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Société - Polémique

Pourquoi les propos de Mme Diab sur la main-d’œuvre étrangère ont suscité un tel tollé

L’épouse du Premier ministre a considéré, dans une interview, que les Libanais devraient exercer des métiers jusque-là réservés aux étrangers. Entre défenseurs et détracteurs, ces paroles ont enflammé les réseaux sociaux.


Mme Diab (assise au centre) au cours de son interview filmée, ici lors de son passage à Télé-Liban, en compagnie de la ministre de l’Information, Manal Abdel Samad (à gauche sur la photo). Photo ANI

C’était la première fois que Nouwar Maoulaoui, épouse du Premier ministre Hassane Diab, s’exprimait publiquement : lors d’une interview qui lui a été consacrée la semaine dernière par Télé-Liban, la chaîne officielle, Mme Diab a tenu des propos sur une question épineuse, celle du remplacement des travailleurs étrangers par une main-d’œuvre libanaise, dans un contexte de crise économique aiguë. Aussitôt, les réseaux sociaux se sont enflammés, beaucoup ayant estimé qu’elle avait blessé une jeunesse éduquée et réduite au chômage par le manque d’offres d’emploi appropriées. D’un autre côté, ses défenseurs ont considéré qu’elle avait raison d’inciter une population, dont une proportion grandissante vit sous le seuil de la pauvreté, à regagner un marché du travail dominé par des étrangers. La polémique a souvent pris une tournure politique en relation avec l’identité de la personne qui a tenu ce discours, mais est-ce le seul facteur à prendre en compte ? Pourquoi le sujet de certains métiers reste-t-il toujours tabou ? Une personnalité publique comme la femme d’un Premier ministre a-t-elle raison de le soulever et l’a-t-elle fait de manière à se faire entendre ? Dans ses propos, Mme Diab a déclaré que le métier d’employée de maison devrait être mieux encadré, les droits de ces travailleuses devraient être assurés par une insertion dans le code du travail (ce qui signifie mettre un terme au système de tutorat actuel), « afin que les jeunes Libanaises puissent s’y adonner ». L’épouse du Premier ministre a également cité d’autres métiers où la présence libanaise devrait devenir prédominante, selon elle, comme les pompistes ou les concierges. Elle a estimé que faire travailler des Libanais dans ces domaines pourrait économiser des sommes énormes qui, auparavant, étaient vouées à sortir du pays. Ce discours a été défendu par le bureau du Premier ministre dans un communiqué qui regrette que « certains essaient d’en déformer l’esprit et la teneur ».

Farouche critique de ce discours, Lina Abou Habib, militante féministe et chercheuse au sein de l’Institut Issam Farès de l’AUB, estime que l’épouse de M. Diab « est déconnectée de la réalité des Libanais ». « Pourquoi partir du principe que ceux-ci sont tranquillement assis chez eux et qu’ils ne travaillent pas ? s’insurge-t-elle. Qui a remarqué que les étudiants de l’Université libanaise ne rechignent devant aucun emploi pour vivre ? Les gens au pouvoir sont supposés assurer des emplois aux gens, pas commenter leur comportement. »

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Lina Abou Habib décèle ce qu’elle estime être une autre erreur d’appréciation dans lesdits propos. « C’est comme si on faisait assumer à cette main-d’œuvre étrangère la responsabilité de la crise économique, ce qui est faux, dans la réalité comme dans les chiffres, martèle-t-elle. Si Mme Diab veut en parler, il faudrait alors qu’elle aborde les chiffres en détail, pour plus de précision. » La militante féministe n’a pas manqué de noter ce qu’elle appelle « les stéréotypes de genre dans le discours de l’épouse du Premier ministre, elle-même membre de la Commission nationale de la femme libanaise, puisqu’elle considère qu’il va de soi que les femmes sont vouées au ménage, alors que les hommes doivent devenir pompistes ou concierges ». « Cette classe politique est tenue par la population pour responsable de cette crise économique et du chômage qui s’ensuit, d’où le faible niveau de tolérance vis-à-vis de ce discours », conclut-elle.


