
L’uléma Ali el-Amine en conférence. Photo d’archives ANI
C’est sous le choc, en apprenant que des poursuites ont été engagées contre l’uléma Ali el-Amine, que le patriarche Béchara Raï, alarmé, a dénoncé mardi soir, en pleine récitation du rosaire, « une dérive regrettable du Liban vers un État policier », révèle à L’OLJ l’un de ses proches. Et d’ajouter en substance : on savait que le Hezbollah s’acharne contre ce dignitaire chiite qui ne partage pas son idéologie totalitaire et la doctrine du « wilayat el-fakih » ; on savait aussi que l’homme a été expulsé de son domicile à Tyr, et qu’il vit à Hazmieh ; mais ce qu’on ne savait pas, c’est que la pensée unique conduirait des proches de ce parti, qui le tiennent comme « un vendu » et « un traître », à déposer une note d’information judiciaire dans laquelle ils accuseraient un homme de grande modération qui prie dans les mosquées sunnites « d’incitation à la discorde », simplement parce qu’il ne pense pas comme eux.
Un rectificatif a été publié hier par l’Agence nationale d’information (ANI), dans lequel cette dernière s’excuse d’avoir confondu les accusations lancées dans la note d’information transmise au magistrat par l’avocat Ghassan Maoula, avec le chef d’accusation retenu. La note signalait que le dignitaire chiite était coupable de « réunion avec des responsables israéliens à Bahreïn, critiques persistantes adressées à la résistance et à nos martyrs, incitations interconfessionnelles, machinations à des fins de discorde, atteintes aux règles religieuses de l’école jaafarite ». Finalement, le seul chef d’accusation retenu contre Ali el-Amine, c’est celui « d’attiser les dissensions confessionnelles et d’inciter à la discorde entre les communautés ».
Si la charge de « réunion avec des responsables israéliens » n’a pas été retenue, c’est que de toute façon elle aurait été du ressort du tribunal militaire, et qu’en tout état de cause, cette même accusation avait bénéficié d’un non-lieu en décembre 2009, au retour d’un congrès interreligieux auquel le dignitaire sunnite avait assisté à Bahreïn. Il s’était fait que le grand rabbin de Jérusalem y était également présent, ce qu’Ali el-Amine n’avait su qu’après coup. Sur le plan pratique, Hassan el-Amine a confié hier à L’OLJ que son père n’avait pas encore été légalement notifié des nouvelles accusations retenues par l’avocat général, dont il n’a appris l’existence qu’à travers la presse.
« Glissement vers un État policier »
Toujours est-il que l’action en justice engagée contre Ali el-Amine a soulevé l’indignation des milieux politiques et des activistes. « Le Hezbollah met en œuvre une politique d’intimidation et de censure de la parole, à coups de mensonges et de calomnies », a confié à L’OLJ l’ancien ministre Ibrahim Chamseddine, qui confirme le diagnostic d’un « glissement vers un État policier » constaté par le patriarche maronite.
M. Chamseddine critique par ailleurs la complaisance envers le Hezbollah des leaders du courant du Futur, qui se dédouanent aujourd’hui vis-à-vis du dignitaire chiite en condamnant les poursuites dont il fait l’objet, mais qui avaient lâché Ali el-Amine quand le Conseil supérieur chiite, sous la pression du tandem Amal-Hezbollah, l’avait dépouillé de son privilège de prononcer des décrets religieux (fatwas), alors que cette décision relève en dernier ressort du Conseil des ministres. Pour M. Chamseddine, les accusations lancées contre Ali el-Amine sont nulles et non avenues, elles doivent être retirées immédiatement et le magistrat qui les a retenues devrait en répondre devant ses supérieurs.
C’est dans le même sens que s’est prononcé Samir Geagea, qui a jugé « inadmissible que les libertés publiques au Liban en soient là » et a demandé à la haute magistrature d’y mettre un terme. « Il est inadmissible d’instrumentaliser la magistrature », a insisté le chef des Forces libanaises.
