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Culture - Interview Postconfinement

Marc Baroud : Même si certains ont tiré des leçons de la crise, le système ne changera pas pour autant

« Il me semble difficile de croire que les politiques actuels agissent pour améliorer l’état du monde », affirme, sans langue de bois, le designer libanais installé en France.

Marc Baroud : Même si certains ont tiré des leçons de la crise, le système ne changera pas pour autant

Marc Baroud. Photo Noor Semaan

Après avoir initié et dirigé la section Design à l’ALBA, Marc Baroud a ressenti le besoin, il y a trois ans, de renouveler sa pratique professionnelle. Adepte du « Slow Living », il choisit alors de redémarrer sa carrière à zéro en s’orientant, depuis la France, vers un design responsable. « Un design à échelle humaine, expérimentale et universelle », assure ce concepteur qui, à travers un réseau d’artisans répartis entre le Liban et certains pays européens, privilégie désormais les circuits courts de fabrication et de distribution. Entretien en mode WhatsApp, entre cynisme affiché et secrets espoirs...

Où et comment avez-vous vécu les mois de confinement dus à la pandémie du coronavirus ?

Je les ai passés à Paris, où je vis depuis 2017, avec mon épouse et mes enfants. Alors qu’au départ, rester deux semaines confiné me semblait insurmontable, deux mois se sont écoulés et, finalement, ce n’était pas si terrible ! Même si le fait de devoir remplir un formulaire chaque fois qu’on devait sortir de chez nous, une seule fois par jour, dans la limite d’une heure et d’un périmètre d’un kilomètre seulement, a pu nous sembler parfois aussi pénible qu’une assignation à résidence…

En fait, ma femme et moi avons essayé de garder un maximum de vie normale malgré les contraintes du moment. Donc, on a continué les activités qu’on pouvait poursuivre de chez nous : travailler, faire étudier les enfants… Et, comme c’était déjà assez difficile de maintenir un rythme habituel, personnellement, je ne me suis pas mis de pression supplémentaire. Je ne me suis pas astreint à lire 18 livres par semaine, à regarder tous les documentaires et les opéras possibles, à prendre des cours en ligne, comme tant d’autres autour de moi (rires). J’ai simplement ralenti le rythme.

Qu’avez-vous découvert, expérimenté, appris de nouveau ou encore tiré comme enseignement de cette parenthèse d’isolation et de temps ralenti ?

Je trouve qu’il est un peu tôt de tirer des enseignements personnels de cette période. Alors que d’habitude, je suis très rapide pour prendre de grandes décisions, je mets beaucoup de temps à digérer certaines choses.

En revanche, j’ai beaucoup appris sur les autres, vu que j’ai passé pas mal de temps sur Facebook et Instagram, alors qu’à la base je ne suis pas du tout fan des réseaux sociaux, bien au contraire ! Mais là, c’était intéressant de voir comment les gens réagissaient à cette crise. Et ça a été finalement une bonne période d’observation.

Et puis, comme je l’ai dit précédemment, j’ai enfin expérimenté le « Slow Living » que j’ai toujours prôné. J’avais déjà adopté ce courant dans ma pratique du design. Et aujourd’hui, c’est devenu mon leitmotiv dans l’absolu.

Cette période vous a-t-elle inspiré la conception d’une œuvre spécifique ?

Non, absolument pas. Elle m’a conforté dans mon idée de ralentissement et dans mon orientation vers un design plus responsable que j’ai entamé il y a 3 ans. En fait, j’ai pris une nouvelle direction dans ma vie et mon travail en octobre 2017. J’ai quitté l’ALBA (NDLR : dont il a fondé et dirigé le département de design) et je me suis installé en France avec ma famille. D’une part, parce que je désespérais de la situation au Liban, et, d’autre part, parce que je voulais renouveler ma pratique du design. Je me suis débarrassé de toutes les contraintes structurelles et physiques pour mettre mes compétences au service de différents projets, en totale liberté de temps et de mouvement. Et j’ai remplacé mon agence par un réseau de personnes avec qui je travaille en fonction des spécificités de chaque projet. Je suis donc redevenu designer freelance, ce qui me permet d’explorer à nouveau le processus du design à une échelle humaine, expérimentale et universelle. Un de mes derniers projets par exemple, Dot to Dots, est une marque de meubles et d’objets d’inspiration moderniste produits en petite quantité, avec les mêmes matériaux, les mêmes spécifications de qualité de fabrication, par un réseau d’artisans répartis géographiquement : aujourd’hui en Italie, au Liban, au Portugal et bientôt en Belgique. Ce réseau sera amené à se développer pour produire de plus en plus près de l’usager final. Ces artisans fabriquent tous la même pièce de la même manière, car l’idée qui sous-tend cette pratique est de chercher un dénominateur commun plutôt que de cultiver la différence. Et puis la fabrication et la distribution en circuits courts évitent ainsi le stockage et l’impact négatif sur la planète et permettent une économie de coûts et donc de meilleurs prix.

