C’est l’épreuve la plus difficile à laquelle se trouve aujourd’hui confronté le sunnisme haririen. Affaibli financièrement et ayant perdu en cours de route le soutien d’une large partie de sa base populaire, l’ancien Premier ministre et chef du courant du Futur Saad Hariri doit désormais composer avec de nouveaux rivaux issus de ses propres rangs. Mais c’est surtout la concurrence exercée par son frère aîné Baha’, lequel se pose en alternative pour reprendre le leadership sunnite d’une rue désenchantée par les compromis consentis par son cadet, qui risque de faire le plus de dégâts et de miner un peu plus le courant politique de l’ancien Premier ministre, que certains considèrent déjà comme mort. L’émergence récente sur la scène de Baha’ Hariri, qui aspire à inverser la ligne politique tracée par son frère Saad, risque d’élargir le fossé entre les partisans de l’un et de l’autre, faisant craindre de plus en plus des tensions dans la rue, comme ce fut le cas vendredi 5 et samedi 6 juin à Tarik Jdidé où les supporters respectifs de Saad et de Baha’ en sont venus aux mains et se sont même affrontés à l’arme blanche.
Saad Hariri, qui espère toujours se refaire une virginité et réinvestir la scène politique dès que l’occasion sera plus propice, peut encore compter sur le soutien de partenaires qui lui sont restés fidèles, tels que Nabih Berry, Walid Joumblatt ou encore Sleiman Frangié. Même le Hezbollah continue de miser sur sa modération pour juguler tout radicalisme au niveau de la rue sunnite, bien qu’il n’envisage pas pour l’heure le retour du chef du courant du Futur à la tête du gouvernement. Autant de soutiens dont ses rivaux, qui se prévalent d’un antagonisme déclaré avec le parti chiite, ne bénéficient pas.
Mêmes objectifs, moyens inégaux
C’est sur le ressentiment d’une large partie de la rue sunnite et son exaspération à l’égard des effets de l’entente chiito-chrétienne que table Baha’ Hariri. Déclarant son refus de tout compromis avec le parti chiite, il se pose comme force de renouveau pour reprendre le legs de son père, l’ex-Premier ministre assassiné, auquel il promet d’être plus fidèle que son frère Saad, laisse-t-on entendre dans ses milieux.
Bien que plus « sage et plus pondéré » que son frère, selon un proche qui l’a connu de près (certains diront le contraire), et ayant mieux réussi que lui dans les affaires, Baha’ Hariri aura pourtant encore plus de mal à percer dans le paysage politique libanais, à en croire plusieurs analystes. Certains lui reprochent d’ailleurs de chercher à exacerber « la fibre sunnite primaire », un jeu dangereux dans un contexte aussi bouillonnant.
« Baha’ ne voulait pas s’immiscer dans la politique libanaise. Ceux qui gravitent autour de lui ont cependant parié sur l’argent qu’ils n’arrivaient plus à soutirer à son frère Saad. Ils ont fini par le convaincre de la nécessité de reprendre le flambeau et de perpétuer l’héritage de Rafic Hariri, une mission dans laquelle Saad a vraisemblablement échoué », indique une source proche de la famille.
Le radicalisme combiné
D’autres figures sunnites issues du courant haririen ne cachent pas non plus leur ambition de se lancer dans l’action politique. Il n’y a qu’à suivre de près les écrits d’un Radwan el-Sayyed pour comprendre un peu la brèche dans laquelle tente de s’engouffrer cet universitaire de renom, jadis conseiller et homme de confiance de Rafic Hariri, ouvertement critique du Hezbollah et du Courant patriotique libre.
Au cours d’une conférence de presse tenue le 2 juin dernier, il a annoncé le lancement d’un « rassemblement national » regroupant principalement des personnalités sunnites. Son objectif : remédier à une situation délétère et rectifier le tir en réhabilitant la Constitution et les accords de Taëf qui, selon lui, ont été dévoyés au cours de la dernière décennie. Dans une intervention percutante, l’universitaire a dénoncé « la consolidation d’un radicalisme chiite dirigé par le Hezbollah, qui s’est soldé au cours des dernières années par une emprise totale sur la présidence de la République, le Parlement et la présidence du Conseil ». Un objectif qui n’aurait pu être atteint selon lui, sans une alliance d’intérêts conclue en 2006 avec le « radicalisme chrétien », estime-t-il. La combinaison des deux radicalismes a fini par faire dévier le système libanais sur plus d’un plan, et mené le pays au bord de la faillite, estime en substance M. Sayyed. Ce dernier n’oublie pas de rappeler au passage la série noire des « assassinats politiques et l’occupation de Beyrouth », autant d’outils qui ont permis, estime-t-il, cette mainmise sur les rouages de l’État et de la vie politique.
