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Nos Lecteurs ont la Parole

Après sa légalisation à des fins médicales, le cannabis contre le Covid-19 ?

Le 18 juillet 2018, le Liban a annoncé qu’il envisageait d’aller de l’avant dans la légalisation du cannabis à usage médical, ainsi que sa culture. En août 2018, je faisais partie d’une délégation parlementaire nommée par le président de la Chambre, Nabih Berry, pour recevoir au Liban le professeur Robert Gorter, expert international dans la culture et l’usage du cannabis à des fins thérapeutiques et industrielles. En 2019, j’étais associée en tant que professionnelle en sciences et santé aux travaux de la sous-commission parlementaire présidée par le député Yassine Jaber. Lors de chacune de ces réunions, les différentes interventions étaient basées sur l’analyse de l’ensemble des données scientifiques disponibles sur le sujet, comme sur l’expérience des pays ayant déjà autorisé la culture et l’utilisation thérapeutique du cannabis. Depuis, l’instabilité politique au Liban avait retardé ce projet.

Comble de l’ironie, c’est dans un auditorium à Beyrouth pouvant accueillir quelques centaines de personnes – pour maintenir la distanciation sociale, comme mesure de prévention du Covid-19 – que la Chambre a adopté le projet de loi sur la légalisation du cannabis, le 21 avril dernier. Cette légalisation intervient dans un pays en proie à sa pire crise économique depuis trente ans, laquelle est amplifiée par la pandémie de Covid-19. Cette mesure devrait permettre à l’État d’engranger des revenus, notamment en instaurant une taxation sur la production. Alors que le Liban est accablé par un endettement à hauteur d’environ 170 % de son PIB et qu’il est en défaut de paiement depuis mars, il espère profiter du boom du cannabis thérapeutique comme ce fut le cas de l’Amérique du Nord. Selon une étude du cabinet Arc View Market Research, la légalisation du cannabis a engendré aux États-Unis un chiffre d’affaires de 6,9 milliards de dollars en 2016, soit 30 % de plus qu’en 2015, et pourrait rapporter jusqu’à 21,6 milliards de dollars d’ici à 2021.

Après des années d’atermoiements, voire de franche opposition, le Liban franchit enfin le pas. Cette décision fait suite à un rapport du cabinet de conseil international McKinsey & Cie chargé par le gouvernement libanais de proposer un plan de relance économique. Il préconise notamment la culture du cannabis à des fins médicales. De plus, le cannabis peut être transformé dans son intégralité pour être utilisé comme médicament, en matière première industrielle, dans la construction et l’isolation ou comme un aliment aux grandes qualités nutritionnelles. L’autorisation de la culture du cannabis stimulerait l’économie nationale et remédierait aux problèmes de la dette. Une telle culture pourrait rapporter plus de 500 millions de dollars par an selon le ministère de l’Économie et jusqu’à 4 milliards de dollars de profit annuel après les trois premières années. Puisque le Liban est l’un des plus grands pays producteurs au monde, le potentiel de son marché est immense.

En effet, la culture du chanvre dans la vallée de la Békaa remonte à plusieurs siècles. Cette région qui s’étend du nord au sud sur 120 kilomètres dans l’est du pays, jouit d’un climat et de conditions de sol propices à la croissance optimale du cannabis. Le Liban, décrit comme le quatrième producteur mondial de haschich par l’ONUDC en 2017, est renommé pour son haschich de qualité supérieure. Un seul hectare de cannabis peut produire entre 40 et 100 kilogrammes de haschich, ce qui représente de grosses rentrées pour les cultivateurs.

Les indications thérapeutiques du cannabis

Ce qui s’apparentait à une mauvaise blague de militant prolégislation sur les réseaux sociaux est en train de devenir une réalité scientifique. Aujourd’hui, une trentaine de pays ont légalisé partiellement ou totalement le cannabis à usage médical.

Depuis plusieurs années, en effet, les preuves scientifiques et médicales concernant les bénéfices que certains malades peuvent tirer de cette plante se multiplient. Au nombre des multiples champs d’utilisation de cette plante, on cite : les douleurs chroniques ou neuropathiques (d’origine nerveuse), certaines formes d’épilepsie sévères et pharmaco-résistantes, les soins de support en oncologie (nausées, vomissements, troubles physiques), les soins palliatifs, les spasmes musculaires douloureux dans la sclérose en plaques ou autres pathologies du système nerveux central. Le cannabis aurait également des propriétés anticancéreuses dans le cancer du sein. En France, à titre d’exemple, un médicament à base de cannabis (le dronabinol) est prescrit contre des troubles de l’appétit et pour limiter les effets secondaires des chimiothérapies. En Croatie, l’usage médical du cannabis est aussi légalisé depuis le 15 octobre 2015 pour les patients atteints de cancer, sclérose, sida et maladies rares.

Une équipe de médecins canadiens de l’Université de Lethbridge étudie l’impact de traitements à base de cannabis. Cette équipe, spécialisée dans le cannabis, affirme que certaines variétés de la plante pourraient réduire les risques d’infection du SARS-CoV-2 responsable du Covid-19. Alors qu’Israël a lancé en avril dernier des essais cliniques pour traiter le coronavirus à l’aide du cannabis, c’est maintenant au tour des Canadiens d’essayer. On vous avertit de suite : ce n’est pas en fumant du cannabis que vous serez immunisés contre le virus. Ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. Le cannabis n’est pas un médicament miracle contre le coronavirus et il est important de le rappeler à ce stade. Dans un contexte de compétition à la recherche d’un vaccin ou d’un traitement contre le Covid-19, les chercheurs poussent à explorer de nouvelles voies moins conventionnelles. En attendant les résultats des essais cliniques sur des personnes a priori infectées par le coronavirus, nous devons nous concentrer sur la réduction du nombre de décès.

La légalisation du cannabis est surtout un pas inattendu au Liban. Loin d’être une première mondiale, ce n’en est pas moins un événement pour notre pays qui était opposé à la production et la consommation de cette plante surtout durant le mandat de Fouad Chéhab. En dépénalisant l’usage thérapeutique du cannabis et en autorisant sa culture, le Liban s’ouvre de nouveaux revenus économiques dont il a cruellement besoin dans le contexte actuel. Mais serait-il capable de s’imposer sur la scène internationale comme un producteur majeur de ce produit ?

Mirna SABRA

Docteur ès sciences,Université

libanaise, faculté de médecine

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