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Culture - La compagnie des livres

Julia Kassar : Abracadabra et voilà, tout est au bout des doigts !

On dit que la lecture est un vice impuni. Mais on n’ignore pas non plus que c’est une vertu méconnue. Face au livre et à la lecture, une des actrices libanaises les plus talentueuses et les plus discrètes. Des planches au grand écran en passant par la petite lucarne, sa présence, tout de charme, suscite l’intérêt. Le confinement, dans tous ses prolongements, ses revirements et déconfinements, est une occasion en or pour découvrir le monde intérieur et le regard que cette comédienne doublée de pédagogue (professeure d’art dramatique à l’UL) pose sur l’univers des livres, du théâtre et du cinéma. En toute sagesse et (im)pertinence !

Julia Kassar : Abracadabra et voilà, tout est au bout des doigts !

Julia Kassar : « Pour une fois, tous les habitants de la planète sont égaux devant le malheur. » Photo DR

Avez-vous profité, durant la période de confinement, de ces moments « entre parenthèses » pour lire des livres, des pièces de théâtre ou des scénarios ?

Le confinement et les situations « entre parenthèses » ne sont pas choses nouvelles pour notre génération. On fait comme on peut pour les rendre tolérables. Oui, j’ai lu des romans et revisité les pièces de Shakespeare.

Lire a-t-il précédé le plaisir de la scène ou de la caméra ? Quel rapport entretenez-vous avec la littérature ?

J’aimais lire dans les deux langues. En arabe et en français. Toute jeune, le premier roman qui m’a fait aimer la langue arabe était Karen et Hassan, de Khalil Takieddine. Plus tard Youssef Awad avec Le pain et Les moulins de Beyrouth, ainsi que ses nouvelles. Adolescente, je lisais en cachette L’amant de Lady Chatterley de D.H. Lawrence, lecture sulfureuse interdite alors aux jeunes filles…

Comment s’est opéré le déclic avec le livre, si déclic il y a eu ?

Je ne me rappelle pas d’un moment précis. J’ai toujours été attirée par le monde du merveilleux de Perrault, des frères Grimm, d’Andersen. La petite sirène, Le vaillant soldat de plomb, Barbe bleue, La belle et la bête… J’adorais qu’on me raconte des histoires. À la bibliothèque de l’école, on trouvait les livres de la bibliothèque rose et verte : Oui-Oui, Le club des cinq, les séries de Martine, Les malheurs de Sophie, et Jean qui pleure et Jean qui rit, la comtesse de Ségur… En dehors de l’école, les bandes dessinées Loulou et Tabbouche, Superman, Astérix et Obélix...

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La lecture vient-elle à vous ou allez-vous vers elle ?

Pour la plupart, ce sont des rencontres hasardeuses, des découvertes. Une couverture m’attire, un titre ou bien un résumé. À une certaine époque, je voulais découvrir nos auteurs et poètes libanais.

Quelle sorte d’ouvrages vous parle le plus ? Roman, essai, biographie, histoire…

Les romans d’abord. Et la poésie ensuite (curieux n’est-ce pas ?), les pièces de théâtre et finalement les essais… Mais j’aime aussi les biographies. Celle de Sarah Bernhardt ! Puis il y a le rire de Françoise Sagan, ou bien Raspoutine de Vladimir Fedorovski, Gibran Khalil Gibran de Jean-Pierre Dahdah et Oum Kalthoum, etc.

Avez-vous besoin d’une mise en scène, mise en situation ou conditionnement pour lire ?

J’aime lire au lit avec le silence comme compagnon. C’est un vrai moment de détente. Contrairement à bien d’autres personnes, la lecture cravache mes sens et m’éveille.

De toutes vos lectures, quelle phrase ou pensée vous domine ou vous guide ?

La citation de Shakespeare dans Comme il vous plaira : « Le monde entier est une scène, hommes et femmes, tous n’y sont que des acteurs, chacun fait ses entrées, chacun fait ses sorties. Et notre vie durant, nous jouons plusieurs rôles. » Mais la phrase qui revient toujours, surtout dans les situations difficiles, et me donne de l’énergie : « Demain est un autre jour » prononcée par Scarlett O’Hara dans Autant en emporte le vent, le roman de Margaret Mitchell.

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Êtes-vous une boulimique de lecture ou une lectrice sporadique ? À quelle fréquence lisez-vous ?

Je ne suis pas boulimique, je fais attention à ma ligne (rires). J’ai toujours la bonne intention de faire passer un roman par semaine (lire pour le simple plaisir de lire !), mais il m’arrive très souvent de rompre ce rythme. Ceci dit, la lecture s’impose dans mes deux activités principales, de comédienne et d’enseignante de théâtre.

Quel livre a laissé une trace profonde en vous et pourquoi ?

Il n’y en a pas qu’un seul. Mais je cite Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, où le fantastique et la poésie mêlés à l’épouvante ont suscité en moi l’étonnement et l’émotion. Avec le temps, je me souviens vaguement des détails et des péripéties, et j’ai bien envie de le relire ! Mais je n’oublierai jamais ces papillons jaunes qui suivaient certains personnages et qui envahissaient la ville. Ou l’élévation de la plus belle femme du monde, vivante, au ciel tandis que montaient avec elle des draps, des scarabées et des dahlias. Je le conseille vivement à ceux qui ne l’ont pas encore lu !

