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The legal agenda - Juin 2020

L’exécution des décisions de justice à l’encontre des personnes morales de droit public au Liban

L’exécution des décisions de justice à l’encontre des  personnes morales de droit public au Liban

L’exécution des décisions juridictionnelles est inhérente à la réalisation effective et efficace du droit et à la construction d’un État de droit. L’exécution, par définition, est non seulement « l’accomplissement par le débiteur de l’obligation due », mais pratiquement « la réalisation d’une obligation ou d’un devoir juridique, le processus qui permet de faire passer le droit dans les faits, de faire coïncider ce qui est et ce qui doit être ».

Or, en droit libanais actuellement, quand le débiteur est l’État libanais ou les personnes morales de droit public, le justiciable se voit intrinsèquement désavantagé, dans la mesure où dans la majorité des cas, la décision de justice dont il bénéficie reste désormais inopérante et lettre morte.

De l’obligation d’exécution de l’administration

L’article 93 du statut du Conseil d’État libanais consacre effectivement l’obligation pour l’administration de se conformer à et d’exécuter la chose jugée, c’est-à-dire les décisions juridictionnelles devenues définitives ainsi que les sentences arbitrales ayant obtenu l’exequatur, dans un « délai raisonnable ».

Le Conseil d’État affirme que l’administration ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire en la matière, et que l’exécution est intimement liée à la stabilité des droits et situations juridiques, dans la mesure où, quand l’administration est partie à une instance, elle devient liée comme toute personne privée par l’intérêt supérieur du respect de la loi et des décisions de justice.

Mais, contrairement aux dispositions de droit commun applicables en matière d’exécution forcée exigeant l’exécution dans un délai de cinq jours suivant la notification du titre exécutoire, l’expression ambiguë de « délai raisonnable » laisse une marge de manœuvre très large au juge administratif de l’exécution, et enracine une incertitude menaçante pour le justiciable quant au moment adéquat pour la présentation de la demande « d’exécution forcée » auprès des juridictions compétentes.

Des privilèges de l’administration face aux pouvoirs lacunaires du juge

À cette obligation d’exécution se heurtent aussi des privilèges et prérogatives dont bénéficient les personnes morales de droit public, qui se rattachent tant à leur personne qu’à leur patrimoine, à savoir les principes d’immunité de juridiction et d’immunité d’exécution, et les principes d’insaisissabilité, d’inaliénabilité et d’indisponibilité des biens publics.

Dès lors, ces privilèges limitent la possibilité d’envisager la mise en œuvre des procédures d’exécution forcée de droit commun. Plus spécifiquement, le principe d’insaisissabilité s’applique, en vertu de l’article 860 du nouveau code de procédure civile, aux biens et deniers de l’État et de toutes les personnes morales de droit public, sans distinction entre biens relevant du domaine public et ceux relevant du domaine privé ; ce qui implique que l’administration libanaise bénéficie aujourd’hui de l’immunité d’exécution totale sur le territoire libanais.

D’autres obstacles existent aussi, liés davantage aux pouvoirs du juge administratif : d’une part le juge ne dispose pas de pouvoirs suffisants pour obliger l’administration à exécuter les décisions de justice, et d’autre part les moyens mis à la disposition du justiciable pour forcer l’administration à exécuter sont aujourd’hui dérisoires face aux privilèges dont bénéficie l’administration.

De prime abord, l’article 91 du statut du Conseil d’État interdit au juge administratif d’adresser des injonctions à l’administration. L’absence de ce pouvoir d’injonction – qui est principalement un ordre du juge adressé à une partie au procès de faire ou de s’abstenir de faire quelque chose – marginalise l’obligation d’exécution effective de la décision.

Le juge administratif libanais considère que son rôle est limité à la déclaration des situations juridiques et qu’il ne peut point enjoindre à l’administration de faire ou ne pas faire une certaine action, car il considère que s’il s’immisce dans les affaires de l’administration, il portera atteinte au principe de séparation des pouvoirs. Même dans le cadre des recours en interprétation des décisions de justice, le juge se limite à l’interprétation du sens des mots, au sens strict du terme, et refuse de se substituer à l’administration en application de ses pouvoirs statutaires.

Tenté de trouver des brèches lui permettant de pousser l’administration à exécuter ses décisions, le Conseil d’État a parfois décidé, après examen des circonstances factuelles et légales, non pas de statuer sur le fond mais de renvoyer l’affaire devant l’administration compétente pour réexamen du dossier. D’autres fois, il a expérimenté une mise en œuvre extensive de l’article 66 du statut du Conseil d’État relatif au contentieux des référés, en prononçant des injonctions temporaires à l’encontre de l’administration.

