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Culture - La compagnie des livres

Nasri Diab : Je ne lis pas pour tuer le temps !

Le professeur de droit et avocat aux barreaux de Beyrouth et de Paris est un « francophone dans l’âme ». Il n’empêche que c’est dans la littérature mondiale et très largement anglo-saxonne qu’il puise la majorité de ses lectures actuelles.

Nasri Diab, un juriste amoureux des belles lettres. Photo DR

Pour Nasri Diab, lecteur assidu et exigeant, féru d’histoires de guerres mondiales, lire n’est pas juste une occupation de confinement, mais une passion de tous les instants, quasiment un mode de vie… Entretien avec ce juriste, à la bibliothèque bien fournie, qui trouve même dans certains ouvrages de droit et d’économie le plaisir des mots et des phrases bien tournées.

Que sont les livres pour vous ?

Des amis. Cultivés, intéressants, amusants et discrets surtout. On ne peut pas en dire autant de certains humains…

Comment est née votre passion de la lecture ? Qui vous en a donné le goût ?

Je pense que c’est surtout une passion qu’on acquiert en famille. Le fait d’avoir vu ses parents lire ouvre certainement à la lecture. Moi, j’ai grandi entouré de livres. Ma mère avait une bibliothèque solide, qu’elle tenait elle-même en partie de ses parents, et qui comprenait tout Montherlant, Bernanos parmi d’autres grands classiques de la littérature française des années 1930-1940. Je me souviens d’y avoir puisé, assez jeune, Mémoire d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir qui m’a mené assez rapidement à la découverte de Sartre et des existentialistes…

Vous souvenez-vous de votre histoire préférée lorsque vous étiez enfant ou d’un texte qui a provoqué un déclic en vous ?

Durant mon enfance, l’intégralité de mon argent de poche passait en achat de livres. Très tôt, j’ai constitué ma propre bibliothèque. Ça a commencé avec les inévitables Club des Cinq et Clan des Sept des bibliothèques rose et verte jusqu’aux bédés de l’adolescence. En fait, je me souviens surtout de personnages plus que de titres particuliers, comme ce Sir Jerry détective, héros d’une série de livres de jeunesse sur la Seconde Guerre mondiale (aujourd’hui certainement totalement oubliée !) qui a sans doute façonné mon attrait pour les caractères courageux, aventuriers et cultivés.

Comment choisissez-vous vos lectures ?

De manière très éclectique. En romans français, je me suis quasiment arrêté aux années 1970. À de rares exceptions près, comme Jonathan Littell (mais est-il vraiment français ?), dont Les Bienveillantes est l’un de mes livres préférés, je ne porte pas grand intérêt aux auteurs français contemporains. En fait, pour moi, la belle littérature française, c’est des noms qui, aujourd’hui, sont désuets comme Drieux La Rochelle, Montherlant ou Malraux par exemple…

Par contre, j’apprécie les auteurs anglo-saxons actuels que je lis en version originale. Ils ont une profondeur que je ne trouve plus dans le roman français d’aujourd’hui. J’attends, par exemple, avec toujours beaucoup d’impatience les nouvelles parutions des Américains Paul Auster et Philip Roth (décédé récemment) ou des Britanniques Ian McEwan ou Jonathan Coe. L’œuvre ample de ce dernier permet de suivre les parcours de vie d’une certaine catégorie sociale anglaise. Et Middle England (Le cœur de l’Angleterre), son roman sur le Brexit, est d’une finesse sociologique et d’une ironie remarquables.

Je lis aussi, en traduction cette fois, pas mal d’auteurs sud-américains et allemands… En fait, pour la découverte de nouveaux livres, je compte sur deux choses. D’abord, les critiques dans les magazines littéraires. Et ensuite, mes flâneries chez les libraires, où très étrangement, je suis souvent attiré par la beauté esthétique de la couverture d’un roman. Sans doute, les ambiances des mythiques librairies L’écume des pages à Paris et Foyles à Londres (qui a, sur Charing Cross, trois salles exclusivement consacrées à la Seconde Guerre mondiale, ma période historique préférée) y sont pour quelque chose. Outre ces deux adresses à l’étranger que j’adore, je passe aussi beaucoup de temps à la Librairie Antoine, à Sin el-Fil…

Roman, essai, biographie, histoire… Quel est votre genre favori ?

