Le leader du courant du Futur Saad Hariri a lancé jeudi une nouvelle charge contre le "sexennat fort" et le gouvernement "dit technocrate" sur leur gestion de plusieurs dossiers, de la crise économique aux nominations en passant par la polémique autour de la centrale électrique de Selaata, sur fond de bras de fer autour des prérogatives de la présidence de la République et du Conseil des ministres.
Confronté à la plus grave crise économique et financière que traverse le Liban depuis 30 ans, le gouvernement de Hassane Diab, entré en fonction il y a quatre mois, a élaboré un plan de redressement sur la base duquel il négocie avec le Fonds monétaire international (FMI) l'obtention d'une aide financière. Avant lui, le cabinet dirigé par Saad Hariri avait démissionné sous la pression de la contestation populaire déclenchée le 17 octobre 2019. Ce dernier avait conclu une entente politique avec le chef de l’État Michel Aoun qui avait pavé la voie à sa nomination à la tête du gouvernement. Mais depuis sa démission, Saad Hariri entretient des relations houleuses avec le Courant patriotique libre (fondé par M. Aoun et dirigé par Gebran Bassil) et le président de la République.
"On nous a dit que ce gouvernement était technocrate et non politique. Pourtant, certains ne cessent de menacer de démissionner. Il est où, le gouvernement de technocrates ?", a lancé M. Hariri lors d'une conversation à bâtons rompus avec des journalistes, en référence aux menaces exprimées ces dernières semaines par le mouvement Amal, le chef des Marada Sleimane Frangié ou le chef du Parti démocratique libanais Talal Arslane de se retirer du cabinet sur fond de divergences autour du dossier des nominations. Après des semaines d'atermoiements sur fond de luttes partisanes autour de l'attribution de plusieurs postes-clés au sein de l’État dans les administrations, notamment financières, le gouvernement Diab a procédé mercredi à un train de nominations décrié par de nombreux observateurs et formations politiques d'opposition comme un partage du pouvoir entre les parrains politiques du cabinet.
"Nous leur avons donné 100 jours et ils nous ont dit qu'ils avaient réalisé 97% de leurs objectifs dont on n'a rien vu (...) L'effondrement économique se poursuit, et nous voyons aujourd'hui où en est le cours de la livre libanaise. Ceci est très dangereux. Les salaires des employés baissent", a poursuivi le leader du Futur, alors que la monnaie nationale a frôlé le seuil des 5 000 livres pour un dollar sur le marché noir. "Félicitations à ce sexennat fort pour ce qu'il fait. Nous sommes en déclin continu", a-t-il lancé."Je ne demande pas de revenir à la tête du gouvernement"
M. Hariri a de nouveau évoqué la question des prérogatives de la présidence de la République et de la présidence du Conseil, le courant du Futur accusant le chef de l’État et son gendre Gebran Bassil de vouloir mettre en place un régime présidentiel, alors que le Liban est régi par un système parlementaire. "La présidence du gouvernement a toujours été la présidence du gouvernement, et ses prérogatives sont définies par la Constitution, mais il y a une vice-Premier ministre qui exerce ses prérogatives depuis le Grand Sérail. Ceci est inacceptable et ne passera pas. S'ils veulent mettre quelqu'un au Grand Sérail, nous mettrons quelqu'un au palais de Baabda", a-t-il lancé, dénonçant "un coup de force contre les prérogatives du Premier ministre". "Je ne demande pas de revenir à la tête du gouvernement. Tout le monde connaît mes conditions qui ne ressemblent guère à ce gouvernement", a-t-il ajouté.
Le leader du Futur a également critiqué l'affaire de la centrale de Selaata. "Nous avions salué le fait que le projet de Selaata a été abandonné. Mais nous avons été surpris lorsqu'il a été remis sur la table. Comment la Banque mondiale et le FMI pourraient trouver cela logique ?", s'est-il interrogé, dénonçant l'absence d'un nouveau conseil d'administration pour Électricité du Liban et d'une autorité de régulation du secteur.
À la faveur d’une entente politique préalablement conclue entre Michel Aoun et Hassane Diab, le Conseil des ministres avait approuvé la construction d’une centrale électrique à Selaata dans le caza de Batroun, fief de Gebran Bassil, revenant ainsi sur une décision antérieure stipulant la seule mise en place des centrales de Zahrani (Liban-Sud) et de Deir Ammar (Akkar). Le courant du Futur a vu dans cette démarche une décision imposée au cabinet par le binôme Baabda-CPL, en dépit de l’opposition de l’écrasante majorité des composantes gouvernementales.
L'ex-Premier ministre est également revenu sur les très fortes tensions communautaires qui avaient éclaté samedi entre les jeunes de différents quartiers sunnites et chiites, après des insultes lancées par ces derniers contre Aïcha, troisième femme du Prophète vénérée par les sunnites. "Ce qui s'est passé samedi est une dérive dangereuse. C'est le Liban qui est visé. Nous devons nous concentrer sur la modération et la coexistence", a-t-il déclaré.
L'ancien Premier ministre a par ailleurs décoché une flèche en direction du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, qui avait affirmé la veille dans un entretien avoir refusé d'appuyer M. Hariri pour la présidence du Conseil en raison des "circonstances qui ne s'y prêtaient pas". "Je n'interviens dans les affaires de personne. Qu'il fasse ce qu'il a à faire pour ses intérêts et moi, j'agis selon mes intérêts. Il n'est pas logique qu'il veuille donner des leçons", a déclaré Saad Hariri.
"J'ai plusieurs alliés comme Sleiman Frangié (qu'il avait un temps soutenu lors de la dernière course présidentielle en 2016) ou (le leader druze) Walid Joumblatt. J'entretiens des contacts avec Nabih Berry, ainsi qu'avec les Kataëb malgré nos divergences", a-t-il ajouté.
Interrogé sur son frère aîné qui tente de se faire une place dans la politique locale, Saad Hariri a répondu : "Baha' est mon grand frère. Certains, à l'instar de Nabil Halabi (un avocat proche du frère de l'ancien PM, ndlr), cherchent à avoir un rôle et ont soif de pouvoir, mais cela n'a pas d'impact sur le courant du Futur". Ces propos interviennent alors qu'un éclatement de la rue sunnite a été constaté ces derniers jours, avec l’entrée en scène de groupes liés notamment à Baha’ Hariri, porteurs d’un message radicalement différent de celui du courant du Futur.
Sur le plan régional, l'ex-Premier ministre a souligné que "la région est le théâtre d'un conflit entre les États-Unis, la Russie, la Turquie, l'Iran et d'autres". "Dans ce contexte, nous devons nous distancier. Si nous voulons parler avec la communauté internationale, nous devons respecter la distanciation", a-t-il conclu.
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Le seul salut de Hariri est de se défaire de toute alliance avec les collaborateurs syriens ou iraniens et de se rallier à des personnalités purement libanaises qui tendent à nous libérer de ces gens là et il n’en manque pas actuellement il suffit d’ouvrier les yeux et d’élargir son champs de vision, sinon c’est peine perdue. Les libanais ne veulent plus entendre parler d’un Frangié ou un hezballiote. Ils veulent des libanais intègres et honnêtes pour sauver le Liban.
Sissi zayyat
13 h 03, le 12 juin 2020