Malgré les préliminaires interminables de préambules préalables, la conférence de Baabda s’est piteusement étalée, seuls quelques balourds monochromes ayant pris la pose autour de la table en forme de piste d’aéroport. Pourquoi se gêner tant que la plupart sont d’accord sur tout ? Le communiqué était d’ailleurs torché depuis la veille. Force est donc de se rabattre sur le subsidiaire insignifiant du secondaire négligeable.Alors que partout dans le monde les discussions portent sur les étapes du déconfinement, les mesures à prendre pour la relance de l’économie, le sort du télétravail, les précautions sanitaires face à une nouvelle vague de Covid-19… chez nous, on en est encore à s’enflammer autour d’un problème éminemment planétaire : le narguilé. Autrement dit, faut-il laisser le client fumeur dans un restaurant s’encrasser les poumons et polluer son entourage en tétant son bâton prolongé d’un tuyau, ou l’aligner contre un mur et le fusiller séance tenante ? Vaste programme.
En fait, tout est parti d’une autorisation du ministre de l’Intérieur qui a interrompu sa sieste pour signer le firman, avant de s’en retourner à son ronron. Jubilation des restaurateurs, qui pourront toujours servir leur raffinerie oblongue au gland incandescent ; consternation des faux-culs rabat-joie qui se répandent en jérémiades au prétexte que la loi antitabac est foulée aux pieds. Comme si ce torchon avait été écrit pour être appliqué !
Faut vivre au Liban pour s’accommoder de pareille schizophrénie : un État décrépi et corrompu qui prétend lutter contre le tabac, et qui détient en même temps le monopole de la fabrication, de la distribution et de la vente de cigarettes. Tout cela par le biais d’une structure publique vermoulue, pompeusement appelée Régie des tabacs et tombacs, à la fois abreuvoir et tonneau des Danaïdes pour la plus grande joie des larrons de la politique.
Mieux encore : contrairement aux pays normaux où le dossier du tabac relève du ministère de la Santé publique, chez nous, il est placé sous la coupe du ministère du Pognon, là où officie le brave Ghazi Wazni, qui s’ébroue par ailleurs auprès d’Istiz Nabeuh.
Pas question évidemment de privatiser cette poubelle, chasse gardée chiite. Tout comme d’ailleurs le Casino du Liban, fief maronite, la Caisse des déplacés, bastion druze, et le Haut-Comité de secours, camp retranché sunnite. À chaque communauté sa mangeoire, et les ouailles affamées seront bien gardées !
Moralité de l’historiette : la cigarette tue, certes. En revanche, s’arrêter de fumer nuit gravement au budget de l’État.
gabynasr@lorientlejour.com
commentaires (4)
Oui, effectivement, mais le Gouvernement a la conscience tranquille: sur chaque paquet de cigarettes, la Régie n'imprime-t-elle pas les deux mots magiques: "Fumer Tue"? Alors? Et puis, le Liban peut s'enorgueillir d'être le seul pays au monde où l'on peut commander un narguilé à domicile, avec "free delivery" svp!
Georges MELKI
11 h 32, le 26 juin 2020