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Société - Journée internationale

Le Liban monte d’un cran dans la torture et les violences envers les manifestants

Lorsque l’impunité et la non-reddition des comptes alimentent une pratique longtemps systématique.

Le Liban monte d’un cran dans la torture et les violences envers les manifestants

« Vous ne pouvez pas jeter en prison toute une révolution », proclame ce contestataire, dans un pied de nez aux arrestations de manifestants. Photo « an-Nahar »

La violence envers les manifestants prend des proportions inquiétantes, depuis le 17 octobre 2019, date du début d’un mouvement de contestation populaire sans précédent, qui dénonce au quotidien et aux quatre coins du pays la crise économico-financière, la mauvaise gouvernance et la corruption de la classe politique. Après deux mois de pause, pour cause de confinement lié au coronavirus, elle opère un retour en force sur le terrain, avec les arrestations musclées de contestataires ou durant les interrogatoires. Sous prétexte que les militants ont fermé des routes, ou proféré des insultes à l’égard du chef de l’État, de son gendre et d’autres pôles du pouvoir, ils sont enlevés, détenus au secret, tabassés, électrocutés, intimidés, insultés, menacés. Et font souvent un passage nécessaire à l’hôpital, après avoir été relâchés. Ces actes de violence, physique ou psychique, sont pourtant sanctionnés par la loi criminalisant la torture adoptée en 2017, sans oublier que le Liban est signataire depuis 2000 de la Convention internationale contre la torture (CAT) et de son protocole optionnel en 2008 (Opcat).

Alors que le monde célébrait hier la Journée internationale de soutien aux victimes de torture, le Liban, lui, monte d’un cran dans la répression des libertés publiques, au lieu d’engager les réformes attendues. L’occasion pour des organismes de défense des droits de l’homme de tirer la sonnette d’alarme et de dénoncer l’absence de la moindre enquête menée par la justice, mais surtout l’impunité et la non-reddition des comptes dont jouissent les responsables d’actes de torture et de violence envers les manifestants et les détenus. Une situation qui ne peut qu’alimenter l’usage de la torture, constatent-ils, tout en montrant particulièrement du doigt trois organismes sécuritaires rodés à la tâche, « les services de renseignements de l’armée libanaise, la Sûreté générale et la Sécurité de l’État ».

Le calvaire de Ala’ et Mohammad
Ala’ et Mohammad, deux contestataires de Saïda, ont fait les frais de ces pratiques violentes en avril dernier, lors d’une manifestation. Au terme de leur interpellation par les services de renseignements de l’armée, ils ont raconté à la presse et sur les réseaux sociaux les gifles, les coups, le passage à tabac, l’humiliation et même les séances d’électrocution auxquels les soumettaient leurs bourreaux, comme s’il s’agissait d’un jeu. Des séances de torture durant lesquelles « tous les moyens ont été utilisés », les poussant « à avouer des actes qu’ils n’avaient pas commis », parce qu’ils ont vécu « un calvaire », et qu’ils étaient « à bout ». Pire encore, les deux activistes ont été « menacés de représailles », et d’être « une nouvelle fois jetés en prison » si jamais ils portaient plainte ou « racontaient ce qui leur été arrivé ». Les cas de Ala’ et Mohammad ont été répertoriés par l’organisation internationale Human Rights Watch (HRW), à l’instar d’autres cas de torture perpétrés envers les manifestants. « La justice n’a jamais enquêté sur les accusations de torture. Aucune sanction n’a été prise non plus à l’encontre des responsables de ces crimes et nul n’a rendu des comptes », déplore à ce titre la chercheuse au sein de HRW au Liban, Aya Majzoub, à L’Orient-Le Jour. HRW se dit même « très alarmée des récents cas de persécutions de manifestants qui critiquaient le pouvoir et exprimaient pacifiquement leur opposition au gouvernement ».

