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Économie - Emploi

Les effectifs des banques à quelques encablures d’une coupe massive

Un cadre estime que la proportion de départs pourrait être de l’ordre de 40 % « au minimum » sur l’ensemble du secteur.

Les effectifs des banques à quelques encablures d’une coupe massive

Le secteur bancaire est disproportionné par rapport à la taille du pays, il faut donc s’attendre à ce que les coupes soient conséquentes. Photo M.A.

Habitué pendant des années à jouer les premiers rôles, le secteur bancaire, et les plus de 26 000 personnes qui composent ses effectifs, vit dans l’angoisse depuis au moins un mois. En effet, la crise que traverse le pays depuis plus d’un an, aggravée par plusieurs facteurs dont le confinement lié au Covid-19 ou encore la dramatique double explosion du port de Beyrouth le 4 août, a rendu inéluctable la perspective d’une restructuration du secteur financier du pays, qui a désormais des allures de coquille vide.

C’est donc assez logiquement que certains établissements bancaires ont commencé à proposer des plans de départs volontaires à certains de leurs employés, en attendant de possibles plans sociaux. La Banque Misr Liban (BML) avait d’ailleurs ouvert le bal en juin en proposant à ses employés de quitter l’entreprise avec une compensation allant de 6 à 18 mois de salaire.

Restructuration du secteur

Si aucun établissement contacté par L’Orient-Le Jour – dont plusieurs grandes banques – n’a officiellement confirmé avoir lancé des procédures similaires, certains l’ont tout de même reconnu en coulisses, alors que des rumeurs concernant des vagues massives de départs volontaires, avec plusieurs centaines de postes supprimés à la clé, commençaient à circuler. Selon une première source bancaire, la pression est montée d’un cran il y a environ un mois, tandis qu’une autre croit savoir que l’Association des banques du Liban et la banque centrale se sont entendues pour retarder l’échéance le plus longtemps possible. Une troisième source estime que les choses pourraient s’accélérer d’ici à fin septembre.

« La restructuration est inévitable, parce que les banques commerciales sont presque devenues de simples distributeurs automatiques de billets (ATM). L’activité de prêt est au plus bas, la crise de confiance fait fuir les déposants résidents ou non résidents – ce qui a contribué à développer le volume des transactions hors secteur bancaire – et les revenus issus des titres de dette publique, dans lesquelles elles avaient beaucoup investi en raison du défaut annoncé par l’État sur ses obligations en devises (eurobonds) ont énormément diminué », énumère cette fois un financier sous couvert d’anonymat. La situation n’est pas meilleure pour les banques d’investissement, dont les bureaux à Beyrouth sont parfois réduits à jouer le rôle de « back office » (service d’appui) pour leurs activités à l’étranger.

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Les dépôts détenus par le secteur financier ont atteint 157 milliards de dollars à fin juin, contre 172,6 milliards à fin 2019, soit une baisse de 9,04 % en six mois. Signe du malaise, les quelque soixante établissements établis dans le pays, dont les deux tiers sont des banques commerciales, ont publié leurs résultats financiers de 2019 avec plusieurs mois de retard. « Les récentes circulaires de la BDL, qui réclament un rapatriement des fonds sortis du pays entre le 1er juillet 2017 et le 27 août de cette année (circulaire n° 154) ou encore menacent d’exclure les établissements qui n’augmentent pas leur capital de 20 % à fin 2020 par rapport à leur solde au 1er décembre 2018 (circulaire n° 567), risquent de ne pas inverser la tendance », ajoute le financier.

Il rappelle que le Fonds monétaire international, avec qui le Liban a entamé en mai des négociations pour débloquer une assistance financière, a également exigé que le secteur financier, qui accuse des dizaines de milliards de dollars de pertes, soit restructuré. « L’ultimatum de trois mois imposé par le président français, lors de sa visite en début de semaine, pour pousser la classe politique à lancer les réformes attendues pour redresser le pays, va également dans ce sens », relève-t-il encore. Enfin, pour rappel, la BDL, qui tente de garder la main sur le dossier, a créé en juillet dernier une commission chargée de restructurer le secteur bancaire.