Des droits inefficaces du justiciable

Or, ces pouvoirs lacunaires du juge viennent s’ajouter à une inefficacité flagrante des droits octroyés au justiciable. Ce dernier, face à une administration récalcitrante, ne dispose que de deux mécanismes pour « forcer » l’administration à exécuter : soit intenter une nouvelle action en justice pour demander l’imposition d’une astreinte, soit entreprendre une nouvelle action en justice pour engager la responsabilité de l’administration pour non-exécution des décisions de justice.

D’une part, la procédure contentieuse de l’astreinte, telle que prévue par l’article 93 du statut du Conseil d’État, est inadéquate et encombrante, car elle nécessite un nouveau procès et emprisonne le justiciable dans un cercle vicieux face à une administration qui s’abstient d’exécuter une décision de justice.

En effet, la demande d’astreinte nécessite un nouveau recours de pleine juridiction, recevable en cas de refus implicite ou explicite d’exécution de la part de l’administration, et elle est conditionnée par la présentation d’une demande préalable à l’administration, qui peut parfois être dispensée par décision du juge. Le justiciable, désavantagé face à la bureaucratie administrative, doit prouver aussi que l’administration n’a pas exécuté pendant un certain « délai raisonnable » et que cette dernière n’a pas avancé un motif légitime qui justifie l’inexécution.

Une fois la demande d’astreinte jugée recevable, le juge apprécie son montant. Mais ce montant varie considérablement et de façon discrétionnaire, et il est généralement associé à l’intérêt légal de 9 % : il peut aller ainsi d’un montant de 400 000 livres libanaises par exemple, à un million et demi de livres libanaises par mois de retard. Dans d’autres cas, le juge a fixé l’astreinte à 1 % par an du montant prévu par la décision de justice.

Or, le juge administratif, conservateur, mais aussi soucieux aussi des intérêts de l’administration, ne sanctionne pas l’administration systématiquement. Dans des cas où le Conseil d’État a relevé que l’administration a pris des mesures qui révèlent une « intention » d’exécution, que les circonstances de l’espèce « tendent » vers l’exécution, il s’est abstenu de prononcer une quelconque astreinte.

D’autre part, le justiciable a aussi la possibilité d’engager la responsabilité de l’administration, personne morale, pour non-exécution d’une décision de justice, ainsi que celle des fonctionnaires qui ont usé de leur pouvoir, directement ou indirectement, pour faire obstacle ou retarder l’exécution d’une décision de justice, et ce sur la base de l’article 93 du statut du Conseil d’État.

La jurisprudence administrative libanaise est constante quant à l’admission de la responsabilité de l’administration en cas de non-exécution des décisions qui ont été dûment déposées pour exécution et quant à la reconnaissance du droit du citoyen de demander un dédommagement si la durée de l’exécution excède un délai raisonnable et si cela engendre un dommage du fait de l’inexécution. Toutefois, ce « délai raisonnable », soumis à la libre appréciation du juge, est devenu l’ennemi de l’efficacité et de la sécurité juridique.

Des réformes fondamentales

Face au constat du statu quo, une série de réformes est donc fondamentale. Une refonte des principes d’exécution « forcée », des pouvoirs du juge, des dispositions légales diverses telles que l’article 860 du code de procédure civile, ainsi que du statut du Conseil d’État libanais doit être désormais à l’ordre du jour.

Le juge administratif doit en effet être en mesure, dans le cadre d’une même instance, de rendre sa décision et de garantir l’exécution effective de son jugement simultanément : il doit pouvoir définir les mesures d’exécution, dont l’injonction, fixer un délai ferme d’exécution et prononcer non seulement une astreinte sur demande, mais d’office aussi.

Il serait envisageable aussi, vu qu’en pratique les défauts d’exécution des condamnations pécuniaires sont les plus récurrents et les plus inquiétants, de mettre en place une procédure de paiement forcé, à l’encontre de toutes les administrations, et surtout les municipalités.

L’exécution des décisions juridictionnelles est inhérente à la réalisation effective et efficace du droit et à la construction d’un État de droit. L’exécution, par définition, est non seulement « l’accomplissement par le débiteur de l’obligation due », mais pratiquement « la réalisation d’une obligation ou d’un devoir juridique, le processus...

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