Des propos incomplets donc incompréhensibles
Halimé Kaakour, professeure en droits humains et militante politique, a un point de vue quelque peu plus nuancé, estimant que « Mme Diab s’est attaquée à une question sensible mais n’a pas été jusqu’au bout de son raisonnement, ce qui a alimenté la polémique sans qu’elle ne révèle ses véritables intentions ». « Dans son discours, il y a des points positifs comme négatifs, mais le fait que ses propos soient incomplets a entraîné une incompréhension de la part d’une population déjà excédée par la crise économique », poursuit-elle, notant « un manque d’expérience certain dans les déclarations officielles ».

« En tant que professeure, je suis consciente que mes étudiants auraient préféré qu’on les rassure par des plans économiques adéquats, qu’on leur explique qu’il y aura une relance après des années difficiles, ajoute Mme Kaakour. Ils ont donc très mal perçu ces propos venant d’une personnalité publique, d’autant plus que le niveau de leur confiance dans la classe politique est au plus bas. »

« D’un autre côté, souligne-t-elle, le fait de pousser les Libanais à exercer des métiers auparavant réservés à une main-d’œuvre étrangère doit être complété par un ajustement des salaires. Il ne faut pas oublier que ces étrangers étaient exploités et travaillaient souvent de longues heures pour de modiques sommes qui ne suffiraient pas aux Libanais pour vivre dignement. À ce propos, la proposition de Mme Diab sur l’abolition du système de kafala est louable, d’autant plus que nous sommes nombreux à militer pour cela depuis des années. »

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Tout comme Lina Abou Habib, Halimé Kaakour déplore le caractère « sexiste » des propos de Mme Diab. « Il conviendrait de casser ces stéréotypes de genre au lieu de les renforcer, affirme-t-elle. Il faudrait encourager les couples à se partager les tâches ménagères en une période de crise où l’aide étrangère va devenir plus rare. Je crois que les paroles de Mme Diab auraient davantage été appréciés si elle s’était exprimée en ces termes. »


Une réaction « impulsive et politisée »
Pour sa part, Roula Talhouk, anthropologue et professeure, qualifie le tollé sur les réseaux sociaux de réaction « impulsive et politisée ». « Quelle que soit ma position politique vis-à-vis de cette personnalité par ailleurs, je considère que les internautes n’ont pas voulu comprendre le sens de ses propos », affirme-t-elle.

Selon la chercheuse, il existe un grand nombre de Libanais, dans certaines régions notamment, vivant désormais sous le seuil de pauvreté et qui auraient tout intérêt à exercer des métiers qui leur assurent un revenu régulier. « Je ne crois pas que quiconque proposerait aux diplômés de faire des ménages, comme certains le prétendent, dit-elle. Toutefois, si on faisait bénéficier ces métiers de la Sécurité sociale, d’une assurance et d’un salaire acceptable, ils peuvent devenir une alternative convenable au mode de vie actuel de nombreux Libanais. Cela les sortirait de la précarité tout en gardant les fonds dans le pays. D’autant plus que le contrat de travail avec les étrangers confine souvent à l’esclavage et que ce système devrait être modifié. »


C’était la première fois que Nouwar Maoulaoui, épouse du Premier ministre Hassane Diab, s’exprimait publiquement : lors d’une interview qui lui a été consacrée la semaine dernière par Télé-Liban, la chaîne officielle, Mme Diab a tenu des propos sur une question épineuse, celle du remplacement des travailleurs étrangers par une main-d’œuvre libanaise, dans un contexte de...

commentaires (13)

Il n'y a pas de sots métiers, mais de sottes gens!! Ne faut-il pas réorganiser le secteur de la précieuse main d'oeuvre domestique au masculin comme au féminin? Oui, ce domaine mérite respect, appréciation et sa bonne administration par le Ministère du Travail!! Assurer un salaire décent qui ressemblerait à d'autres employés/ées dans les autres divers domaines, attirerait de nombreux libanais et libanaises dans le besoin, faute de n'avoir reçu aucune instruction leur permettant de s'inscrire sur le marché du travail! Ces gens se sentiraient appréciés, respectés et se soumettraient à une formation adéquate avant d'occuper un premier poste de travail! En plus, leur inscriptin à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale serait indispensable!!! Ceci dit, il me semble que c'est aussi l'avis de Mme Diab à ce sujet si épineux et controversé!!! Toutes les femmes ne sont pas "femme au foyer"; celles qui travaillent en dehors de la maison sont obligées d'avoir cette aide prrécieuse d'une domestique qui deviendrait , en apprenant, la "housekeeper' tant appréciée!!!