Secteur disproportionné

Comme, en plus, le secteur est disproportionné par rapport à la taille du pays, il faut s’attendre à ce que les coupes soient conséquentes. Une perspective jugée « normale », et ce même par le président de la Fédération des syndicats des employés de banque, Georges el-Hage. Selon les chiffres de la BDL, le Liban compte 26 101 personnes employées dans des banques à fin 2019. Ce dernier chiffre est en baisse de 4,3 % en glissement annuel, une première depuis les années 2000.

Il n’existe pour l’instant aucune estimation globale et uniforme concernant la proportion d’emplois qui seront supprimés, que ce soit via des départs volontaires non remplacés ou des licenciements. Outre la fermeture d’une partie des agences et des ATM – qui a déjà commencé –, les premiers départements touchés seront le « Corporate Banking (services bancaires aux entreprises), Retail Bank (banque de détail) et Private Banking (gestion bancaire privée) », selon le syndicat des employés de banque, soit « ceux dont le travail a été affecté par la crise économique », précise une source précitée.

Une autre source pense savoir, quant à elle, que les banques en question commenceront par fermer les agences dont les locaux sont loués. La mise hors service de certains ATM va en outre donner lieu à des amendements sur les contrats de leurs prestataires de services. À noter que leur nombre ne peut dépasser celui des agences et du siège social (ceux installés à l’intérieur sont exemptés de cette règle imposée par une circulaire (principale n° 63) publiée par la BDL en 1999.

Proportion des coupes

Reste à savoir quelle proportion les coupes dans les effectifs atteindront. Si la BML avait indiqué au Commerce du Levant en juin espérer obtenir un départ « à l’amiable » de 15 à 20 % de ses 353 employés, un cadre de banque estime que cette proportion pourrait être de l’ordre de 40 % « au minimum » sur l’ensemble du secteur, une fois que le processus de restructuration démarrera. « Si deux banques sont contraintes de fusionner, cela veut potentiellement dire que les effectifs de chaque département peuvent être réduits de moitié, pour supprimer les doublons », raisonne-t-il.

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Enfin, l’un des principaux enjeux de cette vague qui s’annonce se situera sans surprise sur le plan social, alors que le taux de chômage était déjà de 30 % en juin (selon un étude d’Infopro), pour une inflation record (+112 % en juillet selon l’Administration centrale de la statistique) et un taux de pauvreté de 55 % en mai (selon l’Escwa). C’est une des raisons pour lesquelles le syndicat des employés de banque a demandé aux départements de ressources humaines des établissements concernés de respecter l’article 50 du code de travail, qui impose aux employeurs d’informer le ministère du Travail de « son intention de résilier » les contrats de ses employés un mois avant de le faire, afin de définir les compensations. Georges el-Hage insiste sur ce dernier point, car « l’employé aura des difficultés à trouver un autre emploi dans la situation actuelle ». Il révèle également que deux banques ont eu recours à des licenciements abusifs, sans toutefois vouloir les nommer.

Si aucun établissement ne semble pour l’instant avoir lancé de plan social, plusieurs d’entre eux ont en revanche commencé à démarcher leurs employés pour les convaincre de quitter l’entreprise de leur plein gré. Le phénomène est plus important dans les banques commerciales que dans celles d’investissements, où les effectifs sont plus modestes. Dans un cas comme dans l’autre, le dilemme pour l’employé consiste à savoir quelles seront les conditions les plus avantageuses pour lui. Selon une source contactée, il s’agit plutôt pour une grande partie des banques de propositions de départ « assez avantageuses », compte tenu de la situation du pays et du secteur. Elle évoque des « packages » d’indemnités en « dollars libanais » (pouvant être retirés au taux de 3 900 livres pour un dollar au lieu de 1 507,5 livres) ou en livres allant de 6 à 16 mois pour la majorité des cas dont elle a eu vent jusqu’ici. Selon elle, les banques prendront en considération la situation familiale des employés, privilégiant ainsi ceux qui ont des enfants à charge et un(e) conjoint(e) au chômage. Le cadre de banque interrogé souligne pour sa part qu’il est plus avantageux pour une personne proche de la retraite d’attendre d’être licenciée plutôt que d’accepter un départ volontaire avec de lourdes concessions sur le montant de ses indemnités, qui augmente avec l’ancienneté. Même si le respect des lois dans le pays reste très aléatoire.

