Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

La nouvelle république libanaise : vers un nouveau pacte républicain ?

Mon grand-père, officier dans la police libanaise, me répétait toujours que ce pays est ingouvernable, que tout le système est corrompu, que la réussite dans ce pays n’est possible qu’en faisant partie de ce système et qu’à défaut, il faut réussir ailleurs.

J’ai donc pris la décision de quitter le Liban pour la France. Mais étant optimiste et têtu, j’avais toujours espoir de changer le système depuis la France. J’ai donc multiplié les initiatives en France (proposition de formation d’un gouvernement d’ombre, création du premier think tank libanais, lancement d’une start-up visant à promouvoir et donner accès à l’éducation à la jeunesse libanaise…) et essayé de rassembler les jeunes Libanais et les organisations franco-libanaises qui, en apparence, partageaient le même espoir que moi.

La mauvaise surprise a été de me rendre compte qu’une bonne partie des organisations et associations « franco-libanaises » qui représentent le Liban et la communauté libanaise en France, et précisément à Paris, sont en réalité soutenues par les partis politiques libanais du système. Il est frappant de voir que chaque parti politique possède une ou plusieurs associations et que certaines associations portent le même nom avec deux antennes (14 Mars et 8 Mars). Le système s’exporte donc même au-delà des frontières libanaises et va même jusqu’à porter en étendard sa fourberie, la plupart de ces associations étant nommées « union de » ou « rassemblement », comble de l’hypocrisie du système lorsque l’on sait que ces « associations » représentent des membres d’une même confession ou même appartenance politique.

La bonne surprise : j’ai remarqué une différence fondamentale, entre le discours des Libanais de France qui y sont depuis longtemps et les jeunes Libanais nés à la fin de la guerre civile.

Cette jeunesse libanaise me redonne espoir et me démontre que le changement est possible et qu’une nouvelle république libanaise peut naître. Nous sommes à un tournant historique pour qu’une nouvelle page de l’histoire libanaise s’écrive et non la même histoire dont le peuple est las et à l’origine de sa colère.

L’accord de Taëf : fin de la guerre et début de la corruption

À la fin de la guerre civile, les députés libanais, à l’initiative des pays arabes, se réunissaient dans la ville de Taëf. L’accord qui en résulte a, certes, mis fin à la guerre civile, mais il a fondé les bases d’un système confessionnel fonctionnant sur le partage des postes politiques, gouvernementaux, administratifs, des richesses publiques et des opportunités économiques entre les différentes communautés.

Cet accord a créé et consolidé la formation d’un vrai « deep system » entre les politiciens, nouveaux riches, devenus hommes d’affaires ou bien actionnaires dans les banques privées. Ce nouveau « deep system » est piloté par les intérêts purement économiques de l’ensemble de ses acteurs, bien loin des divisions confessionnelles. Ce « deep system » ou corruption organisée et institutionnalisée donne naissance au Liban, « La Suisse de l’Orient ».

La situation au Liban aujourd’hui ressemble étrangement à la situation du pays en 1989 à la fin de la guerre civile, avec une différence majeure, « la conscience collective de la jeunesse libanaise » qui veut se débarrasser définitivement de l’ancien système politico-économique et bâtir une nouvelle république libanaise non confessionnelle et transparente basée sur une économie réelle et égalitaire. Ce qui me donne l’espoir que l’histoire ne va pas se répéter.

Le « deep system » est à l’agonie

La France, grand ami du Liban, l’a sauvé économiquement entre 1990 et 2005 à trois reprises, avec l’organisation des conférences Paris 1, Paris 2 et Paris 3. Sans oublier que le président Macron n’a pas hésité à sauver le Premier ministre libanais, Saad Hariri. Fidèle à ses liens historiques avec le Liban, la France a également organisé une 4e conférence économique pour sauver le Liban: la CEDRE. Mais cette fois-ci, au grand désarroi de la classe dirigeante, il n’y a pas eu de chèque en blanc. Le déblocage des fonds a été conditionné à la mise en place de réformes structurelles, en particulier dans les secteurs de l’électricité, des transports, des infrastructures et de la lutte contre la corruption.

Depuis le mois d’octobre 2019, suite à la mise en place de la taxe WhatsApp, le Liban s’éveille et des manifestations ont lieu dans toutes les villes libanaises : Tripoli, Beyrouth, Saïda, Tyr… Le gouvernement libanais démissionne et un nouveau gouvernement est formé mais, pour autant, aucune réforme n’est entreprise. Cela n’étonnera donc personne que ces fonds n’aient toujours pas été débloqués.