Pour sa part, Walid Joumblatt a dénoncé « le complot de falsification de l’histoire par les forces de l’ombre et de l’exclusion » et « l’abolition du Liban de la diversité et des libertés par des forces totalitaires ». Le leader du Parti socialiste progressiste s’est affligé en outre de voir ainsi manipulée la magistrature « ou ce qu’il en reste ».
L’ADN de la liberté
Dans les milieux des activistes, l’indignation n’est pas moins grande. Mais ces derniers ne craignent pas pour la démocratie, tout en constatant qu’elle est menacée aussi bien par les poursuites judiciaires arbitraires que les arrestations musclées. Et l’un d’eux, qui réclame l’anonymat, de rappeler que le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, vient d’annoncer que les offenses au chef de l’État ne seront plus tolérées.
« Un État policier, au Liban, est voué à l’échec, assure-t-il, nous ne sommes pas une société monolithique. Les Libanais portent dans leurs gênes l’ADN de la liberté. Et personne ne pourra leur en ôter le goût ». « Vous craignez pour Ali el-Amine. Mais nous craignons, nous, pour l’uléma chiite Yasser Aoudé. Écoutez sur YouTube ce qu’il prononce en plein Bir el-Abed ! » lance-t-il.
« Les services sont de retour, analyse de son côté Pierre Issa (Bloc national). Le gouvernement actuel est un gouvernement de services. Mais personne n’a galvaudé les accusations de collusion avec l’ennemi autant que certains de ses membres. Regardez ce qu’on a fait avec Ramzi Irani (un ingénieur et cadre des FL, assassiné en mai 2002), Toufic Hindi (conseiller politique du chef des FL détenu en 2001 pendant 15 mois pour collusion avec Israël), et aujourd’hui Ali el-Amine. » « Est-ce un hasard si la jeune femme que l’on poursuit en ce moment pour collusion avec l’ennemi est hostile au Hezbollah ? poursuit-il en référence à la militante Kinda el-Khatib sous le coup d’un mandat d’arrêt dans le cadre des poursuites lancées contre elle par le parquet militaire pour collaboration avec Israël. Mais les agents véritables, comme Fayez Karam (ancien membre dirigeant du Courant patriotique libre et proche collaborateur du général Michel Aoun condamné en 2011 à deux ans de prison pour collaboration avec Israël), et Amer Fakhoury (l’ex-responsable de la milice pro-israélienne de l’Armée du Liban-Sud) sont, eux, libérés. »
Et Pierre Issa de dénoncer en général la collusion entre la police et la magistrature, qui est le propre de tous les régimes policiers. Poursuivant sur sa lancée, le responsable du BN estime que, « pour le moment, l’opinion est d’avantage polarisée par la lutte contre la précarité, que par le combat pour les libertés, qui risque de faire ressurgir les lignes de fracture du 14 et du 8 Mars. Cet État souhaite régler les problèmes sociaux et économiques par la voie policière », fait-il remarquer, avant d’annoncer qu’une manifestation accompagnera la réunion de dialogue qui se tient aujourd’hui à Baabda. « Il nous faut du temps pour comprendre ce que fait ce régime. Peut-être bien que nous revenons au temps du président Émile Lahoud. Mais observez bien les pays que le Hezbollah nous présente comme modèles, la Syrie, l’Iran, le Venezuela, des pays qui lui ressemblent… ».
commentaires (8)
Quand les membres du CPL se révoltaient contre la présence Syrienne au Liban tout le monde les soutenait Aujourdh’ui arriver au pouvoir en vendant le Liban à Hezballah avec la complicité de Geagea et de Harriri Ils oublient vite que le peuple arrive toujours à son but comme ils sont arrivés à leur but LA VÉRITÉ CELA PRENDRA DU TEMPS MAIS ILS TOMBERONT TOUS ET SEULEMENT CEUX QUI PARVIENDRONT À QUITTER LE PAYS AVANT D’ALLER EN PRISON POURRONT RIRE CE JOUR LÀ
LA VERITE
00 h 40, le 26 juin 2020