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Société - Focus

Comment se porte l’armée au milieu de la tourmente financière ?

Inquiets pour l’avenir, des responsables militaires réfléchissent à un système d’aide extérieure.

Des soldats appartenant aux commandos de l’armée, lors d’un défilé militaire à l’occasion de la commémoration de l’indépendance du Liban, le 22 novembre 2016 à Beyrouth. Anwar Amro/Archives AFP

À l’instar de la grande majorité des Libanais qui endurent le fardeau d’une crise économique et financière pesante et la perte de leur pouvoir d’achat, les militaires, jadis enviés pour certains avantages sociaux dont ils bénéficient, voient aujourd’hui la valeur effective de leurs salaires se réduire comme peau de chagrin.

Un soldat ordinaire qui touche 1 292 000 LL par mois voit son pouvoir d’achat drastiquement réduit aujourd’hui, une somme qui peut à peine faire vivre sa famille à l’ombre de la flambée des prix des produits de consommation et des denrées, même de base. « Mon fils (un officier) de 32 ans, dont le salaire mensuel est de 2 200 000 LL (ce qui, au taux du marché noir, équivaut aujourd’hui à quelque 500 à 600 dollars), est venu me demander pour la première fois de l’argent », confie ainsi un ancien officier de l’armée.

Considérée comme le pilier central de la stabilité du Liban, l’institution militaire, dévolue au maintien de la sécurité intérieure en plus de sa mission traditionnelle de protection des frontières, est donc confrontée à un autre grand défi, à savoir la survie au quotidien de ses effectifs les plus vulnérables. Une situation qui risque, à moyen terme, de démoraliser la troupe souvent sollicitée pour des tâches lourdes, sensibles et risquées que les forces de l’ordre ont souvent des difficultés à assumer. Une mission rendue encore plus difficile en présence de plus de deux millions de réfugiés syriens et palestiniens– souffrant aussi de la précarité de la situation –, et de la perspective d’une recrudescence de l’instabilité et du chaos du fait de la pauvreté qui touche désormais plus de la moitié de la population libanaise.

Bien que se trouvant dans une situation un peu plus enviable que celle des employés du secteur privé, touchés de plein fouet par un chômage rampant, les militaires, plus précisément la catégorie des « endurants », soldats et sous-officiers, qui portent le plus gros poids sur leurs épaules, risqueraient dans un proche avenir de voir leur disponibilité au service sérieusement affectée, craignent des experts militaires.

Risque de désertions ?

« Plusieurs d’entre eux seraient ainsi tentés d’aller chercher un second emploi en parallèle pour arrondir leurs fins de mois », met en garde un ancien officier qui prend pour exemple la situation qui avait prévalu en 1984-1985, lorsque la valeur de la livre avait chuté de manière vertigineuse. « À l’époque, plusieurs soldats venaient me demander une permission pour aller subvenir aux besoins de leurs familles en effectuant de petits emplois parallèles », dit-il.

Ce qui est le plus à craindre en temps de crise aiguë est toutefois la question des désertions ou, pire encore, celle de délits ou autres crimes que seraient tentés de commettre des militaires si la faim devait venir frapper à leurs portes, fait remarquer un analyste qui a requis l’anonymat. « Dans les années 80, nous avons rencontré des situations où les soldats venaient nous voir en prétextant avoir perdu leur arme personnelle, alors qu’en réalité, ils l’avaient vendue aux milices impliquées dans la guerre civile. Un tel scénario n’est pas à écarter si les militaires devaient en arriver à ce point de privation », raconte l’analyste. Ce dernier dit également craindre à long terme des cas de désertions comme ce fut le cas durant la guerre civile, une hypothèse pour l’instant peu plausible tant que les risques sécuritaires pour les militaires sont encore minimes et que les emplois ne sont pas faciles à trouver.

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Si les difficultés rencontrées découragent un certain nombre de militaires qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, d’autres font toutefois preuve de résignation, s’estimant encore chanceux de pouvoir toucher leur salaire, ce qui n’est plus le cas pour de nombreux Libanais dans le privé. Mais l’angoisse est réelle face à l’avenir qui s’annonce sombre, notamment à la lumière des prédictions et rumeurs selon lesquelles l’État libanais, en situation de faillite, pourrait en arriver au point de ne plus pouvoir payer les salaires de ses fonctionnaires civils et militaires.

