Rechercher
Rechercher

Lifestyle - Hommage

Jean-Marc Bonfils, victime pas martyr

L’architecte franco-libanais a été tué dans son appartement à Mar Mikhaël, le 4 août, lors de l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth. Sur Twitter, la ministre française de la Culture Roselyne Bachelot a rendu hommage à cet architecte et artiste dévoué à sa double culture, indiquant que « la France et le Liban sont unis dans le chagrin de sa mort ».

Jean-Marc Bonfils, victime pas martyr

Jean-Marc Bonfils, l’une des victimes de l’explosion du 4 août au port de Beyrouth. Photo DR

C’est à Mar Mikhaël, dans son appartement de l’immeuble Kettaneh, appelé East Village, qu’il a conçu et pour lequel il avait obtenu le Asia Architecture Award en 2015, que Jean-Marc Bonfils est décédé mardi 4 août. Tandis qu’il filmait, en direct sur les réseaux sociaux, l’incendie au port, son immeuble a subi de plein fouet l’explosion qui s’ensuivit.

Jean-Marc Bonfils a été retrouvé gisant sous les décombres de son appartement par Ghassan Jean Hajjar, l’époux de Joëlle Hajjar, son amie. « Son cœur battait encore quand les secours l’ont pris en charge et transporté vers l’Hôpital américain de Beyrouth », raconte Joëlle Hajjar. Son décès a été constaté quelques heures plus tard, faisant de lui la première victime française signalée. Sa mort a été annoncée par un tweet de la ministre française de la Culture Roselyne Bachelot : « Je rends hommage à son œuvre majeure, telle la restauration d’immeubles patrimoniaux détruits par la guerre du Liban. La France et le Liban sont unis dans le chagrin de sa mort. » Une mort qui a brisé une carrière et une vie prolifiques.

Issu d’une famille française établie au Liban depuis le XIXe siècle, l’architecte de 57 ans était diplômé de l’École d’architecture Paris-Villemin avec les félicitations du jury. Il avait, par la suite, complété ses études par un 3e cycle à l’Architectural Association of London. En 1987, son diplôme en poche, il est engagé par l’agence Christian de Portzamparc premier architecte français à obtenir le Pritzker Prize, l’équivalent du prix Nobel et la plus haute distinction en architecture. Il intègre ensuite l’équipe de l’architecte urbaniste Alain Sarfati, auteur de la modernisation de l’Université Panthéon-Assas à Paris et fondateur de l’Atelier de recherche et d’études d’aménagement (AREA). Sa troisième étape française sera chez Jean-Marie Charpentier, médaille d’or d’architecture de la ville de Shanghai, où il a signé des grandes réalisations, à savoir, l’opéra, une partie de la rue Nankin transformée en rue piétonne et le siège de General Motors. En 1995, de retour à Beyrouth, il rejoint le bureau de son père, l’architecte et peintre Maurice Bonfils, avec lequel il remporte le concours international lancé par Solidere pour l’aménagement des espaces publics du centre-ville de Beyrouth.

L’immeuble Kettaneh baptisé East Village, conçu par Jean-Marc Bonfils, dévasté par l’explosion qui lui a coûté la vie. Photo AFP

Le patrimoine au cœur de son action

À partir de 2012, il devient professeur en cycle de diplôme à l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA) ainsi que membre fondateur de la Commission du patrimoine de l’ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth, et membre de la Fondation nationale du patrimoine et du comité du musée national de Beyrouth. On lui doit les écomusées de Terbol et de Ras Baalbeck, deux bâtisses vernaculaires qui témoignent de la richesse et de la spécificité de l’architecture traditionnelle locale. Il compte également à son actif un nombre important de restaurations et de réhabilitations d’immeubles patrimoniaux détruits par la guerre du Liban.

Lire aussi

Gaïa Fodoulian, son œuvre demeurera...

