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Culture - La compagnie des livres

Leila Bissat : Je n’abandonne jamais un roman à mi-chemin

Grande voyageuse à travers les continents, mais aussi à travers les mots et les pages des livres, l’ex-libraire de la rue Sadate (dont la librairie L’Arche de Noé a été jusqu’en 2015 le refuge préféré de bon nombre de petits Beyrouthins curieux du monde) est une lectrice sans frontières linguistiques. Et c’est indifféremment en arabe, anglais ou français qu’elle se plonge dans les romans historiques, les chroniques levantines, les fictions anglo-saxonnes ou encore les récits de voyages qui la transportent vers d’autres latitudes...

Leila Bissat, une lectrice voyageuse... Photo DR

Que sont les livres pour vous ?
Tout un monde qui m’accompagne quotidiennement.

Comment est née votre passion de la lecture ? Qui vous en a donné le goût ?
Je viens d’une famille de lecteurs et je me souviens de mon père tenant toujours un livre en main. Ma passion de la lecture vient sans doute de là. Elle vient peut-être aussi de mes amies d’enfance. Nous étions plusieurs copines à nous repasser les livres entre nous, à en imaginer les aventures… À l’école, la bibliothèque était là pour servir notre soif de loisirs et de connaissances. Tout comme les explications de texte, des devoirs barbants mais qui développent, avec le temps, un goût critique qui forme un bon lecteur, un lecteur avéré.

Vous souvenez-vous de votre histoire préférée lorsque vous étiez enfant ou d’un texte qui a provoqué un déclic en vous ?
À l’instar du professeur Nasri Diab, mon prédécesseur dans cette rubrique, je me souviens surtout des Bibliothèques rose et verte que je lisais assidument : Le Club des cinq, Le Clan des sept, Fantômette ainsi que Cinq jeunes filles en Méditerranée. Cette dernière série que j’appréciais particulièrement est sans doute à l’origine de mon goût pour les voyages. J’ai essayé de transmettre ces livres à mes enfants, en vain. Je me suis rendu compte que les temps ont changé. Cette vision du monde qui me faisait rêver ne vaut plus rien face à ce grand écart des générations dû à l’invasion du numérique.

Je me souviens aussi de la collection Trilby (du pseudonyme de l’écrivain), qu’on nous encourageait à lire au Collège protestant français de Beyrouth où j’étais scolarisée et dont les aventures se déroulaient entre les deux guerres mondiales en Europe. Ces récits ainsi que ceux, un peu plus tard, de grands écrivains comme Zola, Balzac, mais aussi Somerset Maugham et Graham Green ont déclenché chez moi une certaine empathie envers l’autre, une prise de conscience des problèmes humanitaires, qui m’ont menée vers des études universitaires en sociologie. Des thèmes que j’ai d’ailleurs beaucoup privilégiés dans ma librairie, L’Arche de Noé, spécialisée dans les livres d’enfant et de jeunesse.

Comment choisissez-vous vos lectures ?
Beaucoup en flânant en librairie. Une habitude prise à la librairie Antoine à Hamra, lors de sa grande ouverture juste avant la guerre civile et qui est restée une source essentielle d’approvisionnement pour moi qui habite le secteur. En voyage aussi, les visites de librairies m’ont toujours été indispensables. À Paris, j’écume les établissements de Saint-Germain et du 6e arrondissement, comme La Hune, l’Écume des pages, Assouline, Taschen et autres… À Londres, je me rends chez Daunt Bookshop. Et puis le Salon du livre de Beyrouth est aussi devenu l’un de mes lieux favoris. J’y ait longtemps participé en tant qu’exposante avec L’Arche de Noé (de 1993 à 2015) et j’en profitais pour faire le tour des exposants et mes achats de lectrice.
Outre ce choix intuitif basé sur une couverture attirante et une quatrième de couverture accrocheuse, je me laisse guider aussi, bien évidemment, comme beaucoup de lecteurs, par les critiques dans les journaux. Celles du Figaro Magazine, de L’Orient Littéraire, du Point pour les ouvrages francophones. Celles d’an-Nahar essentiellement pour les livres en arabe. Je ne rate pas non plus les sélections des prix littéraires ni le Booker Price arabe, étant donné que je suis membre d’un groupe de lecture en langue arabe, établi depuis bientôt 20 ans et que nous suivons de près les dernières parutions.


Roman, essai, biographie, histoire… Quel est votre genre favori ?
Mon genre préféré est le roman historique, particulièrement celui qui a pour cadre le Levant, comme ceux de Gilbert Sinoué, Robert Solé, Charif Majdalani ou encore Amin Maalouf – dont le livre Les Désorientés parle d’une période que ma génération a vécue. Dans un registre proche, j’ai découvert également les univers de Leila Slimani et de Georgia Makhlouf, ainsi que le très intéressant Archives des sables et du vent de Fadi Stephan (éditions Erick Bonnier). En second viennent les biographies et les romans qui brossent des destins d’individus et de sociétés, ceux d’Élias Khoury et des grands auteurs anglo-saxons, comme les Américains Philip Roth, Paul Auster, John Irving, Toni Morrison ou la Britannique Zadie Smith. Et puis, je dévore les guides touristiques, les livres et les magazines spécialisés…


Racontez-nous vos rituels de lecture, si vous en avez.…
Le matin, je lis les journaux. L’après-midi, avant la sieste, les magazines, et ce n’est que le soir que je m’attelle à la lecture d’un ou de 2 livres de chevet. Je peux passer avec aisance de l’anglais au français ou à l’arabe. Et surtout, je n’abandonne jamais la lecture d’un livre à mi-chemin. J’attends toujours la fin qui pourrait me réserver une bonne surprise.

