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Culture - La compagnie des livres

Georges Haddad : Si les livres peuvent caresser, ils peuvent tout autant gifler !

Ce grand médecin, neurochirurgien, profite de chaque petit moment de liberté dans ses longues journées pour plonger dans les pages d’un livre. Voilà pourquoi il garde toujours dans les poches de ses vestes, « cachés comme des trésors de contrebande », de petits volumes de la collection Folio.

Le Dr Georges Haddad, entre deux classiques, deux relectures des « Pensées » de Pascal, une bonne BD... Photo DR

Un livre, un bon whisky et la musique de Bach : voici la recette du bonheur du Dr Georges Haddad. Féru de littérature, de poésie, de théâtre et de cinéma, amateur de philosophie, grand mélomane… Cet érudit des temps modernes allie une vaste culture classique à un goût prononcé pour la BD. Il partage ici ses coups de cœur, ses enthousiasmes et ses déceptions de lecteur invétéré. En toute sincérité.

Les livres, pour vous, c’est… ?

Une bouée de sauvetage, un feu d’artifice, un festin, la caverne de Ali Baba…

Comment est née votre passion de la lecture ? Qui vous en a donné le goût ?

La première phrase dont je me souviens est une demande : « Papa, lis-moi une histoire. » Je devais avoir 5 ans peut-être. Mon père revenait le soir fourbu mais souriant. Il s’allongeait sur le dos, pliait les jambes et m’invitait à venir m’asseoir sur ses genoux repliés : équilibre instable, mais source de joie. Alors, il ouvrait un livre et me faisait la lecture. Assis sur mon perchoir, j’écoutais en transe. Je demandais à voir à quoi ressemblaient Maître Goupil et ses comparses, je battais des mains et, soudain, au tournant d’une phrase, sans préavis, mon père dépliait les genoux et je glissais sur ce toboggan improvisé dans ses bras. C’était le signal du baiser « bonne nuit ». Il me serrait fort tout en me consolant : « On continuera demain ! »

À l’instar d’Obélix, je suis tombé, enfant, dans la lecture.

Vous souvenez-vous de votre histoire préférée lorsque vous étiez enfant ou d’un texte qui a provoqué un déclic chez vous ?

Sans hésitation, je dirais Sans Famille d’Hector Malot. J’étais déjà à l’âge où je lisais seul. Mes parents recevaient des amis ce soir-là et j’étais dans ma chambre à lire. Je pleurais comme une Madeleine, mais continuais ma lecture quand même. Au mot de la fin, je me levai en pyjama, pieds nus, en pleurs et en colère. Je déboulai dans le salon, brandissant le livre comme un glaive, hurlant : « Papa, je ne t’aime plus ! Pourquoi m’avoir conseillé de lire ce livre, pourquoi ? »

J’ai appris ainsi que, si les livres pouvaient caresser, ils pouvaient tout autant gifler !

Comment choisissez-vous vos lectures ?

Je crois que c’est comme pour beaucoup de choses dans la vie, on pense choisir et on est choisi ! Les livres m’interpellent et viennent à ma rencontre : un titre, un auteur, une citation, une couverture, tout est prétexte à lire. Les suggestions de mes amis impactent aussi largement mes choix. Je fais partie d’un club de lecture et d’un club de philo sous l’égide de mon ami et maître Jad Hatem, donc je suis entouré de « lecteurs » et toujours à l’écoute de leurs conseils. « Que lis-tu en ce moment ? » est d’ailleurs une question que je pose à tout le monde, de 7 à 77 ans !

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Roman, essai, biographie, histoire… Quel est votre genre favori ?

Mon genre favori dépend de l’heure et du jour. J’ai constamment trois ou quatre « lectures en cours ». Certaines depuis des années ! Je prends ainsi plaisir à lire et relire la poésie arabe (al-Ma’arri notamment) et je reviens très souvent aux Pensées de Pascal ou aux Essais de Montaigne. Du coup, les livres que je lis en parallèle se doivent toujours d’être de genres différents. J’aime beaucoup les bandes dessinées. Là aussi, d’horizons multiples : Blake et Mortimer, Les Tuniques bleues, Les Cités obscures. Je m’évade avec des romans policiers américains (Michael Connelly), français (Fred Vargas), italiens (Andrea Camilleri) ou encore espagnols (Manuel Vázquez Montalbán).