Créée en 2006, son agence d’architecture a réalisé plus de 80 projets au Liban, au Nigeria, en Arabie saoudite, à Dubaï, au sultanat de Oman et en France où il a notamment conçu le siège administratif de la General Bank of Commerce à Gennevilliers et les villas d’entreprise Meunier, à Paris, le leader dans le domaine de l’immobilier d’entreprise. Au nombre de ses projets à Beyrouth, le siège d’Impact/BBDO à Aïn el Mreisseh, et à Achrafieh, le 555 Atria pour le promoteur Joe Saïkaly. Une de ses plus belles réalisations restera toutefois le East Village, à Mar Mikhaël, bâtiment résidentiel commandé par son amie Naïla Kettaneh Kunigk. Le projet avait décroché le Lebanese Architects Award 2017 et le prestigieux Asia Architecture Award 2015, prix annuel destiné à récompenser les architectes de la zone Asie engagés dans la réalisation de bâtiments respectueux de l’environnement et de l’identité culturelle, ainsi que dans l’utilisation des techniques et matériaux nouveaux. Il faut savoir que l’agence Bonfils n’avait pas fait acte de candidature. C’est un jury de professionnels de plusieurs nationalités qui l’a sélectionné. Plus de 1 800 projets ont été retenus dans plusieurs catégories. East Village était en compétition avec des immeubles résidentiels construits en Chine, au Japon, à Hong Kong, etc.

Situé près du port de Beyrouth, l’immeuble détonnait face aux bâtiments voisins, un souhait de l’architecte qui expliquait : « Beyrouth n’a aucun critère défini, elle change par l’action de comportements à la fois collectifs et individualistes : c’est une ville de paradoxes et de paradigmes, de différentes réalités qui se rencontrent et se séparent. » Achevé en 2012, le bâtiment était devenu un signal fort dans le paysage du quartier, offrant une façade végétale de près de 600 mètres carrés. Jean-Marc aimait à préciser qu’à cette époque, « c’était le plus grand jardin vertical au Moyen-Orient ». Quant à la façade principale, il l’avait habillée de bois, « pas uniquement pour l’esthétique, mais surtout pour rappeler les volets des anciennes maisons libanaises dont il ne reste malheureusement que quelques spécimens égarés dans Beyrouth ».

Jean-Marc Bonfils martyr ?

Secouée par la mort de son voisin et ami Jean-Marc, et par la destruction de son immeuble et de sa galerie Tanit, située au rez-de-chaussée, Naïla Kettaneh Kunigk se révolte contre cette appellation de « martyr » qu’on colle aux quelque 200 morts de l’hécatombe du 4 août. « Ce qui est arrivé est un crime ; les personnes qui sont décédées à la suite de cette épouvantable explosion sont des victimes de l’incurie politique », martèle-t-elle. Au-delà de la colère, elle partage ses souvenirs. « Jean-Marc était un grand amateur de musique, qui avait une collection impressionnante de disques et de CD. Souvent, il me faisait écouter plusieurs interprétations d’un même morceau », relate Mme Kunigk. « Durant le confinement, après avoir vaincu sa peur du coronavirus, il venait régulièrement dîner chez moi. Nous écoutions de la musique et bavardions longuement. Il y avait quelque chose de très fraternel entre nous. » Elle enchaîne en révélant que la veille de son décès, Jean-Marc et une amie, Maya Hatem, étaient venus dîner chez elle. Elle avait préparé du riz sauvage et du foie gras, et les deux s’étaient écriés : « C’est quoi, ce luxe ! » « Je leur ai répondu : “Profitons-en. On ne sait pas de quoi demain sera fait.” » Moins de 24 heures plus tard, 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium explosaient au port, à quelques centaines de mètres, à vol d’oiseau, de l’appartement de l’architecte.

Lire aussi

Quand Abed al-Kadiri pleure les reliquats de la dernière rose libanaise...

Dans un Liban en crise, l’architecte travaillait pourtant sur une commande, une villa en cours de réalisation. Et dernièrement, indique Mme Kunigk, il avait gagné un concours pour la construction d’un hôpital. « Mais il était désemparé. Dans un Liban en crise, comment calculer les prix des matériaux face à l’envolée du dollar ? me confiait-il. C’était un homme très droit et honnête, et il insistait pour donner au client une estimation précise du coût des travaux. »

À la mémoire de Jean-Marc, la galerie Tanit prépare une exposition de 80 paysages au graphite sur papier de l’artiste Abdel Kadiri, dont les bénéfices iront à Bassma, une association qui aide les habitants des quartiers sinistrés à rebâtir leurs appartements endommagés.

