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Nos Lecteurs ont la Parole

Libérons le confessionnalisme de sa captivité

Commençons ces quelques lignes par une pensée pieuse pour les victimes du drame du 4 août 2020.

La crise économique et sécuritaire qui frappe le Liban a atteint un tel niveau que plusieurs indices portent à croire que nous serions à la veille de grands changements structurels. On cherche la sortie d’un labyrinthe tellement sombre qu’il y devient de plus en plus difficile de départager les constituants de cet amalgame de vocables, comme : système confessionnel, corruption, inflation, dette, faillite, révolution, etc. Certains critiques en arrivent à mettre en doute la mission du Liban comme pays-message, une attribution si chère à saint Jean-Paul II. Pour conclure, on simplifie le diagnostic en faisant converger les symptômes vers une seule pathologie : le pacte interconfessionnel conclu en 1943 par les pères de la République indépendante. Somme toute, on postule que « système confessionnel = corruption ! ».

Pour certains esprits, l’abolition du confessionnalisme est donc une condition sine qua non pour éradiquer la corruption et le clientélisme, enclencher le progrès, relancer l’économie et tout remettre en ordre sur le plan sécuritaire et politique. Cette sentence étant dogmatiquement rendue, ils ne se posent même plus quelques questions fondamentales pour en confirmer la pertinence. C’est très immédiat !

Ainsi, ces analystes – dont nous ne saurions mettre en cause la bonne foi – ne jugent pas opportun de se demander pourquoi l’ultralaïcité de l’ex-Union soviétique n’a pas pu trancher le nœud gordien du Caucase (conflits ethniques en Tchétchénie ; au Nagorny-Karabach avec la minorité arménienne d’Azerbaïdjan ; entre les Ossètes, les Abkhazes et les Géorgiens) et celui d’Asie centrale (au Kirghizstan avec la minorité ouzbèke).

Leur analyse tient-elle compte du fait que l’anticléricalisme de Tito n’est pas arrivé à bout des haines balkaniques ancestrales qui ont déchiqueté sa Yougoslavie laïque en plusieurs morceaux ayant pour identité leur appartenance confessionnelle ?

Ignorent-ils que Chypre – qui vivait un peu comme nous jusqu’en 1974, dans le cadre d’un pacte entre Chypriotes grecs et Chypriotes turcs – avait alors dramatiquement échoué à son épreuve de laïcité ? Pourtant, l’expérience chypriote est intéressante ; elle nous démontre par a+b=c l’intérêt du pacte et les risques de spéculer sur son abandon !

Ont-ils pleinement conscience de l’exode des chrétiens d’Irak par centaines de milliers au début des années 2010 ? Se souviennent-ils des événements d’hier entre musulmans et coptes égyptiens ? Pourtant, le parti Baas d’Irak et le courant nassérien d’Égypte, naguère au pouvoir, étaient plus sensibles que d’autres régimes à la laïcité. Qu’est-il resté de leurs legs ?

Ont-ils tenu compte du fait que le Liban était prospère avant 1975, avec un commerce florissant ? Se rappellent-ils que les choses ont commencé à se dégrader depuis lors ?

Le pouvoir d’achat de la livre libanaise était 2 500 fois plus élevé qu’aujourd’hui : était-ce une erreur de calcul ? Par quel abracadabra la monnaie nationale restait-elle inébranlable ? Par quel mystérieux phénomène la dette publique était carrément nulle, l’économie en plein essor, l’inflation contrôlée, le chômage à ses plus bas niveaux et le salaire moyen en rapport avec le coût de la vie ?

La tragédie que nous vivons est d’une telle ampleur que ces questions peuvent aujourd’hui être plus gênantes qu’autrefois, mais il est impératif de se les poser pour avoir la certitude de ne pas sacrifier le bon grain en se débarrassant de l’ivraie. Car ce n’est pas du régime confessionnel que souffre le Liban, mais de la période trouble contre laquelle le pays se débat depuis 1975 avec de plus en plus de variantes qui s’ajoutent au fil des ans, comme l’endettement, la corruption, l’émigration, etc.

Quoi qu’il en soit, en volant à notre secours (tradition bien française), le président Emmanuel Macron a donné une conférence de presse à la Résidence des Pins, le soir du 6 août 2020, qui a retenu toute notre attention. En voici un extrait : « Il faut rebâtir la confiance (...) mais elle suppose une refondation d’un ordre politique nouveau où chacun, au-delà des divisions dans lesquelles il s’est réfugié, d’un confessionnalisme qui a été parfois capturé, d’un système qui a été lui aussi capturé par une corruption organisée, aurait la force de rebâtir une union nationale pour mener les réformes indispensables dont les Libanaises et les Libanais ont besoin. » (L’OLJ version électronique du 6 août 2020, titre : « Macron : C’est le temps des responsabilités aujourd’hui pour le Liban et pour ses dirigeants »).

Cette phrase restera bien évidemment dans les annales de l’histoire du Liban, et les termes qui y sont utilisés méritent profonde méditation...

Christian JEANBART

Master en affaires internationales

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Commençons ces quelques lignes par une pensée pieuse pour les victimes du drame du 4 août 2020.La crise économique et sécuritaire qui frappe le Liban a atteint un tel niveau que plusieurs indices portent à croire que nous serions à la veille de grands changements structurels. On cherche la sortie d’un labyrinthe tellement sombre qu’il y devient de plus en plus difficile de départager...

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