Les banques plus « vigilantes » pour les opérations sur les chèques en « dollars libanais »

Les banques du pays ont récemment resserré les conditions d’encaissement et de décaissement des chèques émis en dollars libanais, afin de limiter les « abus » de certains clients qui tentent d’utiliser le dispositif mis en place par la circulaire n° 151 de la Banque du Liban (BDL) à leur avantage.

Publié en avril en plein contexte de crise marqué par une dévaluation de la monnaie nationale, le texte autorise les déposants de comptes en « dollars libanais » (terme popularisé par des experts locaux pour désigner les comptes en devises soumis à des restrictions bancaires, à l’opposé des comptes en « fonds frais » ) à les retirer en livres à un taux supérieur à la parité officielle (1 507,5 livres pour un dollar). Le taux actuellement fixé par la BDL dans ce cadre est de 3 900 livres pour un dollar.

Or, selon une source bancaire, un marché secondaire de chèques en « dollars » s’est développé entre les détenteurs de comptes en banque en dollar et ceux qui n’en possèdent pas. Dans les faits, ces derniers déposent leurs chèques en dollars libanais sur les comptes des premiers, dans le but de bénéficier du taux de 3 900 livres pour un dollar, en toute transparence ou moyennant une commission convenue entre ces particuliers. Les banques n’acceptent donc plus ce type d’opérations.

Ce resserrement – qui n’est pas contraire à l’esprit de la circulaire n° 151 – concerne principalement les petits montants, car « ce n’est pas viable pour une banque de décaisser de tels chèques à tout-va », a souligné l’une des autres sources contactées. Pour des montants à cinq chiffres et plus, les dépôts de chèques en dollars libanais sont acceptés, mais bloqués sur les comptes pour une période de six mois. « Le cas par cas est toutefois appliqué si le client a un réel besoin de décaisser de grosses sommes en dollars libanais », assure toutefois cette source précitée. En revanche, ceux qui ne possèdent aucun compte en banque n’ont plus d’autres choix que d’en ouvrir un pour décaisser leurs chèques.

J.R.B.

Habitué pendant des années à jouer les premiers rôles, le secteur bancaire, et les plus de 26 000 personnes qui composent ses effectifs, vit dans l’angoisse depuis au moins un mois. En effet, la crise que traverse le pays depuis plus d’un an, aggravée par plusieurs facteurs dont le confinement lié au Covid-19 ou encore la dramatique double explosion du port de Beyrouth le 4 août,...

commentaires (11)

"Les banques du pays ont récemment resserré les conditions d’encaissement et de décaissement des chèques émis en dollars libanais, afin de limiter les « abus » de certains clients qui tentent d’utiliser le dispositif mis en place par la circulaire n° 151 de la Banque du Liban (BDL) à leur avantage." Cest vrai que ça ce n'est pas le genre des banques de faire légalement ou illégalement des choses à leur avantage. Les alchimistes-banquiers nous auront essorés jusqu'au bout.

Sybille S. Hneine

18 h 34, le 05 septembre 2020

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Commentaires (11)

  • "Les banques du pays ont récemment resserré les conditions d’encaissement et de décaissement des chèques émis en dollars libanais, afin de limiter les « abus » de certains clients qui tentent d’utiliser le dispositif mis en place par la circulaire n° 151 de la Banque du Liban (BDL) à leur avantage." Cest vrai que ça ce n'est pas le genre des banques de faire légalement ou illégalement des choses à leur avantage. Les alchimistes-banquiers nous auront essorés jusqu'au bout.