« Je me contenterais même de 500 000 LL pour pouvoir me nourrir avec ma femme, à condition que l’État n’arrête pas de me verser un salaire constant », a affirmé récemment à ses proches un soldat à la retraite qui touche actuellement 1 700 000 livres et dont les propos sont rapportés par un membre de sa famille. Mais ce n’est guère le sort des retraités qui inquiète le plus, souligne un officier lui-même à la retraite, puisqu’ils sont devenus improductifs. « L’inquiétude au sein du commandement de l’armée est plutôt suscitée par la catégorie des “endurants” qui constitue la majorité des effectifs et qui contribuent au maintien de la stabilité du pays », dit-il.

Des avantages relatifs

Les militaires, qui jouissent de quelques avantages financiers permettant de majorer leur salaire de base de près de 10 %, sont généralement considérés comme étant « relativement favorisés » par rapport aux employés du secteur privé et même par rapport aux autres fonctionnaires de l’État. « Il ne faut pas oublier qu’ils prennent leurs repas dans les casernes et bénéficient de couverture médicale, sachant que par ailleurs, ils ne paient que la moitié des frais scolaires pour leurs enfants », à côté d’autres avantages encore, commente une personne dont plusieurs membres de la famille sont dans l’armée.

Cependant, même si pour l’heure la situation n’a pas encore atteint un point alarmant, les responsables au sein de l’institution militaire réfléchissent dès à présent à une solution qui pourrait anticiper les scénarios catastrophe et protéger cette institution des inconnues pour lui permettre de continuer à remplir son rôle stratégique.

« On ne peut se permettre de laisser les choses se régler d’elles-mêmes. La prévision est vitale pour pouvoir parer aux dangers et défis qui menacent non seulement l’armée, mais tous les services d’ordre aussi », dit l’ancien officier. D’où un besoin urgent pour la troupe de recevoir des aides en provenance de pays tiers pour lui permettre de passer le cap de cette période difficile.

Le problème qui se pose toutefois est de pouvoir attirer cette aide de manière à ne pas risquer de ternir l’image de la troupe qui deviendrait alors dépendante, pour sa survie au quotidien, de puissances étrangères. Un cas de figure qui deviendrait encore plus problématique si, par exemple, certains en venaient à faire des amalgames entre le soutien multiforme prodigué actuellement par les États-Unis à l’armée libanaise et le paiement des salaires des militaires par Washington...

Selon l’officier à la retraite, la solution réside dans un scénario consistant à passer par le gouvernement qui serait le bénéficiaire des fonds destinés non plus seulement à l’armée, mais également à l’ensemble des forces de l’ordre de manière équitable pour ne pas aiguiser les sensibilités. Cette idée aurait déjà germé au sein du commandement de l’armée et dans l’esprit de plusieurs pays qui surveillent de très près l’évolution de la situation au Liban, notamment au plan sécuritaire.

Bref aperçu des salaires de l’armée

Ci-dessous un aperçu des salaires de base des militaires communiqué à L’Orient-Le Jour par un officier à la retraite :

- Soldat : 1 292 000 LL

- Aspirant : 1 345 000 LL

- Lieutenant : 1 634 000 LL

- Capitaine : 1 776 000 LL

- Commandant : 2 000 000 LL

- Colonel du 1er échelon : 2 460 000 LL.

- Général de brigade du 1er échelon : 3 600 000 LL

- Général de division du 1er échelon : 4 960 000 LL

- Commandant en chef de l’armée : 6 300 000 LL.

À l’instar de la grande majorité des Libanais qui endurent le fardeau d’une crise économique et financière pesante et la perte de leur pouvoir d’achat, les militaires, jadis enviés pour certains avantages sociaux dont ils bénéficient, voient aujourd’hui la valeur effective de leurs salaires se réduire comme peau de chagrin.Un soldat ordinaire qui touche 1 292 000 LL par...

commentaires (8)

Les propos de cet ancien officier sont honteux concernant les salaires de la troupe payés par l'étranger.

Esber

17 h 15, le 20 mai 2020

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Commentaires (8)

  • Les propos de cet ancien officier sont honteux concernant les salaires de la troupe payés par l'étranger.

    Esber

    17 h 15, le 20 mai 2020

  • … Au Liban, un général a une meilleure retraite qu’aux Etats-Unis !!!!! : https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/05/02/riad-salame-la-faillite-du-magicien-libanais_6038429_3234.html. Ça devient affolant de se faire une idée sur la grille des salaires au Liban. Prenons les salaires repris dans l’article : ""Général de division du 1er échelon : 4 960 000 LL"" font en dollar (mettons sur un marché informel de 3500 LL/$) = 1417,14 $ américain, et celui du ""soldat de 1292000LL"" font 370 $ chiffre arrondi. L’écart est énorme, si l’on met de côté le prestige de la fonction, les avantages et autres privilèges. Quel seront leurs revenus au moment de leur départ à la retraite ? En quoi la retraite est meilleure qu’un général aux Etats-Unis ? Alors LA question, comment faire des coupes budgétaires, toucher aux salaires par je ne sais plus quelle réforme, quand le salaire d’un soldat, vaut celui d’un réfugié en Allemagne et ses indemnités mensuelles après acceptation de dossier, et je me garde bien de faire la comparaison avec l’employée de maison. Comment construire une vie dans des conditions pareilles …