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Parmi ces violations répertoriées, « une quinzaine de cas de torture dont six très sérieux de tabassage et d’électrocution, l’interdiction pour les manifestants interpellés de rencontrer leur avocat avant leur interrogatoire, mais aussi des insultes et des intimidations », affirme Mme Majzoub, qui constate « une volonté du pouvoir de museler l’opinion publique et de l’encourager à pratiquer l’autocensure ». Et lorsque les défenseurs des droits humains ont réclamé des investigations sérieuses sur ces allégations de torture, « le procureur militaire a promis d’ouvrir une enquête, précise-t-elle. Mais au final il a chargé les services militaires de renseignement d’enquêter sur ces affaires, ce qui est une atteinte à l’article 401 du code pénal criminalisant la torture, qui insiste pour qu’une commission d’enquête indépendante soit chargée de l’enquête ».

Une quinzaine de plaintes, le dossier refermé

Selon Legal Agenda, « la torture, de même que les violences des forces de l’ordre, sont effectivement en augmentation au Liban, parce qu’il n’y a ni sanctions ni demandes de comptes à l’égard des responsables de ces actes ». « Considérée par les Nations unies en 2014 comme une pratique systématique des forces de l’ordre, elle était souvent limitée aux personnes les plus marginalisées avant le soulèvement populaire », observe l’avocate Ghida Frangié, présidente de l’association, citant « les investigations terroristes, les cas de collaboration avec Israël, les crimes de drogue, les personnes LGBT et les réfugiés Palestiniens et Syriens »... « Mais depuis le soulèvement populaire d’octobre 2019, le nombre de personnes qui ont côtoyé les forces de l’ordre a flambé. Les violences ont touché de larges segments de la société civile et le nombre de personnes exposées à la torture a sensiblement augmenté, note Me Frangié. En même temps, l’armée libanaise a vu ses compétences élargies au maintien de l’ordre intérieur. D’où le recours au tribunal militaire et la recrudescence des cas de violence à l’égard des manifestants. Des violences souvent perpétrées dans les centres de détention et lorsque les manifestants se sont rendus et se sont soumis sans résistance ». Et si le comité d’avocats de défense des manifestants au Liban a déposé « une quinzaine de plaintes » sur base de la loi qui criminalise la torture commise par les forces de l’ordre, « les autorités judiciaires ont fermé le dossier sans aucune investigation sérieuse », regrette l’avocate, également membre du comité.

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De plus, « les Forces de sécurité intérieure et l’armée n’ont publié aucune information concernant les mécanismes de responsabilité interne de leurs agents impliqués dans les actes de violence et de torture, ce qui permet la poursuite de ces actes dans l’impunité totale que ce soit de la part de ces institutions ou de la justice », ajoute-t-elle. Pour l’association Alef-Act for Human Rights, qui milite contre la torture depuis des décennies, la situation est très inquiétante. « Des manifestants sont arrêtés, battus et finissent à l’hôpital, dans une volonté claire de la part de l’État de les terroriser et de réprimer les libertés publiques, accuse son secrétaire général, George Ghali. Mais il n’y a jamais eu la moindre enquête sur base de l’article 401 du code pénal, et aucun responsable de torture ou de violence n’a été sanctionné jusque-là. Et si le Liban a bien criminalisé la torture en 2017, en amendant sa législation, il n’en reste pas moins que cette loi est largement bafouée, voire ignorée, en ces temps de soulèvement populaire. » On s’est moqué de nous. On nous a assuré que l’amendement de la 401 représentait un progrès. Mais rien n’a changé, gronde M. Ghali.