    Sybille S. Hneine

    18 h 34, le 05 septembre 2020

  • Avant de faire des plans sur mars, qu’ils commencent par rapatrier l’argent volé du peuple et juger tous les voleurs. Les propriétaires et grands dirigeants de banques savent qu’elles sommes ont été déposées puis envoyées sur des comptes à l’étranger puisque depuis la guerre du blanchiment dans le monde aucun détenteur de comptes ne peut placer de l’argent sans transiter par une autre banque pour justifier sa provenance. Un grand dirigeant angolais vient d’être dénoncé par une banque suisse pour avoir transféré une sommes de quelques centaines de millions de dollars depuis une banque locale, le fruit d’un abus de confiance. L’argent a été gelé et la personne concernée est poursuivie pour vol par l’état suisse. A se demander comment nos voleurs ont pu passé à travers les mailles du filet.

    Sissi zayyat

    13 h 44, le 05 septembre 2020

  • LA PREMIERE MESURE A FAIRE C,EST LE RETOUR DES MONTANTS VOLES PAR LES CORROMPUS/VOLEURS ET CEUX QUI ONT FUI LE PAYS PAR LES PREDATEURS BANQUIERS ET LA BDL ET LA LIBERATION DES DEPOTS DES ECONOMIES DU PEUPLE AU LIEU D,ENVOYER DES EMPLOYES AU CHOMAGE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 19, le 05 septembre 2020

  • Ne les plaignons pas, ils ont dû faire le nécessaire en temps et en heure, "ils savaient".

    Christine KHALIL

    10 h 19, le 05 septembre 2020

  • Votre encadré sur les « dollars libanais » n’est pas compréhensible. Quand vous écrivez «ces derniers déposent leurs chèques en dollars libanais sur les comptes des premiers» vous voulez dire qu’une personne, appelons-la Samir fait un chèque en dollars libanais à une autre personne, on va l’appeler Marlène, pour faire profiter la bénéficiaire du taux de 3900 livres pour un dollar? Dans ce cas, Samir doit avoir un compte en dollars libanais pour émettre son chèque en dollars et pas le contraire comme vous l’écrivez. Ou alors je ne pige pas comment « ces derniers » qui n’ont pas un compte en dollars libanais, peuvent émettre un chèque en dollars aux «premiers».

    Marionet

    09 h 39, le 05 septembre 2020

  • Votre article écrit qu’en 2018 les banques ont gagné 2050 milliards de dollars sur un ensemble dépôts de 170 milliards de dollars. S’il n’y a pas erreur dans vos chiffres, il faudrait expliquer comment on peut gagner de telles sommes !

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 58, le 05 septembre 2020

  • Des profits de 2050 milliards de dollars: Une erreur de la rédaction à revoir et à corriger.

    Moussalli Georges

    02 h 39, le 05 septembre 2020

    • Merci de nous avoir signalé cette erreur.

      L'Orient-Le Jour

      10 h 48, le 05 septembre 2020

  • C'est vraiment la fin. Je plains ces employés de banque, malgré leur arrogance de ces derniers 9 mois. Après tout ce sont des victimes comme nous de la cupidité de leurs "propriétaires". Que vont-ils devenir? Il n'y a plus de places pour des employés de banque. Ouvrir des restaurants? Oups, le secteur est mort. Les assurances? Elles sont sur le point de déclarer faillite si l'explosion de Beyrouth s'avère accidentelle. Bien sûr les assureurs se retourneront contre l'état, mais ce sera peine perdue car l'état est failli. Fonctionnaires alors? Waf waf waf. Décidément, le Liban que nous connaisions n'est plus. Place au "Liban Fort". Merci qui?

    Gros Gnon

    02 h 02, le 05 septembre 2020

  • "en 2018, les banques libanaises ont engendré des profits de 2 050 milliards de dollars," Cette phrase est manifestement erronée. C'est un nombre gigantesque et impossible... Peut-etre est-ce 2 050 millions et pas milliards

    Khalil Chehade

    00 h 45, le 05 septembre 2020

    • Merci de nous avoir signalé cette erreur.

      L'Orient-Le Jour

      10 h 48, le 05 septembre 2020

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