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Et s’il fallait commencer par l’école publique ?

Le Liban que nous avons connu, et dont il nous semble voir aujourd’hui la dernière page se tourner, est le produit des missions éducatives européennes et américaines qui ont forgé son esprit libéral. Que ces dernières aient eu des arrière-pensées de pénétration politique ou religieuse importe peu au regard du trésor d’ouverture, d’éthique, de sciences, de culture et de discipline qu’elles nous ont transmis, faisant d’un peuple modeste mais vif, établi en rangs dispersés sur une lichette de littoral où commencent et finissent tout ensemble l’Orient et l’Occident, l’un des plus entreprenants de la région. La transmission de ces valeurs et de ces connaissances a profité à plusieurs générations, sans jamais décliner même au plus fort de la guerre de quinze ans. Les Libanais doivent tout à l’instruction qui leur a permis entre autres, au XIXe siècle, de prendre la tête de la Nahda et de réinventer à ce titre l’identité arabe occultée par l’Empire ottoman dont elle a accompagné, sinon précipité, la décomposition. De tous temps, l’instruction au Liban a été valorisée en tant qu’instrument de liberté, d’autonomie et d’indépendance, et la faculté acquise de jongler avec les langues a toujours été notre bel atout pour accueillir le monde et en être accueilli en retour. De tous temps aussi, l’éducation a été regardée d’un mauvais œil par les autorités féodales archaïques dont elle réduisait l’influence. On se souvient de la célèbre réplique d’un notable féodal du Sud auquel ses électeurs réclamaient une école : « Nous avons instruit notre fils, cela devrait vous suffire. » Sans l’excellence des établissements scolaires et universitaires libanais, nous n’aurions pas connu cet âge d’or cosmopolite où tant de secteurs se sont distingués, qu’il s’agisse de l’hospitalité, du tourisme, de la médecine et des hôpitaux, du système bancaire, des arts, des médias ou des établissements éducatifs eux-mêmes qui accueillaient nombre d’étudiants étrangers.

Le péché mortel a été la négligence, volontaire ou pas, de l’école publique et gratuite au profit des établissements privés dont les écolages prohibitifs sont aussi clivants que leur tendance au sectarisme. Il serait intéressant de chercher, à travers les obstacles qui ont empêché l’enseignement public de s’épanouir au Liban, certaines raisons de la déconfiture que connaît aujourd’hui le pays. De la corruption qui a conduit à la livraison de bâtiments scolaires mal desservis, insalubres et biscornus, au mépris des enseignants payés au lance-pierre, au choix même de certains enseignants souvent désignés au passe-droit et abonnés à l’absentéisme, au facteur religieux enfin, qui doit toujours s’immiscer dans tous les recoins de la vie publique et qui entrave la nécessaire mixité islamo-chrétienne, ferment d’une coexistence sereine. Les livres scolaires officiels, qu’il s’agisse de manuels d’histoire tronqués ou d’éducation civique torchés, d’une laideur décourageante, suffisent à donner une idée de l’importance accordée par les gouvernements successifs à l’enseignement. Comment ne pas faire ici mention spéciale de ce cas rarissime qu’est l’école publique Rachel Eddé, située sur un nid d’aigle mais née de la volonté de l’architecte Josiane Torbey qui en a assuré l’excellence depuis le tracé du plan. Le cadre, l’agencement adapté, l’intégration dans la nature garantissent en ce lieu l’égalité des chances et favorisent la qualité de l’enseignement. À l’inverse, comment oublier ce père de famille qui s’est immolé devant le médiocre établissement privé qui refoulait ses enfants parce qu’il n’avait plus les moyens de payer leur scolarité. De telles officines qui ont proliféré sur la mauvaise réputation de l’école publique ont porté l’estocade à tout le système et accéléré le décrochage.

En plus de l’annulation des examens officiels, on nous annonce que 80 % des écoles privées catholiques menacent de mettre la clé sous la porte. Cela ne serait pas un si grand mal, s’il existait une alternative correcte à leur règne. Mais il n’en existe pas. Et puisque ce pays est à refaire, et qu’à ce stade il oscille entre une chute libre dans l’obscurantisme et une possibilité de se redresser en emboîtant la marche du monde, ne regrettons rien, ne craignons rien, prenons notre courage à deux mains et réfléchissons concrètement à des perspectives d’avenir. La réforme de l’école publique n’est pas la moindre.

