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Société - Confinement

Pour survivre, pour s’approvisionner, pour voir le printemps... Pourquoi sortent-ils ?

Dans certaines régions défavorisées comme Tripoli, les gens affirment avoir le choix entre « mourir de faim ou du corona ».


À Jal el-Dib, des habitants attendent leur tour pour acheter des produits désinfectants dans cet ancien commerce de produits agricoles. Photo P.H.B.

Pourquoi le strict confinement imposé par les autorités est-il si difficile à faire appliquer au Liban alors que le Covid-19 se propage dans toutes les régions et vient de dépasser la barre symbolique des 500 cas ?

Une partie de la réponse est assurément à trouver dans la situation économique. Si les autorités ont lancé, récemment, des promesse d’aides, une importante partie de la population est aujourd’hui toutefois sans ressources, notamment dans les quartiers défavorisés de Tripoli ou de la banlieue sud de Beyrouth. Pour se nourrir, tout simplement, elle n’a d’autre choix que de poursuivre un semblant d’activité professionnelle ou de se mettre en quête d’aides humanitaires qui lui permettraient de survivre, le temps que passe la pandémie. Quant à la classe moyenne ou aisée qui n’appartient pas aux catégories professionnelles exclues de confinement (médicale, alimentaire…), qu’elle soit en télétravail ou en interruption d’activité professionnelle, elle doit bien s’approvisionner de temps à autre, aller à la banque, au supermarché, à la pharmacie. Mais il y a aussi les autres, ces personnes qui n’en peuvent plus de rester enfermées ou ces amoureux de nature qui ont un besoin vital de plein air pour se maintenir en forme physique et morale.


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Misère et coronavirus
Le confinement, Mohammad, la vingtaine, peintre en bâtiment au chômage, promet qu’il voudrait s’y conformer totalement, dans la masure de ses parents à Bab el-Tebbané, quartier de Tripoli. Mais il n’a d’autre choix que de sortir les rares fois où on lui propose un travail rémunéré, lorsqu’il doit faire les courses ou démarcher quelques associations. « Le maigre salaire de mon père est insuffisant pour nourrir la famille. Alors je saute d’une association à l’autre pour obtenir quelques rations alimentaires ou aides financières qui nous permettraient de tenir le coup », avoue-t-il. À Tripoli, « où 60 % des familles vivent en deçà de l’indice citadin de la pauvreté », selon l’expert en développement, Adib Nehmé, il a fallu l’intervention de l’armée pour faire respecter un tant soit peu les règles de confinement.

Mais la population est livrée à elle-même. Sans soutien structuré des autorités, elle tente de poursuivre une activité professionnelle pour se nourrir. À tel point que la situation prend parfois une tournure dramatique. « De jeunes Tripolitains ayant décidé de sortir leur chariot ambulant de café ont été récemment interdits de poursuivre leur activité », raconte l’avocat et militant des droits de l’homme Khaled Merheb. « Leur colère était telle qu’ils en sont venus aux mains avec les forces de l’ordre, poursuit-il. Ils préfèrent la prison plutôt que de mourir de faim. » Car aujourd’hui, les Tripolitains sont entre deux feux, « mourir de faim ou du coronavirus ». Et n’hésitent pas à manifester pour le dire. « Cette situation risque d’être explosive socialement ou sur le plan sanitaire », met en garde l’activiste.

Partout, la pauvreté a le même visage. « Qui va me nourrir si je reste chez moi ? » répond tout de go une vieille mendiante qui fait la manche sur la route de Kaslik, au Kesrouan, lorsqu’elle se voit signifier l’interdiction de rester dehors. Dans la même région, une femme de ménage sri- lankaise ne peut se permettre de rester chez elle. « Je suis divorcée et dois nourrir mon petit garçon », dit-elle. Ses employeurs continuent de solliciter ses services, tout en sachant qu’elle se déplace d’une maison à l’autre.


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Les regroupements devant les distributeurs de billets
Faire ses courses, aller à la pharmacie ou à la banque font partie des activités autorisées. Et en ce début de mois, des regroupements ont été constatés devant les distributeurs de billets, aux portes des banques qui filtrent drastiquement la clientèle ou même dans les supermarchés. « Il faut bien s’approvisionner lorsqu’on a des enfants ou qu’il faut acheter ses médicaments », souligne Fady. « À moins d’avoir entassé de l’argent chez soi, nous sommes dans l’obligation de sortir pour aller à la banque, au supermarché et à la pharmacie », abonde Zanzoun. Pour ce faire, elle se munit d’un masque et de gants. Et au retour, désinfecter ses emplettes lui prend « facilement trois heures ».

