Depuis trois semaines, un vieil homme sillonne quasiment chaque jour les rues d’un quartier de Beyrouth en poussant un enfant dans une chaise qui peine à rouler. Tout le long de son chemin de croix, cet homme crie, gueule sa misère et son SOS. En raison du confinement, l’attente aux feux rouges, désertés par les automobilistes, ne devait plus être viable. Ce vieil homme n’a dû avoir d’autre choix que de sillonner la ville pour tenter d’atteindre, par ses appels déchirants, les Beyrouthins reclus.
Le cri de cet homme est comme une métaphore du fracas angoissant et effrayant qui accompagne l’éclatement de la bulle économique libanaise. Celle au sein de laquelle une grande partie de la population libanaise a vécu dans le confort – relatif certes, mais avec le recul confort tout de même – d’un grand aveuglement.
Les responsables de la terrible crise économique et financière dans laquelle nous sommes plongés sont nombreux. Ils sont représentés au gouvernement, ils sont à Baabda, au Parlement, ils appartiennent à l’attelage qui se présente aujourd’hui comme l’opposition, ils sont à tête de la Banque du Liban, probablement aussi au sein du secteur bancaire. L’idée n’est pas ici de dire « tous pourris », car ils ne le sont pas tous. Mais force est de reconnaître que le spectre des responsabilités est d’une largeur rare. Aussi large que la crise est profonde.
La bulle a éclaté et il est impossible, aujourd’hui, de ne pas voir l’ampleur de l’incurie qui a prévalu pendant des décennies, de l’incompétence, de la corruption et de cette toile élaborée de connivences entre les différents responsables de cette situation.
C’est dans ce contexte qu’a été produit et adopté, jeudi dernier, le plan de redressement de Hassane Diab. S’il peut évidemment faire l’objet de critiques et que nombre de points doivent encore être largement précisés, un élément important est à souligner : ce plan comprend un diagnostic lucide et chiffré de la situation. Ceci est assez rare, dans l’histoire récente du Liban, pour être relevé. Les chiffres, justement, sont effarants et nous obligent à appréhender l’ampleur de la crise, notamment en ce qui concerne celle du secteur bancaire, dont le Liban s’est longtemps enorgueilli. Les pertes agrégées de la BDL et des banques privées s’élèvent tout de même à des dizaines de milliards de dollars.
Ce plan, ses objectifs chiffrés et les moyens d’y parvenir sont déjà – et continueront d’être – attentivement scrutés et analysés par notre service économie ainsi que la revue économique du groupe, Le Commerce du Levant. Mais au-delà de ses qualités et défauts, ce plan, préparé avec l’expertise des consultants du cabinet Lazard mandaté par le gouvernement pour le conseiller dans le processus de restructuration de la dette, était la condition nécessaire à l’ouverture des négociations pour que le Liban obtienne une indispensable aide internationale. Condition nécessaire mais pas suffisante. Car le temps des chèques en blanc est bel et bien derrière nous. Et c’est tant mieux.
Sans volonté politique de mettre en œuvre les réformes indispensables au déblocage de toute aide extérieure, qu’elle vienne de CEDRE ou du FMI, ce plan ne sera finalement que quelques litres d’encre, 53 feuillets et un monceau de désillusions.
Aujourd’hui, sans restructuration de la fonction publique, sans lutte contre la corruption, sans réforme du secteur de l’électricité, sans réformes budgétaires, sans transparence dans l’attribution des marchés publics… point de salut.
Tout ceci reviendrait finalement pour les divers responsables politiques, si l’on voulait résumer et grossir le trait, à scier la branche du clientélisme politique sur laquelle ils sont si bien installés depuis des lustres. Cela reviendrait, pour ces politiques, à voir plus loin que leur clientèle, que leur communauté. À se hisser, en somme, à la hauteur de la nation libanaise toute entière.
Or, en la matière, rien ne porte à l’optimisme ces dernières semaines, quel que soit le côté de l’échiquier politique vers lequel on regarde.
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LA VERITE
20 h 57, le 04 mai 2020