Zaarour Beatriz

18 h 36, le 18 mai 2020

Tous les commentaires

Commentaires (13)

  • Il n'y a pas de sots métiers, mais de sottes gens!! Ne faut-il pas réorganiser le secteur de la précieuse main d'oeuvre domestique au masculin comme au féminin? Oui, ce domaine mérite respect, appréciation et sa bonne administration par le Ministère du Travail!! Assurer un salaire décent qui ressemblerait à d'autres employés/ées dans les autres divers domaines, attirerait de nombreux libanais et libanaises dans le besoin, faute de n'avoir reçu aucune instruction leur permettant de s'inscrire sur le marché du travail! Ces gens se sentiraient appréciés, respectés et se soumettraient à une formation adéquate avant d'occuper un premier poste de travail! En plus, leur inscriptin à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale serait indispensable!!! Ceci dit, il me semble que c'est aussi l'avis de Mme Diab à ce sujet si épineux et controversé!!! Toutes les femmes ne sont pas "femme au foyer"; celles qui travaillent en dehors de la maison sont obligées d'avoir cette aide prrécieuse d'une domestique qui deviendrait , en apprenant, la "housekeeper' tant appréciée!!!

    Zaarour Beatriz

    18 h 36, le 18 mai 2020

  • Je trouve tout à fait logique qu’on fasse appel à des libanais pour accomplir toutes les tâches en fonction de leur compétence. Le  libanais devrait être prioritaire pour occuper un poste dans n’importe quel domaine et le rôle de l’état est de sanctionner les employeurs qui embauchent des étrangers que ce soit dans la restauration, les chantiers, l’agriculture ou autres domaines, parce que moins chers aux dépends des libanais qui se retrouvent au chômage donc sans ressource puisqu’au Liban nous n’avons pas le système de compensation en cas de perte d’emplois. Bientôt les syriens remplaceraient les étrangers partis chez eux et tous les libanais trouveront ça normal. Les citoyens devraient travailler pour la prospérité de notre pays car plus il y a des gens sans ressources et moins il y aura de croissance ça va de soi. Les étrangers qui les remplacent ne dépensent pas leur argent au Liban donc c’est une perte sèche pour tout le pays. Alors trêve de caprices et de manières, on retrousse les manches et tout le monde au boulot.

    Sissi zayyat

    18 h 14, le 18 mai 2020

  • Effectivement des propos incomplets. Nous tous jeunes et moins jeunes avons travaillé dans des stations services, comme garçons ou serveuses dans des restaurants, donner des leçons particulières pour des sommes modiques, avons fait la cueillete des pommes et du raisins etc...chez nous et dans les pays étrangers lors de nos études pour payer nos études quand nos parents coincés par la guerre civile ne pouvaient même pas aller à la banque sans se faire flingué. On doit le respect complet aux travailleurs libanais, et étrangers au Liban. ...... Le reproche, par contre, est que nos jeunes qui font tout pour s' éduquer doivent maintenant remplacer des étrangers (res) dans Les familles et stations services car des politiciens vendus aux étrangers leur ont détruit leurs avenirs... Au lieu de pouvoir offrir du travail à des étrangers chez nous, qui leur permettra d'éduquer leurs enfants dans leurs pays, on voit plutôt des tyrans étrangers appauvrir les jeunes libanais qui seront obligés d' émuler les courageuses philippines, éthiopiennes, somaliennes, etc. Pour pouvoir éduquer leurs enfants. Une très belle façon de se laver les pinces! Et merci donc pour les conseils...