J’ai aussi un certain penchant pour les ouvrages didactiques sur la musique, la peinture, l’architecture et d’autres sujets qui ne me servent strictement à rien, mais que je suis curieux de découvrir.

Et si je ne recherche pas particulièrement les biographies, je les savoure quand elles sont accrocheuses. À l’instar de celles d’Alain Decaux, de Stefan Zweig ou encore d’André Castelot, que j’ai appréciées dans ma jeunesse. La dernière qui m’a vissé à mon fauteuil : Le Prince immobile, d’Emmanuel de Waresquiel, consacrée à Talleyrand. Sa lecture – vivement conseillée ! — m’a rappelé la fameuse pièce de Sacha Guitry : Le diable boiteux. Car, il faut que je vous le confesse, j’aime lire du théâtre aussi. En particulier, le répertoire classique, comme ce Rodogune de Corneille, que j’ai découvert récemment, ou les pièces d’Oscar Wilde dont la dernière lue est Lady Windermere’s Fan.

Racontez-nous vos rituels de lecture, si vous en avez...

La lecture elle-même est un rituel dans ma vie. Je lis dès que j’en ai l’occasion, puisque le désir est toujours présent, depuis le café du matin jusque tard la nuit dans mon lit. Je crois bien que même durant mes rêves, je lis ! On peut dire que je suis de nature très accommodante avec les livres en général, sauf avec les romans. Un roman prend le pouvoir sur vous, il vous asservit ! Arrivé à la trentième page, soit je poursuis sa lecture goulûment, soit je laisse tout simplement tomber. D’ailleurs, ceux qui m’attirent le plus ne sont pas les fictions à la trame touffue, mais ceux qui arborent un style et une écriture racés. Comme Gros-Câlin de Romain Gary, par exemple, qui imagine une histoire d’amour entre un homme et un… python ! Ou encore, The Only Story de Julian Barnes, une banale histoire d’amour mais tellement bien écrite qu’on retarde au maximum l’arrivée à la fin juste pour continuer à la savourer.

Et puis, j’ai souvent des livres de poche cachés à l’intérieur de mes vestes comme un trésor de contrebande. La collection Folio, à 2 euros, a la taille idéale pour ce genre de trafic! Un bon whisky et surtout la musique de Bach accompagnent, quand c’est possible, ces moments privilégiés de bonheur.

Avez-vous une citation littéraire fétiche ?

J’en ai deux ! Une pour vivre : « Ô mon âme, n’aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible. » Il s’agit de l’épigraphe choisie par Albert Camus pour Le Mythe de Sisyphe.

Et une seconde pour accepter le sort, tirée de La mort du loup d’ Alfred de Vigny : « À voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse, Seul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse. »

Combien lisez-vous de livres par mois? Par an ?

Entre quatre et cinq livres complets par mois. Et beaucoup de chapitres épars dans les catégories de vulgarisation scientifique ou artistique.

Parlez-nous d’un ouvrage qui vous a marqué…

La promesse de l’aube. Quel livre ! « Avec l’amour maternel, la vie vous fait, à l’aube, une promesse qu’elle ne tient jamais. » Tout est dit dans cette phrase sublime ! Je l’offre systématiquement aux jeunes autour de moi, à leur dix-huitième anniversaire. Un rite de passage à l’âge adulte. En fait, j’offre deux Romain Gary en tandem : La promesse de l’aube, pour la promesse non tenue, et La vie devant soi (écrit sous le pseudonyme Émile Ajar) pour s’accrocher à l’espoir d’une possible promesse.

Y a-t-il un livre ou un auteur qui vous a particulièrement déçu ?

Il en est de la lecture comme du tango, « It takes two ! » Je suis imperméable à beaucoup d’auteurs. Le courant ne passe pas, tout simplement. Je peine aussi parfois à lire, aujourd’hui, certains auteurs que j’appréciais beaucoup avant, comme Éric-Emmanuel Schmitt et, malheureusement, Amin Maalouf ; est-ce de leur faute ou de la mienne ? Je m’interroge…

Parfois, ce n’est pas le livre qui pose problème, mais l’auteur. Si j’ai pu passer outre les convictions de Céline ou de Simenon, la vie de Matzneff m’est restée au travers de la gorge. J’avais entamé l’un de ses romans en avion. Et c’était la découverte de l’Eldorado ! Arrivé à l’hôtel, je fais une recherche sur l’auteur et je découvre que tout l’or de sa plume est souillé de souffrances et de turpitudes inimaginables. J’ai refermé le livre, dégoûté.