Le Liban que nous avons connu, et dont il nous semble voir aujourd’hui la dernière page se tourner, est le produit des missions éducatives européennes et américaines qui ont forgé son esprit libéral. Que ces dernières aient eu des arrière-pensées de pénétration politique ou religieuse importe peu au regard du trésor d’ouverture, d’éthique, de sciences, de culture et de...

commentaires (10)

Le développement de l’école publique qui a commencé avec la création de l’École normale pour former les enseignants a été freiné par les intérêts de la mafia de l’éducation privée qu’elle soit religieuse ou laïque. Ces écoles/dekkeneh paient mal leurs professeurs et profitent des élèves et leurs parents. Il est grand temps de raviver l’école publique. Pour cela, cependant, il faut un gouvernement et d’un gouvernement nous n’avons même pas l’ombre d’une ombre.

Michael

12 h 21, le 22 mai 2020

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Commentaires (10)

  • Le développement de l’école publique qui a commencé avec la création de l’École normale pour former les enseignants a été freiné par les intérêts de la mafia de l’éducation privée qu’elle soit religieuse ou laïque. Ces écoles/dekkeneh paient mal leurs professeurs et profitent des élèves et leurs parents. Il est grand temps de raviver l’école publique. Pour cela, cependant, il faut un gouvernement et d’un gouvernement nous n’avons même pas l’ombre d’une ombre.

    Michael

    12 h 21, le 22 mai 2020

  • Et s’il fallait commencer par l’école publique ? Il faut dire plutôt: et si l'on commençait par l'éducation nationale? Qu'elle soit à l'école privée ou à l'école publique.

    Tilda Abou rizk

    17 h 04, le 21 mai 2020

  • Mais c'est exactement mon propos

    aboudib fifi

    15 h 52, le 21 mai 2020

  • Pour une fois, pas d'accord avec FAD car on peut longtemps dire y a pas d'alternative et continuer à saigner les familles en scolarités démentielles ou prendre le taureau par les cornes et assurer à tous les gamins une scolarité de qualité, gratuite ou presque. Après tout, l'UL est une université publique et nous n'avons pas à en rougir. L'école publique est un creuset irremplaçable pour former des citoyens avec pour principale allégeance leur pays et offrir en retour au pays une génération bien éduquée et pas seulement une poignée de fils et fille de. Et je ne parle même pas du niveau de certaines écoles privées qui ne devraient même pas exister s'il existait une inspection pédagogique. Alors des écoles privées vont fermer? C'est peut-être enfin l'occasion de s'intéresser au public. Et à ceux qui s'inquiéteraient pour l'éducation religieuse de leurs gosses, la foultitude d'églises, mosquées et autres lieux de culte pourront prodiguer des cours de religion, en dehors des heures de classe, comme ça se fait ailleurs. Ma fille a fait caté une heure tous les mercredis.

    Marionet

    15 h 13, le 21 mai 2020

  • Les Ministres de l'Education se suivent sans que rien ne s'ensuive ni dans l’allègement du programme ni dans la modernisation du format d'enseignement ni dans l'introduction de nouvelles matières ni dans la mise a jour des écoles publiques .....j'aimerais bien savoir en quoi se resume le role de ce Ministère a part organiser un Brevet désuet!

    Myrna Khoury

    14 h 39, le 21 mai 2020

  • Il fut un temps où les écoles publiques relayaient et complétaient les écoles privées à partir des classes secondaires pour les familles peu aisées. Depuis que les obscurantistes ont pris le pouvoir et ont préféré investir dans les armes et les guerres pour sauver la face d’autres pays que le nôtre le système éducatif public s’est effondré. Un pays qui néglige l’éducation de son peuple ne peut prétendre à aucun progrès ni évolution sur le long terme. Le Liban aurait dû être le centre des recherches scientifiques et médicales pour concurrencer les pays développés vu la capacité intellectuelle de ses citoyens qu’on a poussé vers l’immigration pour briller ailleurs faute de stabilité et de moyens dans notre pauvre pays. Certains libanais ont adhéré à ce projet de destruction intellectuelle et économique en se voilant la face alors que leurs propres enfants ont fait les frais de ce complot de longue haleine qui arrive à maturité par leur faute et leur collaboration.

    Sissi zayyat

    13 h 14, le 21 mai 2020

  • absolument necessaire ! Surtout que beaucoup de ces ecoles privees- subventionnees- valent moins bien que la derniere des ecoles publiques

    Gaby SIOUFI

    10 h 51, le 21 mai 2020

  • REFORME DE L,ECOLE PUBLIQUE... VOUS REVEZ MADAME FIFI. LES REVES SONT PERMIS MAIS PAS QUAND ILS NE SONT QUE DES REVES QUI SE DILUENT AU REVEIL.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 35, le 21 mai 2020

  • Oui Madame c est par la qu il faut commencer. Merci de le rappeler

    Helou Helou

    10 h 27, le 21 mai 2020

  • c'est cela; tant qu'il y aura deux poids et deux mesures dans la société libanaise,cela laissera la porte ouverte aux injustices et aux manipulations multiples;J.P

    Petmezakis Jacqueline

    10 h 08, le 21 mai 2020

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