
La jeunesse au centre de la contestation née le 17 octobre dernier. Photo João Sousa
À l’heure où les préparatifs vont bon train à Baabda en prévision de la rencontre à laquelle le président de la République Michel Aoun a convié demain l’ensemble de la classe politique, la rue ne semble pas près de décolérer. Si cette réunion n’a pour l’instant pas réussi à convaincre un grand nombre de responsables, la société civile est unanime à considérer qu’elle ne mènera à rien.
L’écart semble ainsi se creuser de plus en plus entre la jeunesse qui manifeste depuis le 17 octobre et la classe dirigeante. En témoignent les prises de position de militants de la première heure qui estiment que les assises de Baabda ne réussiront pas à changer la donne et qui appellent à la poursuite des manifestations.
Jamal Terro, 31 ans, un des activistes les plus engagés de Barja dans le caza du Chouf, estime que « cette réunion n’a aucun intérêt ». « Nous continuerons à brandir le slogan “Tous, ça veut dire tous” pour faire tomber ce système. Nous voulons un pays qui préserve la dignité de ses habitants, quelle que soit leur appartenance confessionnelle », souligne-t-il. « Le problème, c’est que nous devons lutter contre plusieurs figures corrompues. Mais nous n’avons plus rien à perdre. Ils ont volé nos rêves, notre avenir et ils osent venir nous parler de dignité », ajoute-t-il.
Un militant pose avec le drapeau libanais, lors de la manifestation du 6 juin 2020 à Beyrouth. Photo Joao Sousa
Pour Firas Abdallah, 36 ans, militant du Akkar, « une des seules régions aux côtés de Barja à avoir continué à manifester en dépit de l’épidémie de Covid-19 », comme il le souligne, la réunion de Baabda « est une tentative de la part des autorités de se repositionner face à la contestation ». « Il s’agit d’une tentative perdante de la part de Michel Aoun pour maîtriser la situation », estime l’activiste qui déplore par ailleurs « l’essoufflement » du mouvement de contestation. « Les contestataires ont pris du recul quand ils ont compris que Baha’ Hariri se tenait derrière les appels au désarmement du Hezbollah (lancés lors de la manifestation du 6 juin à Beyrouth et qui ont donné lieu à des heurts entre manifestants antipouvoir et partisans du tandem chiite). L’alternative serait une seconde intifada pour que ce mouvement puisse reprendre de l’élan », considère-t-il. Convoquées à l’initiative du président de la République et inspirées notamment par le président de la Chambre Nabih Berry, les assises nationales de Baabda, prévues demain à 11h, sont destinées à « examiner et débattre de la situation politique générale pour sauvegarder la stabilité et la paix civile, dans le but de prévenir tout débordement aux conséquences graves et destructrices pour la patrie, spécialement à l’ombre d’une situation économique, financière et sociale sans précédent au Liban », relèvent les cartons d’invitation adressés la semaine dernière par la présidence. Une manifestation est prévue demain à 10h, sur la route du palais présidentiel, au moment de la tenue de ces assises.
Faut-il dialoguer avec la classe dirigeante ?
Lara Moukahal, jeune Beyrouthine de 19 ans, fait partie d’un groupe de femmes militantes qui prennent part depuis le 17 octobre dernier à la plupart des manifestations. Elle rejoint la plupart des contestataires dans leur refus catégorique de la rencontre de Baabda. « La décision doit revenir au peuple, or ils sont en train d’agir comme si de rien n’était. Ils continuent à se concerter entre eux sans jamais nous écouter », déplore la jeune fille.
Une jeune femme manifestant devant des policiers antiémeute à Beyrouth. Photo João Sousa
Depuis que le chef de l’État a fait part de son intention de tenir ces assises, de nombreuses voix se sont élevées pour appeler à étendre les invitations à des représentants de la société civile. Pour Lara Moukahal, le dialogue avec la classe politique est une option à prendre en considération, faute de mieux. « Nous n’avons aucune considération pour la classe au pouvoir, mais il n’y a malheureusement pas d’autre issue que d’essayer de trouver des solutions avec ses représentants », explique-t-elle. « Si on ne trouve pas de solution, il faudra qu’ils soient démis de leurs fonctions parce qu’on leur a donné plusieurs chances », ajoute la jeune femme.
Rouba, la trentaine, ne partage pas le même avis. Pour cette militante originaire de Baalbeck, « la société civile ne devrait pas discuter avec la classe politique, sinon ce serait de la trahison ». « On ne peut pas s’attendre à grand-chose de la part de cette réunion. Ils sont déjà en train de s’affronter et ne savent même pas où ils vont. Ils ont détruit le pays et sont incapables de changer quoi que ce soit », déplore-t-elle.
Jamal Terro rappelle que les demandes des contestataires sont toujours les mêmes, depuis le 17 octobre. « Nous appelons au respect de l’indépendance de la justice, à la chute du gouvernement (de Hassane Diab) et à la formation d’un cabinet de spécialistes, à la démission du Parlement, à la poursuite des corrompus en justice, à la récupération des fonds volés, à la mise en place d’une nouvelle loi électorale, au départ du chef de l’État et au soutien à l’industrie et l’agriculture pour que le pays puisse s’affranchir de l’économie dollarisée », indique-t-il. « Ce mandat a entraîné le pays vers la faillite. Nous allons droit vers une explosion sociale. Le jour viendra où les gens extirperont les responsables de leurs maisons pour leur demander des comptes », prévient le jeune militant.
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Un gouvernement de l'ombre est une nécessité absolue.
Remy Martin
20 h 52, le 24 juin 2020