
À une vitesse éclair, le président Aoun et le chef du gouvernement ont accepté la démission du ministre des AE Nassif Hitti et lui ont choisi un successeur. Photo ANI
Il est difficile de mesurer tout de suite l’impact de la démission de Nassif Hitti sur l’avenir du gouvernement, ou si cette démission pourrait en entraîner d’autres. Ce qui est certain, toutefois, c’est qu’elle écorne un peu plus ce qu’il reste de crédibilité à une équipe dont l’action apparaît incohérente, et même incompréhensible. Ainsi des autorisations de mariage accordées par un ministère et interdites par un autre. Ainsi des promesses successives de rétablissement de l’électricité qui mettent trois semaines à se mettre en place, ou de la crise à répétition des déchets, qui n’est réglée chaque fois que de façon provisoire.
Ce qui saute aux yeux, c’est que le départ de l’un de ses éléments les plus respectés pour son professionnalisme, son indépendance et sa carrière montre qu’il n’y a plus vraiment de place pour des indépendants dans ce gouvernement, et que le mince voile qui entretenait l’illusion d’une équipe de technocrates qui pouvait faire le poids face à la classe politique en place est sur le point d’être entièrement levé.
La preuve, c’est que cet homme pour qui le Premier ministre Hassane Diab s’était prononcé de préférence, il y a quelque six mois, est remplacé le même jour, à une vitesse éclair, par un autre diplomate venu des sphères du chef de l’État et dont le nom avait été avancé déjà depuis le tout début du processus de formation du cabinet.
Damien Kattar promptement écarté
Selon notre correspondant politique Philippe Abi-Akl, le chef du gouvernement aurait souhaité que celui qu’il considère comme son alter ego chrétien, le ministre de l’Environnement, Damien Kattar, assume l’intérim des Affaires étrangères, duquel il avait été systématiquement écarté par Gebran Bassil lors du processus de formation du gouvernement, mais il se serait heurté à ce sujet à un « non » catégorique de la part du chef du CPL.
Toujours selon notre correspondant, trois séries de raisons, administratives, diplomatiques et politiques, auraient poussé M. Hitti, conscient que le gouvernement ne pourra faire face aux tempêtes qui se préparent, à abandonner le Titanic avant son naufrage et à en juger aussi sévèrement le cours.
Sur le plan administratif, M. Hitti a débarqué dans un ministère dont Gebran Bassil tenait et tient toujours tous les rouages. Parmi les choses qui l’ont le plus irrité, précise notre correspondant Mounir Rabih, le fait qu’il n’a pu imposer aucun nouveau nom à l’équipe en place. C’est ainsi que M. Bassil a tenu à imposer comme successeur à l’ambassadeur du Liban à Washington, Gaby Issa, arrivé en fin de carrière et que lui-même avait nommé, son propre chef de cabinet, Hadi Hachem.
Partout sauf au ministère
Sur le plan diplomatique, M. Hitti a rapidement constaté que la politique étrangère du Liban se faisait partout sauf au ministère des Affaires étrangères. C’est ainsi que sur le dossier de l’ouverture sur le Golfe, dont les États boycottent le Premier ministre, il a dû accepter, ulcéré et humilié, que le chef de l’État lui préfère le directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim. C’est ainsi aussi qu’après la visite au Liban du ministre français des AE, Jean-Yves Le Drian, un Premier ministre maladroit et presque débutant lui a infligé la pire des insultes, en discréditant la visite du représentant de l’un des rares pays qui n’ont pas encore désespéré du Liban et continuent de le traiter en ami.
Sur le plan politique enfin, en diplomate de carrière qui a été longtemps en poste dans la capitale française, M. Hitti s’est révélé être réfractaire à toute politique des axes, et n’a donc pu s’adapter à la polarisation sous laquelle le Liban ploie et s’effondre, à quelques mois de l’élection présidentielle américaine en novembre.
Anticipation
M. Hitti, en outre, précise Philippe Abi-Akl, anticipait deux dossiers, celui du verdict du Tribunal international sur le Liban (7 août) et celui du renouvellement sans changement du mandat de la Finul à la fin du mois. En ce qui concerne le premier dossier, M. Hitti était conscient que le gouvernement n’a pas une position unifiée à ce sujet, et qu’un avis serait sollicité du ministère des Affaires étrangères, ne serait-ce que par voie diplomatique. Pour le renouvellement du mandat de la Finul, il redoutait de n’avoir pas les coudées franches pour le plaider.
Pour un fin observateur de la scène politique, « constatant qu’il ne parvenait pas à apporter une valeur ajoutée à la politique étrangère du Liban, et qu’il était marginalisé à fond par le pouvoir en place, accablé de reproches par le chœur des thuriféraires du Hezbollah, constatant enfin que sur le dossier des réformes, le gouvernement avance à pas de tortue, M. Hitti a choisi de quitter dignement le gouvernement, sachant pertinemment que le Liban s’avance vers des échéances cruciales qu’il n’a pas les moyens d’affronter ». Pour la petite histoire, on se moquait gentiment hier du fait que beaucoup plus de personnalités ont félicité M. Nassif d’avoir démissionné qu’il ne s’en était trouvé pour le féliciter de sa nomination.
Décryptage
Il n’est pas indifférent, enfin, de décrypter le texte dans lequel le ministre sortant des AE a donné lui-même les raisons de sa démission. « Son texte est bon, il est clair, commente l’ancien ministre de la Culture Tarek Mitri. Il dit ses inquiétudes. Il craint que le Liban ne soit un État failli. C’est là une phrase-clé. Il dit ne pas reconnaître son Liban dans le pays qui s’étale aujourd’hui sous ses yeux. En six mois, Nassif Hitti a constaté qu’il lui est impossible d’être le ministre des Affaires étrangères qu’il rêvait d’être : un homme d’ouverture dans un pays ouvert, un pays de non-alignement, un pays fidèle à ses amitiés traditionnelles, un pays qui a désespérément besoin de se refaire une crédibilité après son effondrement économique et financier, et qui s’obstine à faire le vide autour de lui. »
Pour sa part, la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, tout en comprenant parfaitement les raisons qui ont poussé M. Hitti à la démission, la déplore. « Sa démission ne gêne pas ceux qui ne veulent pas que les choses changent », affirme Mme Najm. « À la veille de l’audit de la Banque du Liban, une bataille qui nous concerne tous et dont nous n’avons aucune certitude qu’elle va aboutir, je trouve dommage que Nassif Hitti démissionne », avance la ministre qui estime aussi que « sous couvert de conflits politiques, ce sont de très gros conflits d’intérêts privés qui ont cours ».
Mais désormais, c’est un fait : après avoir bien regardé, n’ayant trouvé ni « vision claire », ni « intentions sincères », ni « culture des institutions, ni souveraineté, ni volonté de bâtir un « État de droit », ni volonté sincère de procéder à des réformes, le ministre des Affaires étrangères a décidé de claquer la porte.
La sortie de Hitti est comme Benoît XVI qui ne le laissait pas faire son travail alors il a donné sa démissionner . Courageux tous les Deux
16 h 35, le 04 août 2020