Je classerais en premier : la fiction littéraire. Bien que j’apprécie aussi beaucoup les biographies. Celles qui sont consacrées aux auteurs notamment, car j’aime lire l’histoire des gens que je lis. Et dans ce genre-là, Jean Lacouture, qui a signé de nombreuses biographies de politiques et d’écrivains, est l’un des meilleurs. Mais je lis aussi énormément d’ouvrages historiques quasi exclusivement ciblés sur la Seconde Guerre mondiale. Mon obsession pour cette période provient, sans doute, du fameux Sir Jerry de mes lectures d’enfant. Je pense, en fait, que c’est surtout parce que l’intervalle 1939 à 1945 réunit un concentré énorme d’histoires de courage et de monstruosités, de déboires d’individus et de naufrages de civilisations, d’abîmes sans fond et d’espoir fou, de tueries et d’exploits technologiques…

Par ailleurs, je lis de plus en plus d’ouvrages de philosophie. Je m’y suis mis un peu tard, il y a une dizaine d’années, et j’ai suivi des cours avec Jad Hatem. C’est devenu une lecture essentielle pour moi. Elle structure tout ce que l’on peut trouver dans les autres livres.

Il y a aussi les romans policiers qui sont mes lectures délassantes du week-end. Outre les polars juridiques de John Grisham, je suis un inconditionnel du très fin John Le Carré et de l’Islandais Arnaldur Indridason.

Et puis, je trouve aussi du plaisir dans la lecture de certains ouvrages juridiques ou même économiques qui peuvent parfois être particulièrement bien écrits.


Un pan de la bibliothèque aussi éclectique que fournie de Nasri Diab. Photo DR


Racontez-nous vos rituels de lecture, si vous en avez.…

Je ne lis que sur papier. J’ai bien essayé de me mettre au Kindle il y a une dizaine d’années, sans succès. J’aime le contact du beau livre et des grandes éditions. Et j’ai toujours sur moi un Bic et un Stabilo jaune (toujours les mêmes) pour annoter des idées et surligner des phrases durant mes lectures. Ainsi qu’un cahier à spirale à portée de main quand je lis de la philosophie, parce que je considère qu’on ne peut pas lire de la philo sans prendre de notes.

Avez-vous une citation littéraire fétiche ?

Oui et c’est : « Qu’il mourût ! ». En fait, cette réplique est tirée de Horace de Corneille, quand le père apprend la mort au combat de deux de ses fils et qu’on lui demande à propos du troisième qui semble fuir : « Que voulez-vous qu’il fît ? », la réponse est : « Qu’il mourût ! ». Et c’est amusant parce que je viens de me rendre compte que je l’utilise souvent, de manière évidemment décalée, quand je suis embêté par quelqu’un, qui, dans une situation incongrue, me demande ce qu’il peut faire…

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Combien lisez-vous de livres par mois? Par an ?

C’est difficile à dire, parce que je lis en permanence 4 ou 5 livres en même temps. Au total, ça doit faire une douzaine par mois. J’achète des livres par centaines, dont, bon an, mal an, 10 ou 15 ouvrages sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Quasiment tout ce qui sort de valable sur le sujet.

Parlez-nous d’un ouvrage qui vous a marqué…

Le Désert des Tartares de Dino Buzatti. Je l’ai relu, offert et même vu, il y a deux ans, le film qui en avait été tiré il y a très longtemps. C’est pour moi l’absurde dans sa version la plus nue, la plus simple, la moins kafkaïenne en quelque sorte. C’est l’histoire de vie de quelqu’un qui attend une chose qui n’arrive pas. Et quand elle arrive, c’est trop tard. Il y a quelque chose de très fort dans cette situation d’attente exaucée un peu tard quand elle n’est plus intéressante.

Y a-t-il un livre, ou un auteur, qui vous a particulièrement déçu ?

