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Droit au but

L’heure de vérité aurait-elle sonné pour le gouvernement libanais ? La question est plus que jamais d’actualité avec le coup d’envoi cette semaine à Beyrouth des pourparlers avec le Fonds monétaire international, en vue de l’octroi d’une aide financière au Liban. Les entourloupes « à la libanaise » ne sont plus de mise. Le FMI joue cartes sur table…

Les scandales qui défrayent la chronique locale (portant notamment sur le secteur de l’électricité et l’importation de fuel non conforme), les révélations sur la contrebande à grande échelle qui se fait à destination de la Syrie, et la manipulation mafieuse qui ébranle le marché des changes parallèle sont autant de dossiers brûlants qui illustrent à quel point le pays du Cèdre vit depuis de nombreuses années, voire des décennies, à l’ombre du mensonge, des situations fausses, des pratiques frauduleuses, de la non-gouvernance et de l’irresponsabilité criminelle d’une certaine frange de la classe politique.

Au cours des derniers jours, des changeurs illégaux – dont des Iraniens (sic !) – ont été arrêtés pour spéculation contre la monnaie nationale, et hier même deux camions s’apprêtant à introduire en Syrie du fuel en contrebande ont été saisis, tandis que des poursuites étaient engagées contre de hauts fonctionnaires. Mesures, certes, louables. Mais reflètent-elles un réel sursaut de conscience de la part de l’État ou s’agit-il simplement d’une initiative visant à jeter de la poudre aux yeux à la veille des réunions avec le FMI ?

La question est d’autant plus légitime que les Libanais découvrent avec effroi l’ampleur de la contrebande vers la Syrie tant au niveau du fuel que de la farine subventionnée, ce qui coûterait au Trésor plusieurs centaines de millions de dollars par an. Le gouverneur de la Banque du Liban dénonçait récemment à cet égard l’impact financier des importations assumées par le gouvernement, mais qui sont déviées en dehors du pays. À cela s’ajoute la traditionnelle très longue liste (maintes fois évoquée dans ces mêmes colonnes) des multiples pratiques affairistes, illégales ou clientélistes qui ont fait subir au Trésor, au fil des ans, des pertes s’élevant à des dizaines de milliards de dollars du fait de la négligence de l’État, lequel (comble de l’amoralité) refuse d’en assumer la responsabilité et se rabat plutôt, de manière suspecte, sur la solution de facilité qui consiste à faire assumer le gros du prix de sa propre faillite au seul secteur bancaire et aux déposants.

La manœuvre de diversion à laquelle se livre de la sorte l’État pour ne pas affronter les véritables causes du déficit public risque peu de leurrer le FMI. Des questions fondamentales se posent à ce niveau. L’instance internationale accepterait-elle d’accorder une aide financière au gouvernement, alors que la dilapidation des fonds publics et le court-circuitage des recettes de l’État se poursuivent sans vergogne du fait de la contrebande organisée par le Hezbollah au port de Beyrouth, à l’aéroport et par le biais des 120 voies de passage illégales le long des frontières avec la Syrie ?

Le FMI pourrait-il en outre avaliser son apport en devises fortes sur le marché local alors que l’État fait depuis plus de deux ans la sourde oreille aux multiples appels de la France et des pays donateurs en vue d’une réforme du secteur de l’électricité afin de juguler le gigantesque déficit dans ce domaine ? Depuis les conférences de Paris 2 et Paris 3, en passant par la réunion d’avril 2018 à Paris (CEDRE), l’État se montre incapable de mettre en chantier le programme de réformes prôné avec insistance, mais en vain, par la communauté internationale. Aujourd’hui, l’heure de vérité a sans doute sonné. Le FMI ne peut se permettre de remplir à l’aveuglette le seau libanais avant que les multiples trous qui le perforent de tous côtés ne soient au préalable sérieusement colmatés.

