« Kellon, yaani kellon » (Tous, sans exception). En ce vendredi de la mi-juillet, le slogan phare de la contestation populaire du 17 octobre 2019 retentit une nouvelle fois, place des Martyrs, noyé dans les chants patriotiques et révolutionnaires diffusés par une sono hurlante. Un millier de personnes tout au plus se retrouvent, répondant à l’appel du Mouvement des anciens combattants pour le salut du pays, parrainé par le général à la retraite Chamel Roukoz et député du Kesrouan, pour réclamer la démission de tous les pôles du pouvoir, chef de l’État en tête, mais aussi président du Parlement et Premier ministre. Elles demandent la formation d’un gouvernement indépendant doté de pouvoirs législatifs exceptionnels, l’organisation de législatives anticipées et la mise en place d’un pouvoir laïc qui ne soit pas régi par le confessionnalisme politique.
Les retraités de l’armée libanaise et leurs familles sont majoritaires. Ils attendent impatiemment l’arrivée du parrain de l’événement, le député Chamel Roukoz, gendre du chef de l’État, qui doit prononcer son discours. Quelques familles sont aussi venues, dans l’espoir de redonner vie au soulèvement populaire. Les représentants du parti politique Citoyens et citoyennes dans un État, fondé par l’ancien ministre Charbel Nahas, affichent, eux, une présence en force, avec calicots et slogans. Ils scandent en chœur leurs revendications au rythme d’un tambour. « Le pouvoir a échoué. Nous réclamons un gouvernement de transition. Nous voulons un État laïc et ne voulons ni de Saad (Hariri) ni de Baha’ (son frère) », chantent-ils. On tente de les faire taire, prétextant le respect à la prière du soir. Car Chamel Roukoz et Charbel Nahas arrivent. Les deux hommes espèrent unifier le directoire de la contestation populaire. « Nous tentons de former un front commun d’opposition », explique Ramy Saleh, un partisan de Citoyens et citoyennes dans un État. « Désormais, nos mouvements sont politiques car nous avons l’alternative, le plan et la vision », assure-t-il à L’Orient-Le Jour.
« Cet effondrement ne leur suffit-il pas ? »
La manifestation prend alors des allures de meeting électoral. Dans l’attente des discours, embrassades et accolades sont de mise. Oubliés le masque protecteur et la distanciation sociale. Les nouvelles atteintes au coronavirus ont pourtant dépassé les 100 cas au cours des dernières vingt-quatre heures.
« Nous voulons le respect des droits des retraités de l’armée, comme ceux du peuple libanais », explique l’adjudant-chef à la retraite Tony Keyrouz. Mais la politique n’est pas loin. « Nous voulons le départ de ce pouvoir corrompu qui a volé les deniers publics et ceux du peuple. Leur place est en prison », ajoute-t-il. Dans la foule compacte, trois femmes arborent drapeaux libanais et emblèmes militaires. « Nos revendications sont sociales, dit Viviane, l’une d’entre elles. Nous voulons une carte de santé, l’assurance-vieillesse et une éducation de qualité pour nos enfants. » Rapidement, cette épouse de retraité de l’armée fait part de son soutien à Chamel Roukoz. « Je sais bien qu’il est proche du pouvoir par son épouse. Mais le fait que des proches du pouvoir se révoltent ne peut que renforcer la contestation populaire », soutient-elle.
Debout, à l’écart du brouhaha, Magida Nahas ne peut s’empêcher de crier sa frustration. « Cela suffit. Qu’ils s’en aillent ! Cet effondrement ne leur suffit-il pas ? Et tout le chômage qui va avec ? » Farah et Hussein, un couple en short et tee-shirt, ont fait le déplacement à cause de « la situation catastrophique du pays », de la cherté de la vie, des droits bafoués des citoyens, du chômage dont souffre le jeune homme. « Nous ne pouvons plus rester chez nous à attendre que tel ou tel soutienne ou non les appels à manifester, lance la jeune femme. Il est de notre devoir de protester. Et puis, l’armée libanaise est la seule en laquelle nous avons vraiment confiance. Ses revendications sont d’ailleurs justifiées. »
La présidence divise les contestataires
À travers les propos du couple, transparaissent les divisions qui minent la contestation populaire. Les protestataires de la Chevrolet, de Tripoli, du Akkar, de Baalbeck, de Taalabaya, de Jbeil et de Jal el-Dib, notamment, se sont désolidarisés du mouvement. Sur les réseaux sociaux, a même circulé le slogan « Si ce n’est pas Gebran (Bassil), c’est Chamel (Roukoz) », dans un refus catégorique des deux gendres du chef de l’État. Il faut dire que le slogan « Kellon, yaani kellon » qui ponctue les discours, ce vendredi, place des Martyrs, prend une nouvelle signification. Pour la première fois, il appelle à la démission du président Michel Aoun. « Nous réclamons une refonte totale du pouvoir. Cela passe par la démission du chef de l’État, Michel Aoun, du président du Parlement, Nabih Berry, et du Premier ministre, Hassane Diab », martèle le général à la retraite Joseph Asmar. « Et cette revendication est totalement rejetée par nombre de contestataires qui refusent de réclamer la démission du président Aoun. C’est pourtant bien le sens de notre slogan », insiste-t-il.
Alors que les discours se succèdent, dénonçant pêle-mêle les dérives et la corruption d’un pouvoir communautaire qui n’a fait que se partager le gâteau pour mieux préserver ses prérogatives, volant les deniers public et appauvrissant la population, c’est un Chamel Roukoz particulièrement combatif qui a condamné les marchés douteux auxquels se livre la classe au pouvoir. « Je ne peux me taire et oublier la cause suprême. Toute la caste au pouvoir doit démissionner, y compris le chef de l’État », a-t-il martelé.
commentaires (5)
Votre titre est faux. Roukoz n a pas demandé la demission de aoun, au contraire!
helene nasr
08 h 02, le 20 juillet 2020