L’immeuble Kettaneh baptisé East Village, conçu par Jean-Marc Bonfils, où il a trouvé la mort dans l’explosion du 4 août. Photo DR

Il rythmait l’espace, construisant une musique de silence

Inconsolable, son amie Joëlle Hajjar évoque tendrement « un homme généreux » et « un architecte brillant ». « Je sens que j’ai perdu une partie de moi tant les échanges avec Jean-Marc étaient de qualité. C’était un être d’une intelligence fine. De plus, il n’avait aucune prétention. » Elle aimait aussi chez lui la reconnaissance du talent des autres. « Jamais, précise-t-elle, il n’acceptait qu’on dise du mal des autres architectes. » Et de noter que son propre père et Maurice Bonfils étaient des amis et qu’elle avait connu la famille de près. « Des gens tous talentueux et d’une intégrité totale dans leur comportement professionnel. Dans le système dévoyé du Liban, ceci leur a posé pas mal de problèmes car ils refusaient toute compromission, quitte à perdre des projets. C’était toujours l’excellence, l’exigence, le respect du métier et du client. » « Jean-Marc, ajoute-t-elle, était un grand mélomane et peu de gens savent que jeune, il jouait du violon et avait remporté un prix lors d’un concours en France. Son enthousiasme pour la musique s’est répercuté sur son travail. Je peux en témoigner parce qu’il a conçu ma villa à Hazmieh. Il a réussi à transposer l’harmonie musicale dans les espaces, donnant à l’ensemble des lieux leur équilibre, leur beauté et une unité. Je lui ai toujours dit que cette maison a été dessinée sur une portée musicale. Où qu’on soit et quelle que soit la perspective, on a une composition parfaite. Son travail, qui associe architecture, musique et poésie, est une œuvre complète. » Il s’agit là de la marque de fabrique de son cabinet.

En tant que professeur à l’ALBA, souligne encore Joëlle Hajjar, il ne sous-estimait jamais le travail de ses étudiants. « Quand l’un d’eux était en difficulté, il l’accompagnait et l’aidait à arriver à bon port. C’est un être d’une très grande valeur que l’on vient de perdre », conclut-elle. Jean-Marc Bonfils avait des plans plein la tête. Des rêves d’architecture brisés par la funeste inconscience des responsables libanais.

C’est à Mar Mikhaël, dans son appartement de l’immeuble Kettaneh, appelé East Village, qu’il a conçu et pour lequel il avait obtenu le Asia Architecture Award en 2015, que Jean-Marc Bonfils est décédé mardi 4 août. Tandis qu’il filmait, en direct sur les réseaux sociaux, l’incendie au port, son immeuble a subi de plein fouet l’explosion qui s’ensuivit. Jean-Marc Bonfils a...

commentaires (6)

Ils veulent changé le visage du Liban et le rendre sale, détruit et infesté de ras d’égouts a leur image pour qu’ils puissent se retrouver dans leur élément. Après avoir tué économiquement le pays, Ils veulent détruire tout esprit d’ouverture de beauté ou de bonheur. La sinistrose est leur raison de vivre et le martyr est leur mot préférable alors comment cohabiter? Toutes les victimes de cette explosion provoquée et ciblée resteront sur leur leur conscience et hanteront leurs nuits même s’ils ne sentent aucunement touchés par le drame. A chaque fois que vous perdrez un être cher, que vous êtes atteints d’une maladie incurable ou le jour un malheur vous touche de près, pensez à ces victimes comme tant d’autres que vous avez tué volontairement.

Sissi zayyat

19 h 41, le 25 août 2020

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • Ils veulent changé le visage du Liban et le rendre sale, détruit et infesté de ras d’égouts a leur image pour qu’ils puissent se retrouver dans leur élément. Après avoir tué économiquement le pays, Ils veulent détruire tout esprit d’ouverture de beauté ou de bonheur. La sinistrose est leur raison de vivre et le martyr est leur mot préférable alors comment cohabiter? Toutes les victimes de cette explosion provoquée et ciblée resteront sur leur leur conscience et hanteront leurs nuits même s’ils ne sentent aucunement touchés par le drame. A chaque fois que vous perdrez un être cher, que vous êtes atteints d’une maladie incurable ou le jour un malheur vous touche de près, pensez à ces victimes comme tant d’autres que vous avez tué volontairement.