Plus grave encore : la grande question est de savoir comment l’instance internationale pourrait soutenir un État dont la décision de guerre et de paix n’est pas entre ses mains. Après l’annonce de l’approbation du plan de redressement par le gouvernement, le Quai d’Orsay a appelé, fort à propos, au respect de la politique de distanciation dans le but de tenir le Liban à l’écart des conflits régionaux. Comment oublier à cet égard qu’à la fin du mois de juin 2006, lors de la conférence de dialogue réunie sous l’égide du chef du législatif Nabih Berry, le secrétaire général du Hezbollah avait souligné la nécessité de préserver le calme au Liban-Sud et d’éviter tout acte de provocation susceptible de servir de prétexte à une recrudescence de la tension dans la région méridionale. Deux semaines plus tard, le 12 juillet, des miliciens du Hezbollah traversaient la frontière avec Israël pour y mener une opération éclair, provoquant la guerre de 2006 qui a ruiné tous les efforts de redressement du gouvernement libanais de l’époque.

Le cabinet Diab se trouve ainsi face à un défi de taille : convaincre le FMI, et à travers lui les pays donateurs, de voler au secours du Liban alors que la décision de guerre et de paix n’est pas entre ses mains et que, parallèlement, un parti puissamment armé – classé de surcroît comme organisation terroriste par maints pays occidentaux – s’en donne à cœur joie dans ses opérations de contrebande et de détournements des recettes de l’État… Il s’agit là d’une gageure difficile à relever. Et face au FMI, il ne servirait sans doute pas à grand-chose de s’abattre sur un bouc émissaire pour se livrer à une manœuvre de diversion aux desseins hautement suspects pour l’identité du Liban.

L’heure de vérité aurait-elle sonné pour le gouvernement libanais ? La question est plus que jamais d’actualité avec le coup d’envoi cette semaine à Beyrouth des pourparlers avec le Fonds monétaire international, en vue de l’octroi d’une aide financière au Liban. Les entourloupes « à la libanaise » ne sont plus de mise. Le FMI joue cartes sur table… Les scandales...

commentaires (9)

TOUT EST DIT ET BIEN DIT.

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 04, le 14 mai 2020

Tous les commentaires

Commentaires (9)

  • TOUT EST DIT ET BIEN DIT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 04, le 14 mai 2020

  • Éclaire l'opération au lieu de "éclair", bon article !

    Shou fi

    18 h 48, le 12 mai 2020

  • Nous n'avons pas besoin de l'aide suspecte du FMI ! Que les gros larrons qui ont volé les milliards de la BDL rendent cet argent et le Trésor sera comblé ! Les impôts et taxes n'ont jamais été importants au Liban .

    Chucri Abboud

    14 h 29, le 12 mai 2020

  • LA PARISIENNE : Avec une telle analyse d'une grande lucidité et compétence, c'est n on seulement l'avenir du Liban qui pourrait etre sauvé, mais également et surtout son honneur et son indépendance. Sauf que si des centaines, des milliers, des millions de libanais n'y apportent pas leur soutien déterminé, en dehors et contre les magouilles politicardes, et contre la main-mise de pays étrangers, celà ne servirait à rien.

    Saab Edith

    13 h 34, le 12 mai 2020

  • Excellent article dont le sujet a été mainte fois relaté sans que des choses concrètes aboutissent ne serait ce que sur une enquête de la part des services concernés de justice. Pour gagner du temps et laisser pourrir la situation, ils s’en prennent à des petits poissons nous faisant croire que la justice est en marche. C’est prendre les citoyens libanais pour ce qu’ils ne sont pas, sauf pour quelques uns encore aveuglés par le confessionnalisme qu’on leur sert à toutes les sauces pour leur faire faire croire qu’ils défendent leur droits, alors que leur seul but est leur fortune personnelle qui ne cesse de grossir et leur ego démesurés puisqu’ils savent qu’ils ne valent rien en dehors de leur poste usurpé. Le jour où la justice ouvrira tous les dossiers louches , VOL, ASSASSINAT, ABUS DU POUVOIR ET ENRICHISSEMENT PERSONNEL., et traduira en justice tous les individus concernés, quelque soit leur apparenté avec le pouvoir où les partis. APRÈS nous pourrons dormir sur nos deux oreilles. En attendant nous ne devons pas dormir, même pas d’un œil. JUSTICE DOIT ÊTRE FAITE ET CE, QUELQU’EN SOIT LE PRIX. IL Y VA DE NOTRE DIGNITE ET DE NOTRE FIERTÉ DE LIBANAIS ET SURTOUT DE L’AVENIR DE NOS ENFANTS.