La crise économique, financière et sanitaire a mis le pays K.-O. et a affaibli le « deep system » libanais pour la première fois, qui fuit désormais vers l’avant, mais a quand même réussi à faire fuir autour de 6 milliards de dollars à l’extérieur du pays.

Le « deep system » est à l’agonie, le peuple est moins dépendant de ces émirs confessionnels et la communauté internationale suit de près la situation au Liban. Comme a dit De Gaulle, « il est temps de siffler la fin de la récréation ». L’occasion est unique. Il est temps pour la jeunesse libanaise de s’en emparer.

La jeunesse libanaise est prête. Cependant, afin d’éviter les travers du passé, il lui faudra, dans un premier temps, qu’elle s’unisse autour de thèmes rassembleurs tels que les réformes sociales et économiques, la transparence et la lutte contre la corruption, la mise en place d’un système judiciaire indépendant et la fin du confessionnalisme. Sur ces bases, un pacte républicain pourra être discuté entre les représentants de la jeunesse libanaise, d’un côté, et l’ensemble des acteurs de l’écosystème politique libanais sans exception, de l’autre côté.

Ce pacte constituerait « la nouvelle Constitution libanaise », et devrait révolutionner le système politique libanais. Pour cela, à mon avis, quelques points non exhaustifs sont essentiels à sa réussite :

• Déclarer le Liban pays laïque et confirmer la séparation entre la religion et l’État.

• Mettre en place une nouvelle loi électorale 100 % proportionnelle avec le Liban dans son entier comme seule circonscription.

• Interdire le financement étranger des partis politiques libanais.

• Assurer l’indépendance de la justice.

Ce pacte pourrait être le premier pas vers la nouvelle république, cette république idéale dont les Libanais rêvent et qui ne dépend pas malheureusement uniquement de leurs volontés mais aussi de celles des pays qui l’entourent de près ou de loin.

Pour résumer, le chemin sera long, et il conviendra de s’atteler en priorité aux deux principaux maux du pays : le confessionnalisme et la corruption.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Mon grand-père, officier dans la police libanaise, me répétait toujours que ce pays est ingouvernable, que tout le système est corrompu, que la réussite dans ce pays n’est possible qu’en faisant partie de ce système et qu’à défaut, il faut réussir ailleurs.J’ai donc pris la décision de quitter le Liban pour la France. Mais étant optimiste et têtu, j’avais toujours espoir de...

commentaires (1)

Cher Ahmed 100% d’accord avec tout ce que vous dites avec une seule exception: je ne comprends pas votre demande de circonscription unique. Enlever le confessionnalisme est effectivement la solution mais comment le faire sans brimer la diversité du Liban si vous appelez à un système purement basé sur la loi du plus nombreux? Les voix chrétiennes diluées avec aucun contre pouvoir ou équilibre pour protéger leur culture ou mode de vie... Aucun pays démocratique que je connaisse n’a un système avec une seule circonscription électorale. Même des pays bien plus homogènes que le Liban donnent du pouvoir à leurs régions. Le seul moyen de se débarrasser du confessionalisme sans détruire la diversité du Liban est au contraire avec plus de décentralisation et un sénat qui protègera les fondamentaux républicains. Sinon, c’est le Liban de M. Berry que vous souhaitez où la présence et la culture chrétienne sera annihilée ou marginalisée. Le risque du dominion iranien ou Syrien avec le succès qu’on connaît... Bien à vous.

Alexandre Choueiri

08 h 28, le 15 août 2020

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Cher Ahmed 100% d’accord avec tout ce que vous dites avec une seule exception: je ne comprends pas votre demande de circonscription unique. Enlever le confessionnalisme est effectivement la solution mais comment le faire sans brimer la diversité du Liban si vous appelez à un système purement basé sur la loi du plus nombreux? Les voix chrétiennes diluées avec aucun contre pouvoir ou équilibre pour protéger leur culture ou mode de vie... Aucun pays démocratique que je connaisse n’a un système avec une seule circonscription électorale. Même des pays bien plus homogènes que le Liban donnent du pouvoir à leurs régions. Le seul moyen de se débarrasser du confessionalisme sans détruire la diversité du Liban est au contraire avec plus de décentralisation et un sénat qui protègera les fondamentaux républicains. Sinon, c’est le Liban de M. Berry que vous souhaitez où la présence et la culture chrétienne sera annihilée ou marginalisée. Le risque du dominion iranien ou Syrien avec le succès qu’on connaît... Bien à vous.

    Alexandre Choueiri

    08 h 28, le 15 août 2020

Retour en haut