Une table d'inspiration moderniste signée Marc Baroud. Photo Marwan Harmouche

Pensez-vous que l’après-Covid-19 ressemblera à l’avant ? Qu’est-ce que cette pandémie va changer à votre avis ?

Même si, à titre individuel, beaucoup de gens ont tiré certaines leçons et décidé d’adopter un mode de vie diffèrent après cette pandémie, je pense que le système ne changera pas pour autant. Le monde va continuer à fonctionner comme avant, parce que le changement global ne peut venir que d’une décision politique. Et je doute que celle-ci soit prise, du moins pas dans un avenir immédiat. D’ailleurs, j’avoue que ça me faisait un peu rire de voir, sur les réseaux sociaux, des gens partager des photos de dauphins dans les canaux de Venise, la larme à l’œil. Je me disais qu’à peine le confinement levé, ces mêmes personnes allaient réserver à nouveau leurs 18 vols annuels à destination des 72 biennales de Venise et d’ailleurs… Pour ceux-là, rien ne va véritablement changer. Par contre, c’est pour les plus faibles, les plus à risques, les plus démunis que la vie va beaucoup changer, à cause de la crise économique qui arrive derrière…

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C’est sans doute cynique ce que je dis là, mais il me semble difficile de croire que les dirigeants politiques actuels vont se conduire en visionnaires et agir pour améliorer l’état du monde. D’autant que la mauvaise gestion de la crise du Covid-19 m’a, malheureusement, conforté dans cette conviction. Néanmoins, je ne veux pas être totalement pessimiste. Je pense qu’à un moment donné, les sociétés elles-mêmes initieront le changement. Cela viendra de la base, des comportements des individus. Certains signaux, même faibles, le laissent espérer…

Détail d’une pièce de la série « Intersection ». Photo DR

Comment voyez-vous évoluer le design dans ce contexte de double crise sanitaire et économique ?

Pour moi, le design est un terrain multiple. Depuis quelques années, il se calque de plus en plus sur le monde de l’art, avec ce phénomène de « biennalisation » qui lui donne un côté décadent. Il y a, à mon avis, très peu d’épaisseur dans une partie de ce que l’on voit émerger du design aujourd’hui dans ce secteur-là. Il y a bien sûr des exceptions heureusement ! Par contre, et c’est la partie immergée de l’iceberg du design, beaucoup de choses se passent actuellement qui sont porteuses de changements positifs. Beaucoup de concepteurs se dirigent vers un design plus social, un design inclusif ou encore un design local… Et ils explorent de plus en plus les questions d’ambiances, de convivialité, d’échanges et d’innovations sociales… Il y a ainsi de très belles initiatives de designers qui travaillaient sur ces sujets et qui ont vu la pertinence de leurs travaux résonner dans le monde entier suite à la crise du Covid-19. Ils tentent d’apporter des réponses techniques aux contraintes qu’a induites le virus dans les univers de la restauration, des hôpitaux, des lieux publics, de l’exploitation de l’espace public, etc.

Leurs travaux commencent à prendre écho dans les cercles qui sont d’habitude limités au design plus « décoratif ». Et cette visibilité d’un design nouveau, plus humanitaire et sociétal, notamment porté depuis quelques années par certaines figures du design comme Paola Antonelli, la directrice du design au MoMa, est à mon avis l’un des vecteurs du changement à venir.

Après avoir initié et dirigé la section Design à l’ALBA, Marc Baroud a ressenti le besoin, il y a trois ans, de renouveler sa pratique professionnelle. Adepte du « Slow Living », il choisit alors de redémarrer sa carrière à zéro en s’orientant, depuis la France, vers un design responsable. « Un design à échelle humaine, expérimentale et universelle », assure...

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IL NE CHANGERA QUE PAR LA PERSEVERANCE DE LA VOLONTE POPULAIRE. LA THAWRA !

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 56, le 30 juin 2020

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Commentaires (1)

  • IL NE CHANGERA QUE PAR LA PERSEVERANCE DE LA VOLONTE POPULAIRE. LA THAWRA !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 56, le 30 juin 2020

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