Une déception, en littérature ou au cinéma ?

Le cinéma a son charme, il dépoussière les chefs-d’œuvre littéraires de tous les temps et les préserve de l’oubli, les actualise. Mais aussi, certains grands films doivent leur réussite à la richesse des œuvres littéraires. Des fois l’imagination du lecteur est beaucoup plus puissante que l’image au cinéma. Le film Les liaisons dangereuses, sans sous-estimer la prestation de Glenn Close, John Malkovitch et Michelle Pfeiffer, m’a un peu déçu, alors que j’avais été subjuguée par la lecture du roman de Laclos. J’ai même refusé de voir le film Le parfum de Suskind tant les images et les différents parfums dégagés des pages du roman s’étaient fortement ancrés en moi. Cela dit, voir en film un chef-d’œuvre littéraire est un vrai plaisir, si on n’a pas eu accès au livre auparavant. Je cite 1984 de Georges Orwell, L’insoutenable légèreté de l’être de Kundera, Brooklyn de Colm Toibin, Le tambour de Gunter Grass. Les films peuvent donner goût à la littérature et inciter le spectateur à retourner au livre. De plus, on ne peut se soustraire à l’idée que l’image envahit de plus en plus notre quotidien. Même nos messages sur WhatsApp sont actuellement bardés d’images…

En cette période singulière, lisez-vous sur tablette ou fouillez-vous davantage YouTube ?

Je préfère le papier au numérique. Mais le fait de trouver un titre par un simple clic est une aubaine et relève du miracle. Abracadabra et voilà, on est servi et tout est au bout des doigts. Il y a quelques années on attendait un mois, parfois davantage, l’arrivée d’un livre commandé chez le libraire. E-book, YouYube, soundcloud sont devenus aujourd’hui un must : une fenêtre grande ouverte sur le monde.

Quel personnage de roman auriez-vous aimé rencontrer en vrai ou tout simplement incarner ?

J’aurai aimé rencontrer Omar el-Khayyam, le grand humaniste philosophe et bon vivant. Bien qu’il dise de lui-même qu’il « est laid comme une femme perdue ».

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Que vous apporte la lecture ? Et en quelle langue lisez-vous le plus ?

C’est une activité de solitaire. J’aime bien ces moments que je ne partage avec personne. Je lis dans les deux langues, l’arabe et le français, beaucoup moins en anglais, à moins que je ne sois obligée de consulter des livres sur les différentes méthodes de la formation de l’acteur qui sont pour la plupart davantage disponibles en anglais qu’en français.

Quelles sont les lectures que vous conseillez à des amis, des proches ?

Je leur conseille de lire nos auteurs libanais que j’affectionne beaucoup et dans les deux langues. En arabe, Rachid el-Daif, Élias el-Khoury, Najwa Barakat, Hanane el-Cheikh, Alawiya Sobh. En français, Wajdi Mouawad, Amine Maalouf, Charif Majdalani. Dernièrement, j’ai lu le roman Hay el-syrian du jeune écrivain libanais Ali Sakka, ouvrage qu’il m’a dédicacé la nuit même du 17 octobre à la sortie de l’avant-première et de l’unique représentation d’une adaptation de Hamlet signée par Gérard Avédissian et interprétée par Rifaat Tarabaye à la crypte de Monnot. Ce soir-là, on entendait les manifestants descendus dans la rue protester contre le ministre des Télécommunications qui avait imposé une taxe sur WhatsApp. Curieusement, ce livre de Ali Sakka qui dépeint les inégalités des classes sociales et la transformation de la ville, contre la volonté de ses habitants marginalisés et réduits à la plus grande misère, en un paradis réservé à une élite, se termine par le grondement de la colère et la révolte dans les rues de Beyrouth. Un écho exact de ce que j’entendais ce soir-là…

Avez-vous jamais imaginé cette pandémie, ces jours de solitude ? Quelle leçon en tirez-vous ?

L’isolement et la peur des autres à cause d’un virus me rappelle l’absurdité des relations humaines en temps de crises dépeinte par Ionesco dans Les jeux de massacre. J’appartiens à une génération qui n’a pas eu un moment de répit, qui a traversé des guerres et des crises. Et ce n’est pas encore fini. Le pays est bouleversé sur tous les plans et le Covid-19 ne fait qu’aggraver la situation. Mais cette pandémie a atteint les pays riches autant que les pays pauvres. Pour une fois, tous les habitants de la planète sont égaux devant le malheur. Ne pourrions-nous pas en tirer une leçon pour un avenir meilleur ?

Avez-vous profité, durant la période de confinement, de ces moments « entre parenthèses » pour lire des livres, des pièces de théâtre ou des scénarios ? Le confinement et les situations « entre parenthèses » ne sont pas choses nouvelles pour notre génération. On fait comme on peut pour les rendre tolérables. Oui, j’ai lu des romans et revisité les pièces de...

commentaires (1)

Julia est une personne exceptionelle. Je l'admire.

SADEK Rosette

12 h 36, le 16 juin 2020

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Commentaires (1)

  • Julia est une personne exceptionelle. Je l'admire.

    SADEK Rosette

    12 h 36, le 16 juin 2020

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