Si dans certaines régions les habitants circulent librement, nombre de municipalités tentent d’appliquer les règles strictes de confinement. Même si certains élus, comme le député du Akkar Walid Baarini, continuent encore à saluer leurs électeurs, leur serrant la main comme si de rien n’était.

À Saïda, où un relâchement avait été constaté les jours précédents, les rues étaient vides hier, le vendredi étant le jour hebdomadaire de fermeture générale, comme l’explique notre correspondant, Mountasser Abdallah. Les mosquées sont restées fermées et les fidèles ont été invités à prier chez eux. Mais pour nombre de travailleurs informels, le confinement n’est pas une option. Comme Mohammad, la cinquantaine, qui a un kiosque de café et doit nourrir ses trois enfants. « Je travaille à la sauvette, et ma clientèle sait où me retrouver », avoue-t-il. Ahmad, qui a un magasin d’articles sanitaires, ne peut non plus se permettre de fermer. « Je dois rembourser mes dettes, faire vivre ma famille et payer mes employés », dit-il.

Dans la Békaa, où le confinement est respecté à 80 %, notre correspondante Sarah Abdallah rappelle que la densité de la population est moindre que dans les villes. Il n’en reste pas moins que les municipalités sont très strictes et limitent les activités aux commerces de première nécessité. Ce qui n’empêche pas certains d’aller marcher ou pratiquer un footing, dit-elle. « Mais ce qui a nécessité l’intervention des forces de l’ordre, en ce début de mois, ce sont les regroupements devant les distributeurs de billets », dénonce Mohammad, un habitant de Taalabaya.



« Nous n’en pouvons plus »

À Achrafieh, au cœur de la capitale, les rues étaient loin d’être vides hier, le bruit des moteurs de voiture couvrant de nouveau le chant des oiseaux. Pas un policier à l’horizon. Installés sur un banc place Sassine, Fady et Marie, la soixantaine, tiennent chacun un chapelet à la main et murmurent des prières. Marie a le visage caché par un masque chirurgical. Fady garde le sien autour du cou. « Nous sommes sortis parce que nous n’en pouvons plus. Nous suffoquons, se défend-elle. Nous ne faisons rien de mal. Nous sommes installés loin du monde et prions parce que ce virus est un avertissement que Dieu a envoyé à l’humanité pour qu’elle se repente. » Pourquoi courir le risque de l’attraper et de le communiquer à ses proches ? Fady répond : « Nous sommes purs. Nous ne l’attraperons pas. Dieu est avec nous. » Marie interrompt sa prière pour assurer son respect du confinement. « Je sors uniquement pour faire mes courses », dit-elle.

Élias et Antoine, deux sans-abri, sont assis sur des chaises adossées au mur du bureau de poste. « C’est là que nous vivons depuis sept ans », s’exclame Antoine, le visage hâlé. D’un geste de la tête, il montre la pile de cartons et de sacs à côté d’eux. « Ce sont toutes nos affaires. » Il assure en franbanais qu’avec son compère, « un ami depuis cinquante ans », ils ne « représentent aucun danger pour quiconque ». « Nous occupons ce coin 24h/24, été comme hiver, qu’il pleuve ou qu’il fasse beau, dit-il en souriant. Les agents de la police nous connaissent bien. » Depuis le début de la pandémie de coronavirus, personne ne leur a fourni de produits désinfectants ou s’est enquis d’eux, à l’exception de Joe qui bavarde avec eux. « Des associations nous fournissent parfois des plats cuisinés, nous prennent en photos qu’elles envoient aux expatriés pour bénéficier de dons. Mais nous n’obtenons rien de ces aides », poursuit Antoine.