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    13 h 34, le 20 mai 2020

  • Le Hezbollah et les Aounistes ont pendant longtemps chanté que les sanctions ne les touches pas etc... Bientôt ils vont danser! Cette fois se sera la belle et les "tout le monde a gagné" c'est terminé! L’armée, après tout, c'est le peuple! Et le peuple d’après la constitution, est source du pouvoir. Le peuple a émit ses demandes en Octobre 2019 et ses demandes au final passeront! Ça commence avec la démission immédiate du Gouvernement, des élections législatives, la démission du Président et du Président de la chambre, élection d'un nouveau Président de la chambre et d'un nouveau Président de la République suivie de suite de la formation d'un nouveau gouvernement issue de la nouvelle majorité. Apres cela, Prise en main par le nouveau gouvernement de la douane sur tout le territoire quitte a demander l’application du chapitre 7 a l'ONU. Le reste suivra. Pour ceux qui pensent que cela peut conduire a une guerre avec le Hezbollah et ses milices, qu'ils sachent que celle ci arrivera tôt ou tard et il vaut mieux tôt que tard avant qu'il ne reste plus rien a sauver. Au moins si le conflit est entre l’armée et le Hezbollah, le Liban regagnera sa crédibilité interne et internationale. C'est garantie qu'au moment ou l’état aura les tnuts de procéder a l’élimination de la milices armées du parti Iranien, les pays du monde entier débloqueront tous les fonds nécessaires qui aideront a mettre le pays a flot. Il nous faut les gens avec des Tnuts!

    Pierre Hadjigeorgiou

    12 h 15, le 20 mai 2020

  • Il est évident que lorsque les ressources économiques sont scindées entre deux armées dont la seconde est prioritaire sur celle légale du pays les salaires de l’armée officielle se réduisent comme peau de chagrin. Il n’y a qu’à voir laquelle des deux armées est mieux équipée militairement sous prétexte que c’est de l’argent iranien alors le pays est pillé pour subvenir aux besoins des milices vendues pour comprendre la situation désastreuse du pays. Sans parler des forces de l’ordre parallèles à celles légales du pays et qui sont aussi engraissées par le mammouth de l’état qui n’est plus que l’ombre de lui même, et tout ça pour protéger les mêmes voleurs qui ont peur du peuple et se cachent derrière leurs milices armées qu’ils lâchent sur le peuple à la moindre manifestation en leur faisant croire que leurs salaires sont payés par eux et qu’ils leur doivent obéissance et loyauté. PAUVRE PEUPLE QU’ON AFFAME POUR MIEUX LE DOMINER.

    Sissi zayyat

    11 h 57, le 20 mai 2020

  • La paupérisation atteint toutes les composantes de la société libanaise donc les militaires et leurs familles aussi. La révolution de la faim risque d’être dévastatrice

    Lecteur excédé par la censure

    08 h 55, le 20 mai 2020

  • Le risque de désertions est possible si la livre libanaise continue ainsi sa chute en enfer , surtout que personne ne veut sauver la patrie de sa faillite .

    Antoine Sabbagha

    08 h 46, le 20 mai 2020

  • N,ATTENDEZ PAS DES AIDES EXTERIEURES TANT QUE LA TROUPE N,EST PAS LA SEULE FORCE ARMEE SUR TOUT LE TERRITOIRE ET QUE UNE AUTRE FORCE INTERVIENT DANS LES PAYS DE LA REGION ET PROVOQUE EN ACTES ET EN PAROLES LES PAYS ARABES QUI AIDAIENT AVANT LE LIBAN. LES PAYS ETRANGERS N,AIDERONT JAMAIS TANT QU,IL Y A LE HEZBOLLAH. BM ET FMI VONT POSER DES CONDITIONS QUI VONT AUSSI DANS CE SENS. IL FAUT CHOISIR ENTRE LE LIBAN INDEPENDANT ET MAITRE SUR TOUT SON TERRITOIRE ET LES DEUX MILICES IRANIENNES SI ON VEUT ETRE AIDE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 38, le 20 mai 2020

  • Une armée pour un peuple défunt, alors.

    Christine KHALIL

    01 h 17, le 20 mai 2020

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