La déglingue accélérée du pays peut encore réserver des épisodes qui, même s’ils sont récurrents, n’en sont pas moins croustillants. Ainsi en est-il du sempiternel jus d’électrons, qui va et vient au rythme des neurones intermittents de ceux qui sont en charge de l’extraire et de le distribuer.
Quarante-cinq ans après le début de la guerre incivile qui avait transformé le Liban en compote indigeste avant de se terminer en queue de poisson, c’est le même cirque guignolesque qui tourne inlassablement entre des fournisseurs apathiques et véreux, des salariés planqués dans les dédales des bureaux d’EDL et un ministre complètement largué qui s’agite dans tous les sens pour faire croire qu’il travaille.
Premier cycle : on attend d’avoir cramé la dernière goutte de fuel pour lancer les appels d’offres. Les palabres peuvent durer une à deux semaines, ne serait-ce que pour s’entendre sur les entourloupes et les dessous de table, avant de terminer l’affaire par un contrat de gré à gré. Entre-temps, le vulgum pecus, lui, vagit dans le noir et transpire comme un goret.
Deuxième cycle : le ministre ment comme un arracheur de dents et jure avec la dernière énergie – c’est le cas de le dire – que le fuel est partout disponible. Pour convaincre, il prend les airs de l’incrédule halluciné qui vient de tomber de l’armoire, se cherche un sous-fifre pour lui faire porter le chapeau, et à défaut se met à glapir au complot rival ou même sioniste. À ce stade, on comprend que le métier est rentré et qu’il a vite appris le boulot de ministre.
Troisième cycle : la chaîne du froid est rompue depuis lurette et le manant de basse fosse balance aux poubelles tout le contenu de son frigo. Chez les personnages d’en haut, le tableau est plus poétique : attente romantique sur fond de soleil couchant du pétrolier gorgé de fuel et de promesses constellées de lumière…
Quatrième et dernier cycle au suspense haletant : 1- le rafiot arrive, mais la mer est démontée et il ne peut donc se brancher sur la centrale ; 2- la mer s’est calmée, mais impossible de vider la cargaison à cause des couches culottes usagées et des sacs de nylon flottants qui risquent de gripper les turbines; 3- le transvasement est sur le point de commencer, et puis patatras ! Le goûteur de fuel, un retraité de l’œnologie, a trouvé que le précieux liquide est bouchonné, non conforme et impropre à la combustion. Allez ! On rembobine les tuyaux et retour aux palabres et pinaillages du premier cycle… à la lumière de la bougie.
Et si par miracle la situation revenait à une normalité toute relative, EDL pourra toujours justifier un surplus de rationnement, en sortant un dernier lapin de ses cheminées toxiques : la blague de l’humidité qui encrasse les isolants des lignes de haute tension.
C’est dans ces moments qu’on remercie le ciel de ne pas posséder de centrales nucléaires.
gabynasr@lorientlejour.com
LE BORDEL DANS TOUTE SON OPULENCE TRES BIEN DECRIT. IL LUI MANQUE UNE PATRONNE COMPETENTE ET CAPABLE DE BIEN LE GERER.
16 h 04, le 24 juillet 2020