À la terrasse fermée d’un café, Imad a la tête plongée dans son téléphone, une cigarette au coin des lèvres. Un homme en demande une, tend la main pour prendre le briquet, mais Imad l’arrête d’un geste de la main, « C’est moi qui l’allume », pour éviter que l’autre ne touche à son briquet. « Je me conforme aux mesures de confinement et suis abasourdi par ceux qui les enfreignent. J’étais sorti faire des courses et j’attends qu’on me livre mon café à emporter. » Quelques pâtisseries et cafés sont ouverts aux alentours. Mais une table sur laquelle est posé un gel désinfectant en bloque l’accès. Les clients sont priés de passer leur commande de l’extérieur. Il y a enfin ceux qui ne peuvent se priver de sortie parce que cela leur permet de tenir le coup. Comme cette femme « qui prend parfois sa voiture juste pour s’assurer que le monde normal continue d’exister ». Comme Sandra aussi qui habite Sin el-Fil, dans le Metn, et prend sa voiture avec sa fille et ses trois chiens, rien que pour se promener dans la nature, dans un coin tranquille de la montagne. « Je ne peux pas rater le printemps au Liban. C’est un repère qui m’est indispensable », avoue-t-elle, martelant qu’il est essentiel de préserver sa santé physique et mentale. « Cela me permet de supporter le confinement », conclut-elle.



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Pourquoi le strict confinement imposé par les autorités est-il si difficile à faire appliquer au Liban alors que le Covid-19 se propage dans toutes les régions et vient de dépasser la barre symbolique des 500 cas ? Une partie de la réponse est assurément à trouver dans la situation économique. Si les autorités ont lancé, récemment, des promesse d’aides, une importante partie de la...

commentaires (7)

ESperons qu'on enaura fini du covid 19 d'ici une semaine pour pouvoir Sortir comme Avant le confinnement car on commence a' en avoir marre!!!!Souhaitons le Vivement!!!!

Dr Soubra

13 h 45, le 12 avril 2020

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • ESperons qu'on enaura fini du covid 19 d'ici une semaine pour pouvoir Sortir comme Avant le confinnement car on commence a' en avoir marre!!!!Souhaitons le Vivement!!!!

    Dr Soubra

    13 h 45, le 12 avril 2020

  • Ou sont mrs Mikati et Safadi pr aider les pauvres tripoli tains,n'ont ils aucune conscience?

    Mona Joujou Dfouni

    20 h 03, le 04 avril 2020

  • C'est un fait réel qui s'est passé en Italie. Un monsieur sort de chez lui et se met à courir dans la rue , il se fait rattraper par la police qui lui demande s'il n'était pas devenu fou d'agir comme ça, le bonhomme leur répond, svp allez voir chez moi le coronavirus est dans ma maison , pas dans la rue . Il fuyait sa femme . Pardon mesdames vous auriez pu faire pareil , mais là il s'agissait d'un homme .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 26, le 04 avril 2020

  • NOUS, SUPER CITOYENS DE CE TRES GRAND LIBAN DEVRIONS ENCOURAGER NOS HONORABLES ELUS & LEURS SBIRES NOMMES A LA FONCTION PUBLIQUE DE LA 1ere CATEGORIE A SORTIR PRENDRE L'AIR.... PT'T - JE DIS BIEN PEUT ETRE- ILS SENTIRAIENT L'AIR FETIDE ENVIRONNANT RESULTAT NON PAS DU COVID-19 MAIS BIEN DE LEURS CRIMES PERPETUES DEPUIS 1988...

    Gaby SIOUFI

    11 h 47, le 04 avril 2020

  • POUR RETIRER DE L,ARGENT... AU BON PLAISIR DES PREDATEURS BANQUIERS... POUR S,APPROVISIONNER ET POUR ACHETER DES MEDICAMENTS. AUTREMENT A LA MAISON !

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 16, le 04 avril 2020

  • Pourquoi être toujours négatif: "Pourquoi le strict confinement imposé par les autorités est-il si difficile à faire appliquer au Liban ".... On s'en sort bien par rapport à d'autres pays où c'est l'hécatombe: le trafic routier est ralenti au maximum, toutes les structures publiques et privées sont fermées depuis très longtemps, les gens portent presque tous des masques et des gants (au moins, il n'y a pas de pénurie) et sont très organisés... Les Libanais ont certainement des défauts (comme tous les êtres humains), mais il faut reconnaître qu'en matière de protection, ils sont souvent avant-gardistes... Les écoles et les universités ont fermé leurs portes au niveau national dès l'apparition des premiers cas alors que cette décision a été prise bien trop tard dans des pays européens, par exemple... La question à poser, plutôt: Pourquoi les Libanais sont toujours si négatifs à l'égard d'eux-mêmes???? Parfois, c'est chez nous que l'herbe est plus verte...

    NAUFAL SORAYA

    08 h 30, le 04 avril 2020

  • D'ICI PEU , LE LIBAN SOUFFRIRA D'UN MANQUE DE PSYCHIATRE ET D'ASILE DE FOUS

    Chucri Abboud

    01 h 39, le 04 avril 2020

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