    Sissi zayyat

    12 h 06, le 12 mai 2020

  • Excellent article et merci de faire encore l'effort d'analyser l'action politique de ce gouvernement, dont on connaissait malheureusement, dès son arrivée, les limites et les moyens d'action!!! Le régime en place cherche à gagner du temps, car les solutions à l'effondrement économico-financier que traverse le pays ne pourra jamais être résolu par les politiques en place, qui cogèrent tous l'Etat en circuit fermé, et sont régis par un dénominateur commun, la corruption: "Kelloun ya3ni Kelloun". A plus forte raison quand le commanditaire du Cabinet est un parti politique qui a pris en otage la Souveraineté nationale et mis la main sur tous les rouages de la République!!!

    Salim Dahdah

    11 h 24, le 12 mai 2020

  • Tout est dit dans une seule phrase; "... du fait de la contrebande organisée par le Hezbollah..." Rien ne pourra être fait tant qu'existent les armes du Hezbollah. Le Liban vivra toujours sous la constante menace de la guerre et de la misère pour les beaux yeux d'un chef de bande mafieuse théocratique et Nazi qui veut imposer a tout le pays un régime d'un autre age que le peuple Libanais, dans sa grande majorité récuse et refuse. Depuis plus de 15 ans je crie sur tous les toits que le Liban ne pourra jamais profiter de sa manne gazière tant qu'existera le Hezbollah dans sa forme actuelle. Personne au monde, ni Russes, ni Chinois ni occidentaux n’accepteront que cette richesse soit gérée, même en partie, par un parti terroriste a tendance Nazi. Total-ENI, Exxon-Mobil, Shell, Agip ou autre l'exploiteront a travers Chypre, Israël ou encore l'Egypte mais surement pas le Liban. Il est temps de comprendre que seul la source de la corruption doit être combattu et celle ci c'est le Hezbollah qui protège cette corruption pour pourrir le pays et enfin pouvoir un jour le contrôler et le transformer en république islamique chiite relevant du Fakih. Si une révolution doit avoir lieu, c'est la remise des armes du Hezbollah a l’armée qu'il faut réclamer. Le reste suivra en moins d'un an. Les fonds, les prêts et la dette seront restructurées, le gaz trouvé et Electricité et l'eau sauve, le peuple aura du travail et le pays respirera a nouveau. On continue!

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 30, le 12 mai 2020

  • Excellente analyse politique en effet: Synthétique et claire. Aux plans économique et financier, la situation catastrophique du Liban a été analysée, le 1er Mai dernier, dans le dossier complet remarquable du Dr Henri CHAOUL, paru dans le Commerce du Levant. C'est un homme comme celui là qui aurait du être ministre des finances et de l'économie... Et après..... Rien n'a changé depuis le soulèvement populaire qui a mis dans la rue des centaines de milliers de libanais. Les "fromagistes" qui nous gouvernent depuis l'accession du Président Aoun à la magistrature suprême 'ont même pas eu la décence de faire le dos rond, et nous avons du subir, en dépit de leurs passes d'armes verbales, les élucubrations hypocrites de MM Bassil, Hariri, Berri et autres sbires, tous unis dans les faits pour continuer à plumer un pays devenu exsangue. Où est passée l'enquête sur les transferts massifs de capitaux suspects vers l'étranger, à l'époque où les banques étaient fermées. Pourquoi n'a t'elle pas été publiée ? À-telle seulement été menée sérieusement ? Où est passée la responsabilité du gouverneur de la banque centrale dans des mesures d'ingénierie financière qui ont permis un incroyable enrichissement illicite de ses quelques copains et coquins qui ont toujours pignon sur rue ? Le système est épuisé. Il faut changer de république et envoyer en prison une bonne vingtaine de responsables politiques et économiques. Qui peut le faire ? Une seule réponse : l'armée. Il est plus que temps.

    Pierre De Saab

    09 h 33, le 12 mai 2020

  • Excellent article qui résume bien la quadrature du cercle du paysage libanais. Seul un effort sérieux de colmatage des sources de gaspillage et de lutte concrète contre la corruption, en commençant pat le haut de la hiérarchie, et non en se défaussant sur des fonctionnaires subalternes, pourra redonner confiance aux libanais eux-mêmes dans leurs propres dirigeants et au FMI ainsi qu'à toute institution ou pays étranger susceptible d'apporter son assistance à notre pays.

    Georges Airut

    03 h 13, le 12 mai 2020

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