Aussi bien Radwan el-Sayyed que Baha’ Hariri espèrent, chacun à sa manière, restituer à la présidence du Conseil tout son prestige et renflouer le leadership sunnite sérieusement affaibli sur l’échiquier politique. Une convergence d’objectifs qui a fait dire à un dignitaire tripolitain relevant de Dar el-Fatwa qu’en définitive, Baha’ Hariri et Radwan el-Sayyed sont les deux faces d’une même pièce puisqu’ils partagent le même projet politique.
Il reste que les deux hommes ont des profils et un mode d’action bien différents : les moyens dont disposent l’un et l’autre – en termes de financement et de soutien régional – sont aux antipodes.
Baha’ Hariri, qui n’a à ce jour aucune expérience politique, tente de gagner en popularité au niveau de la base et cherche à puiser un soutien auprès du mouvement de contestation dont il se revendique. Bien que ses partisans aient laissé entendre qu’il avait le soutien de l’Arabie saoudite, cette rumeur est démentie par l’ambassadeur du royaume, Walid Boukhari, assurent des sources concordantes. Les informations qui circulent depuis quelque temps, évoquées dans certains milieux diplomatiques occidentaux, font plutôt état d’un soutien de la Turquie, qui tente de s’incruster dans le paysage régional et notamment au Liban pour remplir le vide laissé par l’Arabie saoudite.
Interrogé, l’ancien ministre Achraf Rifi, l’un des alliés potentiels sur lesquels table Baha’ Hariri pour regagner l’allégeance de la rue sunnite tripolitaine, affirme qu’il n’en est rien et écarte la possibilité d’un rôle turc sur le terrain libanais. L’ancien ministre, qui affirme préserver ses relations avec les deux frères Hariri, confie à L’Orient-Le Jour qu’il a cependant « pris contact avec Baha’ Hariri récemment, pour lui demander de s’entretenir prochainement avec lui afin de comprendre les tenants et aboutissants de son projet politique ».
L’attentisme de Riyad
Radwan el-Sayyed, peu connu dans les milieux populaires sunnites, tente plutôt de séduire une certaine élite et espère plus tard conquérir le soutien de Riyad, dont il est très proche. « Les Saoudiens et les Émiratis ne veulent rien entendre pour l’instant. Ils ont clairement fait savoir à l’universitaire qu’il devrait d’abord faire ses preuves et démontrer la viabilité et l’efficacité de son projet politique avant de se prononcer et de débourser le moindre sou », confie un ami proche de M. Sayyed.
En attendant de voir ces nouveaux projets se décanter, la rue sunnite vit une véritable schizophrénie. À Tripoli notamment, où Baha’ Hariri avance à pas de géant, on craint la résurgence des violences attribuées ces derniers jours à des contestataires issus de groupes qui seraient grassement financés par le frère aîné. C’est notamment le cas d’un rassemblement intitulé les « Gardiens de la ville », « dont l’un des leaders, Jamal Badaoui, coordonne étroitement avec Achraf Rifi », indique une activiste tripolitaine.
À Tarik Jdidé, des accrochages à l’arme blanche qui se sont produits le week-end du 6 juin entre les partisans respectifs des deux frères, bien que timidement rapportés par la presse, ont fait craindre le pire.
Dans la rue, la scission est patente. « Ici, tout le monde aime Saad Hariri. Ceux qui soutiennent Baha’ sont payés pour le faire, il s’agit d’une minorité. Nous continuons de soutenir Saad malgré tout. Il est honnête et sans lui nous ne serions plus là, alors que Baha’ n’hésiterait pas à jouer sur la fibre confessionnelle », confie Fady Zaarour, un coiffeur de Tarik Jdidé âgé de 46 ans.
Une mère de famille de 45 ans exprime pour sa part ouvertement sa préférence pour Baha’ Hariri. « On entend beaucoup de choses positives sur lui. Certains disent qu’il a l’étoffe que son père et j’espère qu’il pourra accéder au pouvoir. Je veux quelqu’un qui puisse nous aider et trouver du travail pour mes enfants. Saad n’a rien pu nous donner », affirme-t-elle.
Exprimant l’avis de nombreux de ses coreligionnaires, Abou Omar, un commerçant de 48 ans du même quartier, dit se sentir abandonné en tant que sunnite et estime que seul Dieu pourra désormais prendre soin de la communauté. « Nous ne voulons ni Saad ni Baha’, nous avons été sacrifiés dans ce pays. Nous avons faim et tout ce qui nous importe c’est de pouvoir préserver nos commerces et gagner notre vie. Les leaders chrétiens et chiites ont fait beaucoup pour leurs communautés mais les nôtres nous ont laissés de côté », conclut Abou Omar.
Pauvre Liban la Syrie , les Ayattollah et maintenant les Turcs et les sionistes se frottent les mains et si par malheur le Hezbollah fait un faut pas contre ses voisins le Liban est détruit
18 h 36, le 15 juin 2020