Durant la période de confinement, avez-vous lu plus que d’ordinaire ou différemment, sur tablette, par exemple ?

Comme la nature a horreur du vide, ma nature de lecteur invétéré s’est empressée de remplir tous les moments disponibles durant ces temps d’activités réduites. J’ai profité du ralentissement de la vie pour accélérer le rythme de mes lectures. C’était mon sport de confinement en quelque sorte. J’ai beaucoup lu, aussi bien en version papier que sur supports électroniques…

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Quel personnage de roman auriez-vous aimé rencontrer en vrai ?

Cyrano de Bergerac, le mousquetaire au grand nez et au grand cœur! Rien que pour cette tirade : « Cyrano : Quelque chose que sans un pli, sans une tache, J’emporte malgré vous, et c’est… Roxane : C’est ?… Cyrano : Mon panache.

Avez-vous l’impression d’avoir « déjà lu » ce que nous vivons actuellement ?

Pour une raison qui m’échappe, j’ai supporté sans trop de difficulté le confinement dû à la pandémie mondiale. Probablement parce que j’habite au Liban et pas en Toscane ou à New York ! La situation que l’on vit présentement, je la retrouve quelque part dans Les Carnets du sous-sol (connu également sous le titre Notes d’un souterrain) de Dostoïevski. Un classique lu à l’âge de quinze ans. Ce dont je me souviens surtout est cette atmosphère pesante de huis clos. Et puis, cette citation retrouvée sur le net : « La fin des fins, messieurs, est de ne rien faire du tout. L’inertie contemplative est préférable à quoi que ce soit. » Du Beckett avant la lettre. Le confinement par excellence.

Quelles lectures avez-vous conseillées à vos amis, vos proches durant le confinement ?

Des lectures divertissantes, essentiellement. Des BD surtout (Humour noir et hommes en blanc, de Serre), des romans plaisants (Monsignor Quixote, de Graham Green) ou drôles qui font rire à gorge déployée, comme La lamentation du prépuce, de Shalom Auslander, ou alors de bons polars.

Et puis, parce qu’une bonne dose de réalisme est toujours bienvenue en temps de psychose collective, je leur ai conseillé aussi deux essais philosophiques d’André Comte-Sponville : Le Bonheur, désespérément et Petit Traité des grandes vertus.

Le top 5 des livres de Georges Haddad

- L’épopée, de Gilgamesh

- Crime et châtiment, de Dostoïevski

- L’immortel, une nouvelle de Jorge Luis Borges

- La promesse de l’aube, de Romain Gary

- La cité des mots, d’Alberto Manguel.

Un livre, un bon whisky et la musique de Bach : voici la recette du bonheur du Dr Georges Haddad. Féru de littérature, de poésie, de théâtre et de cinéma, amateur de philosophie, grand mélomane… Cet érudit des temps modernes allie une vaste culture classique à un goût prononcé pour la BD. Il partage ici ses coups de cœur, ses enthousiasmes et ses déceptions de lecteur...

commentaires (1)

Il a bon goût :) Les BD , y a rien de mieux. Les pensées? je lis les miennes. Ca me suffit. En revanche, les livres, ce médecin a raison: Les BD c'est le top de la détente et du rire. ( sans se prendre la tête avec les pensées des autres. On a déjà du mal avec les nôtres lol ... )

LE FRANCOPHONE

12 h 13, le 20 mai 2020

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Commentaires (1)

  • Il a bon goût :) Les BD , y a rien de mieux. Les pensées? je lis les miennes. Ca me suffit. En revanche, les livres, ce médecin a raison: Les BD c'est le top de la détente et du rire. ( sans se prendre la tête avec les pensées des autres. On a déjà du mal avec les nôtres lol ... )

    LE FRANCOPHONE

    12 h 13, le 20 mai 2020

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