
Pour certains observateurs, les propositions faites au cours du dialogue national « sonnent creux ». Photo Nabil Ismaïl
La séance de dialogue national, qui s’est déroulée jeudi entre alliés d’un même camp, excepté l’ancien président Michel Sleiman et le député Teymour Joumblatt représentant le Parti socialiste progressiste (aujourd’hui dans l’opposition), a été l’occasion d’aborder certaines idées de fond assez éloignées des préoccupations du moment, celles de la faim qui tenaille la population et de la colère qui agite la rue. Deux idées ont particulièrement retenu l’attention des observateurs : la stratégie de défense, généralement chère au camp du 14 Mars (actuellement hors du gouvernement), soulevée par Teymour Joumblatt et par le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, le premier dans le cadre d’une feuille de route pour une sortie de crise présentée par son parti, et l’autre pour dire « qu’il n’y a pas de sujets tabous ». La seconde idée est celle de « faire évoluer le système politique », proposée par M. Bassil également, qui a provoqué aussitôt une levée de boucliers du courant du Futur : ce dernier, qui n’assistait pas à la réunion, y a vu une tentative de contourner l’accord de Taëf.
Mais alors que la seconde idée se retrouvait sans problème dans le communiqué final de la réunion, la stratégie de défense, elle, n’y figurait pas. Ce qui pose la question de la finalité des propositions lancées dans un tel contexte de « dialogue national » qui n’en était pas un.
Certains observateurs notent que les deux idées abordées par le chef du CPL n’avaient pas exactement la même place dans ce dialogue. La stratégie de défense serait un message lancé aux Américains, estime une source politique bien informée, en vue d’atténuer l’impact d’éventuelles répercussions de la loi César sur des personnalités proches du Hezbollah, dont l’ancien ministre lui-même. Ce message serait « toléré » par le Hezbollah (franchement hostile à toute mesure qui aurait une incidence sur ses armes), dans la mesure où il n’est pas officiellement adopté par Baabda, ce qui explique que la proposition n’ait pas été reprise dans le communiqué final. L’autre proposition, plus proche des aspirations de M. Bassil, et qui irait dans le sens d’une décentralisation élargie, toujours selon cette même source, s’est retrouvée dans le communiqué officiel. Ce qui fait dire aux opposants que certaines idées lancées dans pareil contexte ne visent qu’à jeter de la poudre aux yeux.
Salah Honein : un « discours creux »
C’est le timing de la mention de ces grands thèmes qui interpelle l’ancien député Salah Honein. « Cela fait si longtemps que ces partis sont au pouvoir, pour quelles raisons aborder de telles idées de fond dans un pareil contexte d’effondrement économique ? » se demande-t-il. Répondant aux questions de L’Orient-Le Jour, il estime que quel que soit le sens accordé par le chef du CPL au « développement du système politique », il suffirait de respecter deux concepts clairement énoncés dans la Constitution, la compétence et la spécialisation (dans les postes officiels), pour régler les problèmes que l’on cherche à traiter par le biais d’une modification du système. Selon lui, tant que l’administration reste entachée de corruption, tant que les efforts nécessaires n’auront pas été prodigués pour la rendre efficace, il est vain de parler d’une évolution du système. Il soupçonne par conséquent de telles propositions d’être des « discours creux ».
