Très critiqué depuis le début de la crise, le gouverneur de la Banque du Liban (BDL) Riad Salamé a défendu hier les dernières circulaires publiées jeudi dernier par l’institution, et plus particulièrement la n° 154 dont une des dispositions appelle au rapatriement d’une partie des fonds transférés hors du Liban entre le 1er juillet 2017 et le 27 août 2020, date de publication du texte.
Les ratios imposés sont de 15 % pour les déposants ordinaires et 30 % pour les membres des conseils d’administration des banques, les grands actionnaires ou encore les personnes politiquement exposées. Le gouverneur a déclaré qu’il n’était pas « logique » que ces dernières catégories de personnes aient déposé leur argent hors du pays pendant que les citoyens ordinaires subissent d’importantes restrictions limitant l’accès à leurs comptes en devises. Ces restrictions, qui ont commencé à être imposées il y a un an en dehors de tout cadre légal, auraient toutefois pu être réglementées par la BDL pendant une brève période, le temps que le Parlement les légalise. Mais aucune des deux instances n’a finalement réagi.
Plusieurs taux
Le gouverneur a également souligné que le Code de la monnaie et du crédit permet à la BDL et aux banques de modifier leurs ratios de solvabilité et de liquidités. « Nous leur avons imposé de maintenir des liquidités dans leurs banques correspondantes à hauteur de 3 % de l’ensemble de leurs dépôts », a-t-il rappelé, soulignant également l’obligation imposée en octobre d’augmenter leurs fonds propres à hauteur de 20 % par rapport à leur niveau à fin 2018. L’opération aurait dû être finalisée par l’ensemble du secteur bancaire avant fin juin dernier, ce qui n’a finalement pas été le cas, crise oblige.
Riad Salamé a rappelé que les banques avaient désormais jusqu’à fin février 2021 pour se conformer à ces exigences, faute de quoi elles seraient « exclues du marché ». Parmi les autres mesures de ce type imposées jeudi dernier, la circulaire intermédiaire n° 567 exige, entre autres, que le ratio des provisions à constituer pour couvrir les pertes liées aux titres de dettes en livres et ceux en devises (eurobonds) doit être de 100 % pour les exercices 2020 et 2021, pour ensuite être progressivement réduit jusqu’à son annulation en 2024. Pour rappel, le Liban a fait défaut sur ses obligations en mars dernier, obligations détenues en majorité par les banques nationales et la BDL.
Le gouverneur a enfin défendu son action à la tête de la Banque du Liban au cours de cette dernière année de crise, en invoquant notamment les mécanismes de subventions au taux dollar/livre sur certaines importations (notamment carburant, blé et médicaments) qui ont permis, selon lui, à limiter l’impact de l’inflation (plus de 110 % à fin juillet) liée à la dépréciation de la monnaie nationale. Si la parité officielle est toujours de 1 507,5 livres pour un dollar, le pays vit en effet avec plusieurs taux : 3 900 livres pour les agents de change agréés et environ 7 000 livres pour ceux du marché noir. Si ce dernier est pris pour référence par de nombreux importateurs pour fixer leurs prix, le gouverneur a évoqué un « taux fabriqué » et que le volume de transactions passant par les changeurs, soit « 4 millions de dollars par jour », est marginal. Enfin, il a une nouvelle fois confirmé que les réserves en devises de la BDL étaient actuellement de 19,5 milliards de dollars et qu’il ne pouvait pas continuer à subventionner longtemps les importations, appelant le nouveau gouvernement dont la nomination ne devrait pas tarder à « présenter un plan » qui puisse « relancer la confiance ». Les circulaires publiées jeudi dernier ont permis à certains observateurs d’interpréter que la Banque centrale allait prendre les commandes de la restructuration du secteur financier – elle a créé le mois dernier une commission dans ce but – qui accumule plusieurs dizaines de milliards de pertes dans un contexte de crise marquée par une dépréciation de la livre et de défaut partiel de l’État sur sa dette publique, pour ne citer que ces deux facteurs. Leur entrée en vigueur a provoqué une salve de critiques de la part de plusieurs banquiers, juristes ou organisations sectorielles.Les propos du gouverneur coïncident avec des rumeurs de plus en plus pressantes concernant son éventuel remplacement. Selon nos sources, le nom du banquier franco-libanais Samir Assaf, ancien numéro deux de la banque britannique HSBC embarqué avec la délégation accompagnant le président français Emmanuel Macron pour sa visite au Liban, est revenu à plusieurs reprises sur la table.
Wazni signe les contrats avec Alvarez & Marsal, KPMG et Oliver Wyman
Le ministre démissionnaire des Finances Ghazi Wazni a signé hier les contrats d’audit des comptes de la Banque du Liban (BDL) avec trois cabinets internationaux. L’audit de la Banque du Liban – surtout son volet juricomptable (forensic accounting, qui permet entre autres de mettre en exergue d’éventuelles fraudes, détournements de fonds ou conflits d’intérêts) – est l’une des principales mesures que le Fonds monétaire international souhaite voir mise en œuvre pour pouvoir répondre favorablement à la demande d’assistance financière formulée par le Liban début mai. Il s’agit également d’une des exigences du président français, Emmanuel Macron, qui a terminé sa visite de deux jours au Liban hier soir.
Ghazi Wazni a signé un contrat avec le réseau de cabinets d’audit KPMG basé aux Pays-Bas, pour l’aspect purement comptable, un autre avec le cabinet de conseil américain en stratégie Oliver Wyman, spécialiste des services financiers. Pour le volet juricomptable, c’est avec Alvarez & Marsal qu’un contrat a été signé. Ce cabinet américain est plutôt expert dans le redressement managérial (turnaround management), l’optimisation de performances et la restructuration d’entreprise, mais il a commencé à renforcer ses capacités dans le domaine de la juricomptabilité il y a quelques années (le cabinet Kroll avait été dans un premier temps retenu avant d’être écarté, certains ministres ayant critiqué ses « relations avec Israël »).
Toutefois, le président de l’Association pour le droit à l’information des contribuables, Karim Daher, a récemment nuancé cette signature de contrat dans le mensuel économique Le Commerce du Levant. Pour lui, tout dépendra « des conditions de l’audit, dont les termes du contrat n’ont pas été rendus publics », contrairement à loi de 2017 sur l’accès à l’information. Il a également rappelé que « l’enquête va se heurter à l’article 151 du Code de la monnaie et du crédit, qui interdit à tout employé de la BDL, actuel ou ancien, de fournir des informations liées aux clients de la BDL, ainsi qu’à la loi sur le secret bancaire ».
J'aimerais bien savoir pourquoi mon commentaire précédent est passé à la trappe. Qu'ai-je bien pu dire de "politiquement incorrect"??
19 h 54, le 02 septembre 2020