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Société - Psychanalyse, ni ange ni démon

Les Libanais vont enfin pouvoir commencer leur deuil

Voilà 15 ans que les Libanais attendent.

Le verdict que le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) va émettre dans 48 heures va les libérer de la souffrance la plus horrible que peut traverser un être humain : ne pas pouvoir enterrer son mort. Parce que le cadavre n’est pas en leur possession, parce qu’on ne sait pas ce qu’est devenu ce cadavre, parce qu’on ne sait pas si notre proche est mort ou pas (c’est le cas des parents de disparus en Syrie) ou parce qu’on ne sait pas pour quelle raison il est mort.

Sur un plan personnel, la mort d’un proche est innommable. Sur un plan collectif, national, la mort d’un leader l’est encore plus.

Il faut quand même trouver des mots. Surtout quand cette mort est injuste, inexplicable, insondable, obscure. Même si on peut deviner qui est son auteur. Le doute persiste et nous ronge. Voilà aussi pourquoi le verdict du TSL va soulager les Libanais. Il s’agit du verdict d’un tribunal. C’est sans appel. Et les raisons politiques ne justifient rien, ne valent rien. De même le déni que l’on peut y opposer. Le 14 février 2005, l’âme du peuple libanais lui a été arrachée. En témoignent les deux rassemblements populaires : celui des obsèques de Rafic Hariri le 16 février et celui du 14 mars avec ses un million trois cent mille citoyens réunis.

« Le zoom in, zoom out » de Hassan Nasrallah avait pour but de minimiser et de ridiculiser le nombre de Libanais occupant le centre-ville. Les Libanais lui ont répondu le 14 mars par l’afflux immense du rassemblement, entre 30 et 40 % de la population libanaise, du jamais-vu dans l’histoire, alors que son rassemblement, celui du 8 mars, avait réuni tout juste trois cent mille personnes.

En termes d’élections, non constitutionnelles, le peuple du 14 Mars (pas sa classe politique) a, de fait, gagné toutes les élections qui allaient suivre, jusqu’au 17 octobre 2020. Les Libanais voulaient savoir la vérité sur l’assassinat de Rafic Hariri. La vérité les a portés.

La vérité a un effet salvateur, thérapeutique. Pour tout le monde.

En Afrique du Sud, pendant l’exercice de la commission Vérité et Réconciliation, une mère est en face du tortionnaire de son fils. Le fils, journaliste, a eu les mains coupées pour l’empêcher d’écrire contre le régime de l’Apartheid. Puis il fut assassiné, le corps brûlé, sans restes. Le tortionnaire reconnaît être responsable. La mère lui dit : « Si vous avez encore ses mains, rendez-les-moi pour que je puisse les enterrer et commencer mon deuil. » Et elle lui pardonna. L’histoire raconte que la manifestation la plus violente pendant le déroulement de la commission fut un crachat. Cela indique bien que les aveux faits par les anciens tortionnaires eurent un effet pacificateur et réconciliateur. Les parents des victimes pardonnèrent facilement aux ex-tortionnaires, ce qui pourrait paraître paradoxal. Comment peut-on pardonner facilement aux tortionnaires et meurtriers de ses proches ?

C’est le mécanisme du deuil qui nous l’explique.

Lorsqu’on perd quelqu’un, on lui en veut. Cette hostilité déclenche une culpabilité à l’égard du mort, puis à nouveau de l’hostilité et de la culpabilité jusqu’à la fin du deuil.

Par contre, lorsque notre proche a été assassiné, ou a disparu, nous en voulons à ses assassins. Et de ce fait, nous ne pouvons pas lui en vouloir à lui. Le deuil est empêché et notre souffrance n’a plus de limites. L’aveu du meurtrier ou du tortionnaire nous libère de cette souffrance et nous pouvons alors commencer notre deuil.

Il est possible que le verdict du TSL, en rendant la vérité confisquée jusque-là, amène les Libanais à un pardon et à une réconciliation.

Voilà 15 ans que les Libanais attendent. Le verdict que le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) va émettre dans 48 heures va les libérer de la souffrance la plus horrible que peut traverser un être humain : ne pas pouvoir enterrer son mort. Parce que le cadavre n’est pas en leur possession, parce qu’on ne sait pas ce qu’est devenu ce cadavre, parce qu’on ne sait pas si notre...

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