La violence envers les manifestants prend des proportions inquiétantes, depuis le 17 octobre 2019, date du début d’un mouvement de contestation populaire sans précédent, qui dénonce au quotidien et aux quatre coins du pays la crise économico-financière, la mauvaise gouvernance et la corruption de la classe politique. Après deux mois de pause, pour cause de confinement lié au...

commentaires (6)

Lorsque l’état ordonne qu’on torture ses citoyens pacifiques qui réclament leurs droits à vivre dignement et que la justice laisse faire on appelle ça un complot contre la république et des crimes contre l’humanité. Tous les libanais devraient descendre dans la rue pour déborder ce système mafieux à tous les niveaux du pouvoir. Que pourront ils contre des millions? Beaucoup de brebis galeuses infestent les forces de l’ordre et les rangs de l’armée. D’où les menaces de guerre civile. Ils n’ont rien appris de la guerre de 1975 et continuent sur le même schéma pour anéantir le pays. Les libanais ont voulu croire en leur armée mais apparemment les généraux colonels et juges sont de mèche et exécutent les ordres pour assurer une carrière brillante et ça s’appelle de la trahison. Il faut les dénoncer tous les jours dans tous les médias et porter plainte auprès des instances internationales des droits de l’homme. Ces crimes ne peuvent pas passer sous silence et rester impunis. C’est leur donner carte blanche pour continuer à suivre le modèle des Assad, des mollahs et compagnie.

Sissi zayyat

11 h 37, le 27 juin 2020

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Commentaires (6)

  • Lorsque l’état ordonne qu’on torture ses citoyens pacifiques qui réclament leurs droits à vivre dignement et que la justice laisse faire on appelle ça un complot contre la république et des crimes contre l’humanité. Tous les libanais devraient descendre dans la rue pour déborder ce système mafieux à tous les niveaux du pouvoir. Que pourront ils contre des millions? Beaucoup de brebis galeuses infestent les forces de l’ordre et les rangs de l’armée. D’où les menaces de guerre civile. Ils n’ont rien appris de la guerre de 1975 et continuent sur le même schéma pour anéantir le pays. Les libanais ont voulu croire en leur armée mais apparemment les généraux colonels et juges sont de mèche et exécutent les ordres pour assurer une carrière brillante et ça s’appelle de la trahison. Il faut les dénoncer tous les jours dans tous les médias et porter plainte auprès des instances internationales des droits de l’homme. Ces crimes ne peuvent pas passer sous silence et rester impunis. C’est leur donner carte blanche pour continuer à suivre le modèle des Assad, des mollahs et compagnie.

    Sissi zayyat

    11 h 37, le 27 juin 2020

  • J'etais hier sur l'autoroute du sud. On est reste bloque plus de 4 heures. Je comprends la colere et les motifs des manifestants. Neanmoins, je pense que le blocage des routes ne sert pas la revolution. Il faudrait imaginer d'autres moyens de pression sur nos incapables gouvernants

    Nader

    11 h 24, le 27 juin 2020

  • DANS LES BORDELS IL Y A UN PATRON OU UNE PATRONNE QUI GERE ET ON REND DES COMPTES. ICI ON NE REND PAS COMPTE DE SES ACTIONS ET DONC LES EXACTIONS PROLIFERENT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 49, le 27 juin 2020

  • Estimons nous heureux que ce qui est appelé les forces de l’ordre ne tirent pas à balles réelles contre les manifestants. Mais je n’ose pas écrire tout ce que je pense de cet État et de son prestige de crainte de représailles diverses.

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 38, le 27 juin 2020

  • oui ,c'est une tendance mondiale ,la violence! meme les démocraties anciennes n'y échappent pas ;est ce du à un long sommeil du citoyen gavé de propos bétifiants et qui a oublié de réagir quand il fallait ? ou bien à une tendance des pouvoirs de s'affirmer par la force dans un monde qui court à sa perte? le constat est terrible mais la loi revient non pas aux plus forts mais aux plus nombreux.J.P

    Petmezakis Jacqueline

    07 h 08, le 27 juin 2020

  • Outre les problèmes économiques, voilà encore un bon sujet de réformes que l'on s'est bien gardé d'aborder à Baabds l'autre jour.

    Yves Prevost

    07 h 02, le 27 juin 2020

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