d’achat devrait en tout cas donner du fil à retordre à la banque centrale qui devra notamment définir si les étrangers résidant légalement au Liban (hors réfugiés) ou des résidents nés de mère libanaise mais de père étranger (et ne possédant donc pas la nationalité libanaise) pourront bénéficier de la mesure. La mise en place de plafonds par ménage devra également être définie, tout comme le mode de distribution de ces bons, ou encore les garde-fous visant à limiter les abus et à empêcher le développement d’un nouveau marché noir. La seule certitude à ce stade, c’est que ce système devrait être instauré en coopération avec le ministère de l’Économie et du Commerce et avec l’aide de la Banque mondiale, selon une autre source informée du dossier. La date de mise en œuvre pourrait toutefois être suspendue à la formation d’un nouveau gouvernement que le Premier ministre Moustapha Adib, désigné la semaine dernière, doit composer.
Interrogé, l’économiste Jean Tawilé indique que le système de bons d’achat reste pour l’instant le meilleur pour l’économie et constitue une « bonne solution à court terme », un avis partagé par plusieurs observateurs ces derniers mois. Toutefois, cette mesure doit impérativement « cibler » les familles et les personnes les plus pauvres, sinon « ce serait une catastrophe ». Une autre possibilité proposée par l’expert serait que l’État prévoie dans son budget de fournir des prestations sociales aux plus nécessiteux, ce qui nécessiterait donc son élaboration par le gouvernement, démissionnaire depuis près d’un mois.
Instaurés par plusieurs circulaires adoptées entre l’automne 2019 et cet été, ces dispositifs ont permis jusqu’à présent aux importateurs de plusieurs produits considérés comme stratégiques (blé, carburant, médicaments, équipements médicaux, matières premières pour l’industrie pharmaceutique locale), de première nécessité (une liste de plus de 300 références, dont des matières premières destinées aux agriculteurs et aux industriels locaux), d’échanger leurs livres contre des dollars auprès de la BDL à des taux inférieurs à ceux atteints sur le marché noir (plus de 7 000 livres hier pour un dollar).
Ces mécanismes ont néanmoins fait l’objet de critiques, certains observateurs considérant notamment qu’ils bénéficiaient davantage aux importateurs qu’aux ménages les plus défavorisés par la crise, d’autres critiquant le fait qu’une partie des marchandises importées grâce aux devises puisées dans les réserves de devises de la BDL finissaient sur le marché syrien. Hier, l’Association de protection des consommateurs a demandé leur remplacement par un autre mécanisme, plus efficace, qui empêche la formation de monopoles et évite ainsi « d’imposer des prix élevés aux consommateurs ». Le sort des subventions est d’ailleurs au centre d’un désaccord entre le ministre sortant de l’Économie, Raoul Nehmé, et celui de l’Agriculture et de la Culture, Abbas Mortada. M. Nehmé a annoncé samedi la fin des subventions des produits destinés à la production agricole et à l’élevage, en constatant qu’elles ne s’étaient pas traduites par la baisse des prix des produits impactés, une décision contestée par son homologue à l’Agriculture.
commentaires (7)
Ce ne sont pas des bons d'achats que nous voulons. Nous voulons notre argent. Nos $$ !!!!! C'est ça qui a créé en grande partie la pénurie du billet vert et l'augmentation des importations. Arrêtez avec vos stupides mesurettes à court terme. De toute façon c'est une nécessité de se doter d'une politique sociale et de cibler les citoyens les plus fragiles économiquement.
Sybille S. Hneine
12 h 51, le 08 septembre 2020