Alors que la rue bouillonne à nouveau, poussée par la faim, et que le Liban entre dans ce qui pourrait être une nouvelle phase du mouvement de contestation du 17 octobre, le gouvernement de Hassane Diab semble avoir commencé à sérieusement se lancer dans la lutte contre la corruption, le gaspillage et la dilapidation des fonds. Quelques mesures qualifiées d’immédiates ont été adoptées à cet effet hier en Conseil des ministres.
Il s’agit sans doute d’un signe positif que le gouvernement tente d’adresser à la communauté internationale, dont le Liban attend qu’elle débloque les fonds promis dans le cadre de la conférence CEDRE, tenue à Paris en avril 2018. Néanmoins, c’est surtout à la faveur d’un plan de redressement économique en bonne et due forme que le Liban pourrait parvenir à obtenir ces aides. Un plan que le Conseil des ministres devrait approuver demain lors de sa réunion prévue à Baabda.
En attendant, la communauté internationale a, elle aussi, multiplié les signes positifs en direction du Liban. Le Premier ministre a eu un entretien téléphonique hier avec le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian. L’occasion pour ce dernier de réitérer l’appui de la France au programme de réformes du gouvernement et sa volonté d’aider le Liban en ce qui concerne le recours au Fonds monétaire international pour redresser l’économie du pays. M. Le Drian a par ailleurs fait état de l’intention de Paris de tenir une réunion du Groupe international de soutien au Liban, une fois les mesures de confinement dictées par le coronavirus levées.
Tout comme Jean-Yves Le Drian, Dorothy Shea, ambassadrice des États-Unis, a insisté lors d’un entretien avec Hassane Diab au Sérail sur la nécessité pour le Liban de coopérer avec le FMI en matière de redressement économique. De son côté, le ministre des Finances Ghazi Wazni a reçu un appel téléphonique de son homologue français Bruno Le Maire, qui a exprimé lui aussi son appui au plan de réformes économiques du gouvernement.
Avant de se lancer dans une dernière lecture du plan de réformes lors de sa séance prévue aujourd’hui au Sérail en vue de l’approuver demain, le Conseil des ministres a adopté hier une série de mesures visant à lutter contre la corruption, élaborées par la ministre de la Justice, Marie-Claude Najm.
Dans les détails, le gouvernement a décidé de lancer le processus de contrôle, en chargeant le ministère des Finances de mener des enquêtes fiscales portant sur les personnes physiques ou morales liées par des engagements avec l’État. L’équipe ministérielle a en outre décidé d’activer les mécanismes d’échanges d’informations fiscales, afin de pouvoir lutter contre l’évasion fiscale.
Les ministres se sont entendus pour que soit mis en application l’article 5 de la loi portant sur le secret bancaire. Le texte autorise la levée du secret bancaire de toutes les parties traitant des affaires avec l’État et ses institutions. Ils ont également approuvé une décision incitant la Cour des comptes à exercer un contrôle a posteriori sur les comptes des personnes physiques ou morales ayant conclu des contrats avec l’État, ainsi qu’un point chargeant un cabinet spécialisé d’examiner les contrats passés par l’État, ses institutions et les municipalités.
Dans une déclaration à la LBCI, la ministre de la Justice a expliqué que ces mesures peuvent être appliquées immédiatement parce qu’elles obéissent à des textes de loi actuellement en vigueur. Il s’agirait donc d’une façon pour le cabinet d’absorber la grogne populaire au sujet de la lutte contre la corruption et du recouvrement des fonds détournés.
Réserves
Mais malgré tous ses efforts, le Conseil des ministres n’est pas parvenu à faire adopter la totalité du plan Najm. Deux points du plan liés à la mise en application de la loi sur l’enrichissement illicite se sont heurtés à des remarques de certains ministres, affirment des sources gouvernementales à L’Orient-Le Jour. Il s’agirait notamment de Abbas Mortada (Culture et Agriculture), Imad Hobballah (Industrie) et Michel Najjar (Travaux publics). Ces ministres auraient insisté sur l’importance de la conformité du plan aux textes de loi en vigueur, surtout pour ce qui est de l’autorité compétente pour mener des enquêtes sur les déclarations de patrimoines des députés, ministres, salariés de la Fonction publique, ou toute personne ayant exercé une responsabilité publique.
Selon une source ministérielle, le plan Najm confie cette tâche au secrétariat général de la présidence du Conseil, alors qu’elle est du ressort de la police judiciaire. Il a donc été décidé de transférer ces deux points du plan au département de la législation et du contentieux au sein du ministère de la Justice pour examen avant la décision finale. Dans les milieux ministériels, on explique que ce faisant, le cabinet voulait éviter tout faux pas qui entraînerait un éventuel recours en invalidation de la décision gouvernementale. Le département en question devrait se prononcer aujourd’hui à ce sujet, apprend-on de source informée.
Prenant la parole au début de la séance, Hassane Diab a naturellement évoqué la reprise des manifestations, estimant « normal » que les Libanais descendent dans les rues au vu de l’aggravation de la crise financière et de l’augmentation du cours du dollar sur le marché noir. Une crise que le Premier ministre a expliquée par « des intentions politiques » destinées à régler des comptes avec le gouvernement. « J’invite ceux qui manifestent contre la corruption à barrer la route à ceux qui tentent de kidnapper leur révolution en raison d’intérêts politiques », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Ce qui s’est passé dans certaines régions où on s’en est pris à des biens publics et privés, où l’armée a été prise pour cible, montre l’existence d’intentions malveillantes en coulisses pour mettre à mal la stabilité sécuritaire. C’est jouer avec le feu, et nous brûlerons tous ceux qui parient sur le sang des gens en vue de satisfaire leurs intérêts. »
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LA LIBRE EXPRESSION
18 h 58, le 29 avril 2020