Et si l’intention était de se diriger vers la décentralisation ? « Dans tous les pays du monde, il n’y a pas de décentralisation réussie si le système central n’est pas une réussite à la base, fait remarquer M. Honein. Il faut tout d’abord que le système central soit sain afin de procéder à une décentralisation susceptible d’être une solution aux problèmes que l’on cherche à régler. »
Certains craignent que de telles propositions ne cachent des objectifs non déclarés, portant à titre d’exemple sur la tenue d’une Constituante et une modification du système qui favoriserait la mainmise de telle ou telle autre partie… « De quelle Constituante parlons-nous et qui peut dialoguer avec qui actuellement dans le pays ? répond M. Honein. Pourquoi ne pas commencer par rendre aux institutions nationales, comme le Parlement et le Conseil des ministres, leur véritable rôle ? À mon avis, même ceux qui lancent de telles propositions aujourd’hui ne savent pas exactement de quoi ils parlent. »
Pour le juriste, la mention de la stratégie de défense dans un cadre comme celui du dialogue national sonne également comme un « discours creux ». « Depuis des années, l’ancien président Michel Sleiman avait organisé un dialogue pour discuter d’une stratégie de défense, et tous les partis étaient représentés, rappelle-t-il. Comment cela s’est-il terminé ? Par deux roquettes dirigées contre le palais présidentiel. »
Selon lui, il suffirait aujourd’hui « de revenir au texte de l’accord de Taëf ainsi qu’à la résolution 1701 des Nations unies, qui représentent tous deux des engagements du Liban à désarmer les milices et à étendre la souveraineté de l’État sur l’ensemble du territoire ». « Stratégie de défense et cohabitation entre une armée officielle et une milice ne peuvent aller de pair », poursuit-il. L’ancien député adresse ensuite un message « aux Américains et aux Européens, si prompts à nous blâmer d’avoir permis que le Hezbollah en arrive là ». « J’aimerais leur rappeler que les “parrains” de l’accord de Taëf étaient des pays arabes et occidentaux, et qu’ils n’ont fait aucune pression pour empêcher que la distinction entre milice et résistance (par les Syriens) ne laisse aux Hezbollah le loisir de garder ses armes, dit-il. Nous assumons certainement une part de responsabilité, mais nous payons cher aujourd’hui les erreurs des autres. »
« Partez tous ! » peut-on lire sur cette pancarte brandie par des manifestants en marge du dialogue national à Baabda, le 25 juin. Photo Marc Fayad
Répression et discours de complot
Les militants de la thaoura étaient eux aussi attentifs aux assises de Baabda, à l’instar de Bassel Saleh, professeur à l’Université libanaise et militant politique. Que pense-t-il de la proposition de « développement du système politique » ? « Pour moi, le 17 octobre 2019 au soir a marqué le début de l’effondrement pur et simple du système, affirme-t-il à L’OLJ. L’avènement de la révolte a été le coup d’envoi d’une période de dissensions au sein de la classe politique comme avec les mouvements de la contestation. »
Il ajoute : « Les acteurs de ce système prétendent vouloir le faire évoluer, mais ce discours sonne creux, parce qu’il n’est certainement pas dans leur intérêt de le faire : j’en veux pour preuve la répression policière des contestataires dans la rue, accompagnée d’un discours de complot toujours prêt à l’emploi, que je comprends comme une volonté de protéger ce système. »
Pour le militant, la contestation populaire est un signe que ce système s’est déjà essoufflé, et que le changement total est inévitable. Il reconnaît cependant que « les forces de changement doivent apporter leur contribution à bâtir l’alternative ». Dans l’absolu, M. Saleh voit dans le discours sur la stratégie de défense et sur le développement du système « une fuite en avant » et « de la poudre aux yeux ».
La séance de dialogue national, qui s’est déroulée jeudi entre alliés d’un même camp, excepté l’ancien président Michel Sleiman et le député Teymour Joumblatt représentant le Parti socialiste progressiste (aujourd’hui dans l’opposition), a été l’occasion d’aborder certaines idées de fond assez éloignées des préoccupations du moment, celles de la faim qui tenaille la...
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Ces marionnettes qui croient pouvoir jouer dans la cour des grands ne sont là que parce qu’un parti armé leur donne la possibilité de fanfaronner et de se placer à des postes trop grands trop larges pour leurs carrures. Les masques tomberont très bientôt et les libanais souhaitent les voir moisir derrière les barreaux pour le restant de leur vie une fois le pays débarrasser des vendus de leur espèce. N’est pas manipulateur qui veut. Leur fin approche malgré tous les efforts et trocs qu’ils sont en train de manigancer pour sortir de ce piège qui finira par se refermer sur eux tous, les traitres de la nation.
Sissi zayyat
12 h 24, le 28 juin 2020