    Sissi zayyat

    19 h 41, le 25 août 2020

  • Chretiens levez-vous . Jean-Marc Bonfils encore une victime de ces criminels qui veulent finir de cet espace chrétien pour changer le visage authentique de Beyrouth . Triste et choquant

    Antoine Sabbagha

    17 h 11, le 25 août 2020

  • Ne s'agit-il pas plutôt de tenir compte de ce qu'aurait pensé de ce bien trop sinistre mot, indissociable de ces jeunes gens désoeuvrés, endoctrinés, manipulés, pour cela repérés et incités à se transformer en bombe. On peut penser que cet homme de lumière aurait vivement refusé que ce mot soit associé à lui. Le lui attribuer est une offense.

    Lillie Beth

    13 h 32, le 25 août 2020

  • VICTIMES NON PAS MARTYRES, VICTIMES DE CRIMINELS HOMOLOGUES. MAIS AUSSI, MR. LE PRESIDENT NON PAS DWALETO OU FAKHAMTO MR. LE DEPUTE NON PAS SAADTO PARDIEU QUAND EST CE QU'ON APPRENDRA A NE PLUS UTILISER CES TERMES DATANT DE L'ERE OTTOMANE !

    Gaby SIOUFI

    12 h 57, le 25 août 2020

  • Je crois quand-même que dans ce cas particulier, on peut considérer cette victime comme un martyr: il est mort à cause de sa foi dans le Liban, aussi difficile à justifier que la foi en la Sainte-Trinité!

    Georges MELKI

    10 h 24, le 25 août 2020

  • Naïla Kettaneh Kunigk se révolte contre cette appellation de « martyr » qu’on colle aux quelque 200 morts de l’hécatombe du 4 août. « Ce qui est arrivé est un crime ; QUE CE MOT DE MARTYR DONNE UN TOUT PETIT PEU DE CONSOLATION AUX FAMILLES DES VICTIMES EST CERTAIN, NEANMOINS LA DEFINITION DU MOT MARTYR EST UNE PERSONNE TUE POUR SA RELIGION OU SES CONVICTIONS LA VERITE LES MORTS ET LES BLESSES DE L'EXPLOSION DU PORT DE BEYROUTH NE SONT PAS DES MARTYRS: CE SONT DES GENS ASSASSINES PAR L'INCURIE D'UNE CLASSE NON SEULEMENT DE DIRIGEANTS POLITIQUES MAIS DE RESPONSABLES DE DEPARTEMENTS DANS CETTE REPUBLIQUE OU ON NOMME LES GENS A DES POSTES A CAUSE DE LEUR AFFILIATION POLITIQUE ET RELIGIEUSE SANS AUCUN REGARD A LEUR S CAPACITES TOUTES PERSONNES QUI ONT SU QU'IL Y AVAIT CES PRODUITS DANS LE PORT ET NE LES ONT PAS IMMEDIATEMENT ENLEVE QUI QU'ILS SOIENT SONT DES ASSASSINS ET LES MORTS ET LES BLESSES SONT DES VICTIMES ET PAS DES MARTYRS: ILS NE SONT PAS MORT POUR LA PATRIE OU POUR LEURS CONVICTIONS OU LEURS RELIGIONS MAIS PARCEQUE NOUS AVONS DES PERSONNES INCOMPETENT QUI NE PENSENT QU'A LEUR POUVOIR ET A L'ARGENT ET JAMAIS AU BIEN DU PAYS OU MEME DU PEUPLE DEMISSIONNEZ DONC AVANT QUE LES CARTONS AUJOURDH'UI DE VOS PENDAISONS NE SE TRANSFORMENT DEMAIN EN REALITE CAR JE VOUS RAPPELLE QUE LA CONDAMNATION A MORT N'A PAS ENCORE ETE ENLEVE AU LIBAN NI DIEU NI LE PEUPLE PEUVENT VOUS PARDONNER CETTE INNACTION NOTOIRE QUELQUE SOIT LA RAISON

    LA VERITE

    01 h 06, le 25 août 2020

Retour en haut