L’audit de la Banque du Liban (BDL) que le gouvernement doit lancer continue de faire l’actualité, une semaine après la visite du président français Emmanuel Macron à Beyrouth pour tenter de débloquer le processus de réformes du pays, de plus en plus impérieux au fur et à mesure que la crise s’aggrave.
Le dernier épisode s’est déroulé durant le week-end écoulé. Dans un communiqué publié hier, le ministre sortant des Finances Ghazi Wazni s’est justifié de ne pas faire de référence au groupe Egmont dans le contrat avec Alvarez & Marsal. Ce dernier est l’un des trois cabinets d’audit mandatés par l’exécutif avec KPMG et Oliver Wyman, et il sera chargé du volet juricomptable de l’opération.
Désigné par les autorités sous le nom « d’audit pénal de la BDL », le processus doit permettre de détecter les éventuelles transactions suspectes et remonter jusqu’à leurs bénéficiaires. Son importance est primordiale compte tenu de la gravité de la situation financière du Liban (qui accumule plusieurs dizaines de milliards de dollars de pertes) et du haut niveau de corruption qui y règne. Le fait qu’il soit mené à bien constitue l’une des exigences du Fonds monétaire international, auprès de qui Beyrouth a tenté entre mai et juillet de débloquer une assistance financière. Son lancement fait aussi partie des conditions formulées par Emmanuel Macron en matière de réformes et que la classe politique libanaise a en principe accepté.
Grand scandale
Répondant à des « allégations » qu’il attribue à certains « médias », le ministre a indiqué que le mandat confié par le gouvernement lui imposait uniquement de signer les contrats liant l’État aux sociétés d’audit sélectionnées, ce qui a été annoncé le 1er septembre, et « ne l’obligeait pas à négocier » avec le groupe Egmont, qui est en fait un forum d’échange opérationnel entre les « cellules de renseignement financier ». La Commission spéciale d’investigation libanaise (la SIC, créée en 2001 et qui peut lever le secret bancaire dans certains cas) fait partie depuis 2003 des 165 membres de ce forum, dont le principal objectif est d’améliorer la coopération internationale en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. La SIC est présidée par le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, et ses compétences ont été élargies en 2015 après le vote de la loi n°44/2015 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Le ministre s’est également interrogé sur la bonne foi des voix réclamant une implication du groupe Egmont, à l’image de la ministre sortante des Déplacés, Ghada Chreim, qui s’est exprimée en faveur de ce scénario samedi sur son compte Twitter, évoquant une recommandation du comité de législation et de consultation au ministère de la Justice. Assurant que l’audit de la BDL ne rentrait pas de toute façon dans le champ de compétence du forum, le ministre des Finances a enfin jugé que le « grand scandale » était à mettre sur le compte de ceux qui insistent pour « inscrire le nom d’Egmont dans le contrat ».
Mais les propos de Ghazi Wazni prêtent à confusion dans la mesure où ils laissent entendre que le groupe Egmont aurait dû être partie au contrat. En réalité, son évocation répond à un autre enjeu, qui consiste celui-ci à délimiter les contours de l’obligation de résultat dans le contrat d’Alvarez & Marsal.
« La mission, pour laquelle le cabinet sera rémunéré 2,2 millions de dollars d’argent frais, va consister à remonter jusqu’aux bénéficiaires des transactions suspectes pour à terme pouvoir les poursuivre en justice. Or selon les termes du contrat, son action devra se faire dans les limites de la loi libanaise (du 3 septembre 1956) qui protège le secret bancaire, hormis dans certaines conditions restrictives (dont certaines prévues par la loi de 2001 créant la SIC) », explique un expert sous couvert d’anonymat. Cette particularité avait d’ailleurs été soulignée par le président de l’Association libanaise pour les droits à l’information des contribuables (Aldic), l’avocat fiscaliste Karim Daher, dans un entretien accordé le 24 août au Commerce du Levant. Ce dernier avait notamment indiqué que l’auditeur risquait de se « heurter à l’article 151 du code de la monnaie et du crédit, qui interdit à tout employé actuel ou ancien de la Banque du Liban de fournir des informations liées aux clients de la BDL, ainsi qu’à la loi sur le secret bancaire. »
Secret bancaire
« Pour résumer : Alvarez & Marsal pourrait remplir sa mission et encaisser ses émoluments sans avoir pu aller au bout de son enquête, et les éventuels personnes impliquées se retrouveraient indirectement innocentées », conclut un autre expert, en phase avec le premier sur ce point. « C’est pour cette raison que la référence dans le contrat d’engagement de l’auditeur a été évoquée dans les débats qui ont précédé l’annonce en avril de sa décision de procéder à un audit de la BDL avec un volet juricomptable », note-il.
Concrètement, le contrat d’Alvarez & Marsal aurait pu alors comporter une clause permettant au gouvernement de lui demander de se baser sur les « meilleures pratiques » déterminées par le groupe Egmont pour contourner les obstacles juridiques. « Cela aurait alors permis à l’auditeur de suspendre sa mission en cas de blocage de la BDL, tout en fournissant un moyen de pression à l’exécutif pour débloquer la situation, notamment en soumettant par exemple au Parlement un projet de loi amendant les dispositions qui freinent l’enquête », développe le second expert. Selon lui, la suppression de cette clause fait partie des principales modifications au contrat d’Alvarez & Marsal décidées entre le moment où le cabinet a été choisi fin juillet et l’officialisation de son engagement.
Une solution qualifiée d’insuffisante par le premier interlocuteur. « L’idée n’est pas mauvaise, mais elle ne s’attaque pas au nœud du problème, à savoir la nécessité d’amender la loi sur le secret bancaire », souligne-t-il. L’expert rappelle qu’en mai, une proposition de loi qui avait vocation de limiter la protection accordée à certaines catégories de personnes avait été littéralement « sabotée » par Nabih Berry, président du Parlement et chef du mouvement Amal auquel appartient également Ghazi Wazni. Le texte proposait de lever le secret bancaire des comptes détenus notamment par les ministres, députés, fonctionnaires, candidats (anciens et futurs) aux élections législatives et municipales et présidents de conseils d’administration des médias, ainsi que leurs conjoints et leurs enfants, notamment dans le cadre d’affaires de corruption, de blanchiment d’argent, de financement de campagnes électorales ou encore de terrorisme.
Or le président du Parlement a demandé le retrait de la mention « toutes les autorités judiciaires dans le cadre d’une enquête », n’ouvrant du coup cette possibilité qu’à une commission nationale pour la lutte anticorruption, instituée par une loi de mai, mais qui n’a toujours pas été formée, et à la SIC qui en bénéficiait déjà. « L’audit de la BDL ne pourra pas aboutir à un résultat concret, à moins que la loi sur le secret bancaire ne soit modifiée ou que la Banque centrale accepte de le lever comme la loi l’autorise à le faire », conclut le premier expert.
commentaires (9)
"... pourquoi Wazni ne veut pas ..." - Wazni? C’est qui lui déjà? Il veut pas parce que c’est ce qu’"on" lui a demandé de dire. Qui? Mais son (centi)maître bien sûr.
Gros Gnon
15 h 06, le 07 septembre 2020