Michel Houellebecq. J’ai essayé de lire ses romans à deux reprises mais, malgré mes efforts, je n’ai pu adhérer ni à son style ni à ses personnages souvent gluants et encore moins à ses messages…

En cette période de confinement, lisez-vous plus que d’ordinaire ou différemment, sur tablette, par exemple ?

Très franchement, je n’ai pas senti l’influence du confinement… La lecture fait partie de ma vie. Pour moi, ce n’est pas un loisir pour tuer le temps. Déjà cette notion de tuer le temps me dérange beaucoup ! En fait, dès que j’ai un moment de libre, je lis. Et comme j’achète les livres par centaines, j’ai encore un stock suffisant de lecture pour ne pas avoir recours à la tablette. Et puis certaines librairies font déjà des livraisons à domicile, j’y ai déjà eu recours…

Quel personnage de roman auriez-vous aimé rencontrer en vrai ?

Peut-être Faulques, le héros du roman Le Peintre des batailles de l’écrivain espagnol Arturo Pérez-Reverte. C’est un ex-photographe de guerre qui s’est retiré du monde pour s’adonner à la peinture. Il a tout connu, les guerres, la célébrité, la souffrance, le bien, le mal… Ça doit être tellement intéressant de discuter avec un tel personnage…

Avez-vous l’impression d’avoir « déjà lu » ce que nous vivons actuellement ?

Évidemment La Peste de Camus dans lequel on trouve d’inévitables rapprochements avec notre situation. Comment l’épidémie s’est déclenchée, comment les gens ont d’abord voulu ne pas croire à sa dangerosité, le courage d’un médecin… D’ailleurs, je l’ai recommandé à l’une de mes filles, qui est comme moi une grande lectrice.

Quels sont vos conseils de lectures à vos amis, vos proches, durant ce confinement, mis à part « La Peste » de Camus ?

Ah, mais, je ne recommande pas du tout à mes amis de lire Camus maintenant. Au contraire, je leur conseille plutôt d’aller vers des livres joyeux, faciles, légers qui aident un peu à sortir mentalement du marasme dans lequel on est plongés. D’ailleurs, je connais très peu de gens qui lisent, en ce moment, de la littérature pure. Tous préfèrent les ouvrages politiques, économiques ou financiers qui, à leurs yeux, leur apportent une information immédiate. Je les comprends, même si je le regrette. Car, quelque part, c’est tout un pan de la conversation qui tombe…

Le top 5 livres de Nasri Diab

– Le Désert des Tartares, de Dino Buzatti.

– L’Homme sans qualité, de Robert Musil (un roman à la Proust qui s’étend sur 4 volumes).

– Gilles, de Pierre Drieux La Rochelle.

– Le Soldat oublié, de Guy Sajer.

– La Montagne magique, de Thomas Mann.


Carte de visite…

Professeur de droit et avocat aux barreaux de Beyrouth et de Paris, Nasri Antoine Diab est spécialisé en droit financier et en arbitrage international. Président du Comité scientifique de la Revue du barreau de Beyrouth, il est également membre de la commission juridique de l’Association des banques et du Comité national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé.

Il compte aussi à son actif cinq ouvrages juridiques, un livre d’histoire et une centaine d’articles de droit.

Pour Nasri Diab, lecteur assidu et exigeant, féru d’histoires de guerres mondiales, lire n’est pas juste une occupation de confinement, mais une passion de tous les instants, quasiment un mode de vie… Entretien avec ce juriste, à la bibliothèque bien fournie, qui trouve même dans certains ouvrages de droit et d’économie le plaisir des mots et des phrases bien tournées.Que sont les...

commentaires (1)

Bel article . Concernant une personne de très haute qualité intellectuelle , culturelle et sociale ( que je connais par ailleurs, depuis mon jeune âge). C’est un atout pour le liban et une richesse qui relève le niveau du pays.

LE FRANCOPHONE

06 h 20, le 29 avril 2020

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Commentaires (1)

  • Bel article . Concernant une personne de très haute qualité intellectuelle , culturelle et sociale ( que je connais par ailleurs, depuis mon jeune âge). C’est un atout pour le liban et une richesse qui relève le niveau du pays.

    LE FRANCOPHONE

    06 h 20, le 29 avril 2020

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