
Moustapha Adib reçu par Saad Hariri. Photo Dalati et Nohra
Sous l’impulsion de la France qui effectue un forcing depuis plusieurs semaines pour aider le Liban à sortir du gouffre et à sauver ce qui reste de ses institutions, un nouveau Premier ministre a été nommé hier, à l’issue de consultations parlementaires rapidement expédiées, juste à temps pour annoncer la nouvelle au président français Emmanuel Macron, arrivé à Beyrouth hier soir.
L’ironie du sort a voulu que le pays se dote d’un nouveau chef de gouvernement la veille de la date fort symbolique de la célébration du centenaire du Grand Liban, engendré sous protectorat français, une situation qui ressemble étonnement, à quelques nuances près, au processus de la naissance au forceps d’un cabinet sous parrainage français.
La désignation par 90 députés sur les 120 encore en poste de l’ancien ambassadeur du Liban à Berlin Moustapha Adib, de nationalité française et membre du réseau des universités de France, pour présider le futur gouvernement sera probablement bien accueillie par son pays d’adoption, la France.
C’est en tous les cas une désignation pour le moins confortable dont peut se targuer M. Adib, contrairement à son prédécesseur, Hassane Diab, qui n’avait obtenu que 69 voix à l’arraché, et dont la majorité était issue d’un même bord politique, ce qui avait pesé sur son gouvernement tout au long de son mandat.
Ce n’est pas le cas avec le nouveau venu au club des Premiers ministres puisqu’il peut d’ores et déjà se prévaloir d’un soutien multicolore, ayant obtenu l’aval des blocs politiques les plus pesants tous bords confondus, à l’exception essentiellement des Forces libanaises, mais aussi du PSNS, des sunnites du 8 Mars et de quelques indépendants.
La désignation de M. Adib a été entérinée par le tandem chiite – qui, rappelons-le, s’était engagé à soutenir la candidature de Saad Hariri, ou de toute personne qu’il nommerait–, le Courant patriotique libre, le courant du Futur, le bloc joumblattiste ainsi que des groupes de Talal Arslane, de Nagib Mikati et des Arméniens. Les FL, ainsi que le député indépendant Fouad Makhzoumi, ont, eux, nommé Nawaf Salam, ex-délégué du Liban aux Nations unies et juge à la Cour internationale de justice, dont la candidature avait été rejetée d’emblée par le tandem chiite.
Le PSNS, les sunnites du 8 Mars et le député Jamil Sayed se sont abstenus de désigner M. Adib, les deux derniers ayant contesté la manière dont a été sélectionnée sa candidature convenue et annoncée dimanche à l’issue de la réunion des anciens chefs de gouvernement. Alors que Walid Sukkariyé, député de la Rencontre consultative, dénonçait une « hérésie » qui, selon lui, vient consacrer le confessionnalisme dans toute son amplitude, Jamil Sayed a, à son tour, critiqué le parrainage de sa candidature par les anciens Premiers ministres, comptés dans un même bord politique proche du courant du Futur. Tout en saluant le profil et les qualités dont jouit M. Adib, Jamil Sayed s’est demandé dans quelle mesure le futur chef du gouvernement pourra « faire face à ceux qui sont ses parrains. Il débarque dans un État qui est séquestré », a-t-il dit.
Les appréhensions
Appelé à se démarquer dans son modus operandi du moins et dans son efficacité du cabinet précédent qui a échoué à mettre en place les principales réformes réclamées à cor et à cri par la communauté internationale, le nouveau gouvernement aura une mission des plus difficiles. Il devra tenter de trouver l’équilibre – s’il existe – entre une indépendance revendiquée par la rue et une représentation minimale des forces en présence sur l’échiquier politique sans pour autant en devenir l’otage. Une crainte qui laisse d’ailleurs planer dès à présent des doutes sérieux sur la rapidité avec laquelle naîtra le prochain cabinet.
Dès sa première déclaration sur le perron de Baabda, Moustapha Adib s’est engagé à former un gouvernement en « un temps record ». « L’opportunité qui s’offre à nous est mince. Nous voulons former une équipe de travail homogène, composée d’experts et de personnes compétentes, et lancer rapidement, en coopération avec le Parlement, les réformes nécessaires face à la crise économique et financière », a-t-il déclaré.
Une phrase qui en dit long sur la difficulté que devra contourner M. Adib pour réunir une équipe d’experts homogènes tout en tenant compte des équilibres en vigueur au sein de la Chambre avec laquelle il est contraint de coopérer, en faisant en sorte d’empêcher que les forces politiques puissent continuer à entraver les réformes.
L’appréhension de voir la formation du gouvernement prendre plus de temps que ne le permettent les circonstances actuelles, notamment du fait des tiraillements politiques traditionnels autour du partage des portefeuilles entre les mastodontes de la politique libanaise, est grande.
C’est ce qui faisait dire hier à un analyste qu’« Emmanuel Macron ne devrait pas se contenter de la désignation du Premier ministre et retourner chez lui tranquillisé. Il doit surveiller le processus jusqu’au bout ».
Le président français, qui s’est rendu hier auprès de la grande diva libanaise Fayrouz, projette de rencontrer aujourd’hui en fin d’après-midi les chefs des partis politiques à la Résidence des Pins, comme il l’avait fait lors de sa dernière visite. Emmanuel Macron recourra-t-il pour autant à la menace des sanctions brandie lors de sa dernière visite contre ceux qui s’aventureraient à mettre des bâtons dans les roues du nouveau cabinet ?
À en croire Le Figaro qui cite des sources de l’entourage du président français, ce dernier chercherait principalement à gagner du temps d’ici à la tenue d’élections anticipées qui, selon le souhait de Paris, devraient avoir lieu d’ici à un an.
Par superstition et pour qu’une lueur d’espoir puisse illuminer ce nouveau premier ministre, ne serait-il pas judicieux de retirer de la table basse de cette salle, le jeu d’échec vierge qui doit faire le malheur de la femme de ménage philippine du lieu.
09 h 37, le 02 septembre 2020