    Wlek Sanferlou

    18 h 03, le 18 mai 2020

  • JE NE VOIS PAS POURQUOI. IL SERAIT TRES BIEN SI TOUS LES TRAVAUX AU LIBAN ETAIENT FAITS PAR DES LIBANAIS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 40, le 18 mai 2020

  • Tous ces propos injustes et mouilles a l’acide illustrent parfaitement la mentalité retors et la mauvaise foi de plusieurs compatriotes qui mélangent à tort les torchons et les serviettes. La proposition sensée et courageuse de Madame Diab ne s’adressait pas a l’encontre des diplômés ( es) mais a l’encontre des nombreux chômeurs du nord comme du sud du pays. Par ailleurs il n’y a aucune honte a faire des travaux ménagers a l’occasion comme c est le cas dans le monde entier, et Les pouffiasses qui s’en plaignent et poussent de grands cris d’indignation feraient mieux d’aller se rhabiller car elles ne font que souligner davantage en caractères fluorescents les effluves de leur bêtise .

    Cadige William

    14 h 20, le 18 mai 2020

  • Plusieurs centaines de millions de devises, sortaient du pays chaque année concernant surtout les salaires de la main-d'œuvre étrangère. Avec la crise actuelle, on n'a pas le choix du moins ces temps-ci, que de se resserrer la ceinture à cause de la grosse dévaluation de la monnaie nationale. Il n'est pas dit que les diplômés universitaires prennent la place des employés des camions ou aux stations d'essence. Mais,les foyers peuvent se débrouiller pour éviter de payer des employé(e)s de maison,par exemple, pour ceux qui ne peuvent plus subvenir à leurs frais, ou le cas échéant , engager des employés nationaux dont les salaires en livres restent dans le circuit interne de la circulation de la monnaie et profitent à l'économie.

    Esber

    14 h 16, le 18 mai 2020

  • Il y a ce qu'elle dit qui est intéressant ou discutable, mais là n'est pas le problème. A quand l'avis de la soeur, du frère, de la fille, du fils du premier ministre? Dans quel pays qui se respecte, l'épouse d'un PM commente l'état du pays?

    Rana Raouda TORIEL

    14 h 10, le 18 mai 2020

  • Mon épouse allemande fait elle-même le ménage chez nous : Nous n'avons pas d'employée domestique à la maison, comme c'est le cas en géneral dans les foyers des pays développés, où est le mal mesdames ?

    Chucri Abboud

    14 h 00, le 18 mai 2020

  • Cette dame n’aurait pas dû aller sur ce terrain glissant alors qu’elle n’est pas une spécialiste en la matière, et surtout en politique, que le gouvernement dirigé par son époux n’est pas accepté par une bonne partie de la population, et que la situation du pays est explosive...

    Bassoul Elie

    13 h 11, le 18 mai 2020

  • C'est incroyable! Comme si toute la jeunesse libanaise n'était composée que de diplômé(e)s universitaires....Il y a des milliers de jeunes qui ont quitté l'école avant le secondaire et qui devraient pouvoir travailler comme concierges ou dans les stations d'essence! Après tout, le "travail n'est pas une honte" comme on dit chez nous...

    Georges MELKI

    12 h 16, le 18 mai 2020

  • Mme Talhouk a tres bien resume le message que Mme Diab avait voulu envoyer qui n'est que TRES VRAI. Du reste faut pas etre "chercheuses" pour admettre les verites telles que mentionnees . LA VERITE LA VRAIE EST QUE " il n'y a que LA VERITE QUI BLESSE ". PS. SUR UNE NOTE SYMPA, POUR TAQUINER LA GALERIE FEMININE, NOTEZ QU'AUCUN "CHERCHEUR" MASCULIN N'EST INTERVENU !

    Gaby SIOUFI

    11 h 26, le 18 mai 2020

  • Son mari est rien, elle est encore plus rien :)

    Jack Gardner

    09 h 11, le 18 mai 2020

  • Mme Diab n'a pas voulu présenter un plan de redressement économique - c'est le travail de son mari! Elle s'est contentée de quelques remarques, à mon avis fort judicieuses, mais nécessairement incomplètes, sans être pour autant "incompréhensibles". Elle pensait s’adresser à des personnes intelligentes. Quand elle suggère de remplacer des éthiopiennes par des libanaises ou des syriens par des libanais, elle n'entretient pas des :stéréotypes de genre": cette question est hors de son propos. Elle se contente de vouloir remplacer l'étranger par le libanais, indépendamment de son sexe. Bien entendu, cela nécessite une réévaluation du statut des employés de maison. les libanais ayant des droits qui sont refusés aux étrangers.

    Yves Prevost

    07 h 34, le 18 mai 2020

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