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Avez-vous une citation littéraire fétiche ?
J’aime cette phrase tirée de l’un des volumes de La Comédie humaine (Le Père Goriot) de Balzac : « Le secret des grandes fortunes sans cause apparente est un crime oublié… » Une citation intemporelle et universelle, que les événements d’aujourd’hui confirment à l’échelle interne et internationale.Une autre phrase courte du grand écrivain Émile Zola et que j’aime beaucoup, c’est son J’accuse, reprise avec brio et force dans le plaidoyer de Me Jacques Vergès en défense de la grande dame de la résistance algérienne Djamila Bouhired. « J’accuse, oui, mais j’exige beaucoup de preuves. »


Combien lisez-vous de livres par mois? Par an ?
Un livre arabe par mois, choisi dans la liste de notre club de lecture du mardi. Et, au minimum, un autre en anglais ou en français, c’est selon. Bien que ce soit surtout l’anglais qui l’emporte ces derniers temps.

Parlez-nous d’un ouvrage qui vous a marquée…
Little Death, de Mohammad Hassan Alwan, que j’ai lu cette année, m’a beaucoup marquée. Il s’agit de la vie du philosophe et penseur Ibn Arabi, que l’écrivain saoudien retrace dans une langue arabe très épurée et poétique.À travers cette biographie, où réalité et rêve se mélangent, signes et symboles s’entremêlent brillamment, l’auteur entraîne le lecteur dans les arcanes du monde soufi. On y retrouve aussi beaucoup de sous-entendus sur la situation actuelle dans le monde arabe.

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Y a-t-il un livre, ou un auteur, qui vous a particulièrement déçue ?
Ahlam Mosteghanemi. Son premier roman, Zakirat el-jassad (Mémoire de la chair), était très fort. Ce qui est venu après n’avait pas la même verve. Et puis The Fountainhead (La Source vive), fameux opus de la romancière russo-américaine des années 1940 Ayn Rand, m’a beaucoup déçue. Je trouve qu’elle y a mis trop d’elle-même d’un seul coup...

En cette période de confinement, lisez-vous plus que d’ordinaire ou différemment, sur tablette par exemple ?
Je lis, en effet, plus que d’habitude. Je suis en train de dévorer tous les livres achetés et pas encore lus. En version papier bien sûr car, bien qu’ayant succombé à la tentation du Kindle, je ne m’y suis pas habituée. Je reste une adepte du « tourné de pages ».

Quel personnage de roman auriez-vous aimé rencontrer en vrai ?
J’aurais aimé rencontré l’écrivain Orhan Pamuk, qui est le héros de son propre livre : Istanbul, souvenirs d’une ville. Son récit autobiographique mélancolique d’une ville qui change et d’un homme qui bascule entre deux mondes est magnifique.

Avez-vous l’impression d’avoir « déjà lu » ce que nous vivons actuellement ?
Bien sûr ! Cette impression de déjà-vu, déjà-lu, ce que nous vivons actuellement, a été prédite par plusieurs écrivains. Évidemment par Albert Camus dans La Peste, cité tellement de fois ces derniers temps. Mais je pense aussi au Roman de la rose d’Umberto Eco, à l’ambiance des romans de José Luis Zafon également. Sans oublier les auteurs américains qui sont très forts dans ce genre d’anticipation, surtout Dan Brown, l’auteur du Da Vinci Code, dont le roman Inferno tourne autour de secrets d’armes biologiques et de virus prêts à détruire le monde.

Quels sont vos conseils de lecture à vos amis, vos proches confinés ?
La grande majorité des lecteurs préfère actuellement les romans légers et faciles à lire. Et c’est tout à fait normal. Mais j’aimerais néanmoins leur rappeler que le moment est idéal pour s’attaquer aux livres qui nous tiennent à cœur. Même ceux dont le thème est difficile.


Le top 5 des livres de Leila Bissat

– Ce que le jour doit à la nuit, de Yasmina Khadra

– Pachinko, de Min Jin Lee (auteur américano-coréen)

– Joumhouriat ka’anna, de Alaa al-Aswani (qui se traduirait par La République du comme-si. Ce roman interdit de publication en Égypte est édité par Dar el-Adab).

– Honor, de Élif Shafak

– Yalo (Les enfants du ghetto/Je m’appelle Adam), d’Élias Khoury.

Carte de visite

Membre du comité du Festival international de Baalbeck et du conseil d’administration de l’Université américaine de Beyrouth, présidente du Zaki Nassif Music Program (ZKMP/AUB) et membre fondateur du comité des amis de l’Orchestre philharmonique libanais, Leila Bissat a aussi fondé et dirigé, de 1993 à 2015, L’Arche de Noé, une librairie spécialisée dans le livre jeunesse à Hamra. Grande voyageuse, elle a également à son actif deux ouvrages inspirés de ses pérégrinations dans plusieurs pays du continent asiatique. Le premier : Of Symbols and Stones ; Memoirs of a Traveller, publié en 2007 aux éditions an-Nahar. Et le second : Of Whispers and Winds, en 2017, édité par Studio Safar.



Que sont les livres pour vous ?Tout un monde qui m’accompagne quotidiennement. Comment est née votre passion de la lecture ? Qui vous en a donné le goût ?Je viens d’une famille de lecteurs et je me souviens de mon père tenant toujours un livre en main. Ma passion de la lecture vient sans doute de là. Elle vient peut-être aussi de mes amies d’enfance. Nous étions plusieurs copines à...

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Comment faire pour acceded au carnet des decks.merci

Mona Joujou Dfouni

15 h 42, le 07 mai 2020

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Commentaires (1)

  • Comment faire pour acceded au carnet des decks.merci

    Mona Joujou Dfouni

    15 h 42, le 07 mai 2020

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