Les employées de maison au Liban devraient bénéficier d’un nouveau contrat unifié dès la fin juin, qui respectera leurs droits selon les standards internationaux et mettra fin aux abus dont elles sont victimes. La nouvelle est tombée hier, lors d’une réunion entre la ministre du Travail, Lamia Yammine Doueihy, et le groupe de travail placé sous la coordination de l’Organisation internationale du travail. Un groupe de travail qui planche sur le dossier depuis avril 2019, avec la participation, outre du ministère, des organisations locales et internationales Caritas, Kafa, Legal Agenda, Amnesty International, Human Rights Watch, mais aussi de L’Orient-Le Jour. Et ce dans le cadre du chantier d’abolition de la kafala ou système du garant, entamé par l’ancien ministre du Travail, Camille Abousleiman, et repris à bras-le-corps par l’actuelle ministre. Tout en sachant que le code du travail fait également l’objet d’une réforme majeure et devrait inclure le travail domestique.
Lutter contre le travail forcé
Au terme d’une longue réflexion, de dizaines de réunions, parfois orageuses, et d’une consultation nationale qui s’est déroulée à la veille du confinement imposé par la pandémie de Covid-19 à la mi-mars, les deux parties sont aujourd’hui d’accord sur l’essentiel des points de ce contrat qui réglementera la relation entre l’employeur et son employée de maison étrangère ou libanaise. Car après avoir émis des réserves sur la copie du groupe de travail dirigé par l’OIT, jugée particulièrement ambitieuse, le ministère du Travail a pris la grande majorité de ses remarques en considération, après discussions avec la Sûreté générale, qui gère la présence des travailleurs migrants sur le territoire libanais, et la Commission de législation et de consultations.
Dans ses grandes lignes, le contrat de travail qui doit être adopté très bientôt part de la nécessité d’empêcher toute forme de travail forcé. Le Liban fait en effet figure de mauvais élève sur la question. Il est régulièrement montré du doigt pour les nombreux abus à l’égard de la main-d’œuvre domestique étrangère, au point d’être qualifié d’esclavagiste par des associations de défense des droits de l’homme. On ne compte plus les confiscations de passeport, les privations de liberté, les salaires impayés, les horaires élastiques sans repos suffisant, les mauvais traitements aussi. Les images récentes de travailleuses éthiopiennes abandonnées par leurs employeurs sur le trottoir devant l’ambassade d’Éthiopie, sous prétexte de crise économique et sanitaire, ont fait le tour du monde. Et on continue de comptabiliser deux « suicides » de travailleuses domestiques par semaine, selon les estimations, sans que nul employeur n’ait jamais été inquiété, et de nombreux cas de « fuite » vu le taux élevé de maltraitance.
Possibilité de résilier le contrat
L’ensemble des questions conflictuelles entre employeurs et employées de maison sont aujourd’hui tranchées dans le contrat. Plus question désormais d’enfermer à clé la travailleuse domestique, comme cela se fait encore couramment. Plus question non plus de lui confisquer son passeport et ses papiers, de la priver d’un jour de congé hebdomadaire et de ses neuf heures continues de repos quotidien. La relation entre les deux parties est consentie, de part et d’autre. Car depuis son pays d’origine, la travailleuse est informée, dans sa langue, de toutes ses conditions de travail. Les tâches à accomplir sont claires, avant l’embauche. La possibilité de résilier le contrat est aussi possible, de part et d’autre, à n’importe quel moment, dans le respect des droits des travailleuses et des employeurs. Tout en sachant que la partie ayant commis une infraction ou un crime sera sanctionnée.
C’est dans ce cadre que le salaire de l’employée de maison ne sera pas inférieur au salaire minimum pour une semaine de 48 heures, à raison de 8 heures de travail quotidien. Le montant du salaire sera libellé (sur le contrat) en dollars ou en livres libanaises, sur base de l’entente préalable entre l’employée et son employeur. Il sera payé à la fin de chaque mois, dans sa totalité et sans retard, selon un mode de paiement contrôlable, défini par les deux parties. Les heures supplémentaires seront aussi assumées par l’employeur, tout en sachant qu’il ne peut faire travailler son employée domestique plus de 10 heures par jour. En aucun cas, l’employée n’aura à assumer de frais de recrutement, souvent défalqués de son salaire jusque-là. Elle bénéficiera par ailleurs de quinze jours de congé annuels payés, qu’elle pourra prendre au terme de son contrat de deux ans. Et en cas de décès familial, elle aura deux jours de congé payés, et le droit de prendre son congé annuel immédiatement.
Le nouveau contrat insiste sur la liberté de circuler des travailleuses migrantes, sur leur droit de se déplacer librement et à leur propre responsabilité sur le territoire libanais, d’avoir des liens extérieurs, amis ou famille. Il met de plus l’accent sur la nécessité de leur assurer des conditions de vie décentes, une chambre individuelle avec éclairage et fenêtre où elles peuvent se reposer et s’isoler sans risquer d’être agressées, compte tenu qu’elles sont logées au domicile de leur employeur.
Empêcher l’embauche de travailleuses encore plus vulnérables
Deux points essentiels font toujours l’objet d’un litige entre le ministère et le groupe de travail. Ce dernier avait proposé d’accorder aux travailleuses des indemnités de fin de service, à raison d’un mois de salaire par an, ainsi que le droit de se regrouper au sein d’associations ou de syndicats. Chose qui ne sera visiblement pas avalisée par le ministère, avant que l’emploi domestique ne soit couvert par le code du travail.
Il n’en reste pas moins que l’avancée sera déjà remarquable, une fois ce contrat adopté. Même s’il reste encore beaucoup à faire pour une plus grande liberté des travailleuses domestiques étrangères désireuses de ne pas vivre sous le même toit que leur employeur. « Nous aurons fait le premier pas dans le sens d’une réforme du système de la kafala », affirme à L’Orient-Le Jour Lamia Yammine. La ministre du Travail insiste sur l’importance de « réglementer le travail de la main-d’œuvre étrangère et de lui assurer ses droits humains », sur base des standards minimum requis. « Mais comme le Liban est exposé sur le plan sécuritaire, nous n’avons d’autre choix que de mettre des limites », observe-t-elle. Le processus est d’ailleurs loin d’être terminé. « Nous avons tant à faire », reconnaît-elle, évoquant notamment la bonne application et la mise en place d’un mécanisme efficace de contrôle.
Au moment où les deux parties mettent la touche finale à un effort conjoint de quinze mois, il est nécessaire de comprendre l’importance de ce contrat, malgré la crise financière qui secoue le pays. Même si nombre de travailleurs migrants décident aujourd’hui de rentrer chez eux vu la pénurie de dollars américains et la dépréciation de la livre libanaise, « il est indispensable de mettre en place les mécanismes qui empêcheront l’embauche de travailleuses domestiques encore plus vulnérables, susceptibles d’accepter des salaires encore plus bas que la main-d’œuvre actuelle », comme l’explique Zeina Mezher, porte-parole de l’OIT.
commentaires (4)
L'équation est simple. S'il y a autant d'employées qui désertent leur emploi, c'est qu'il y a un loup dans la bergerie. La mentalité esclavagiste de beaucoup de nos concitoyens, reste ancré au plus profond d'eux même, et le pire c'est qu'ils sont convaincus q'un homme (ou une femme) de couleur reste une personne inférieure à leur supériorité de blanc ou de maître.
Citoyen
19 h 00, le 21 juin 2020